À l’occasion d’une remise de Légion d’honneur à un amuseur public, le président a pris à part Fogiel et lui a reproché son inélégance quand il avait reçu sa femme, 15 mois plus tôt, en septembre 2008 dans une de ses émissions. Il l’aurait fait en trois phrases, du plat et du revers de la main : « Dis donc, lui aurait-il lancé, je voulais te dire, quand tu as reçu ma femme et que tu lui as demandé si elle m’aurait épousé si je n’avais pas été président de la République, laisse moi te dire que je n’ai pas trouvé ça très élégant ! » Puis il aurait ajouté : « Si je n’étais pas président de la République, je t’aurais démonté la gueule ! Croyez-vous qu’on puisse oublier un truc pareil ? »
Une question d’une rare indélicatesse
Ce sont ces trois gifles qui ont surtout retenu l’attention. On voudrait, au contraire, revenir sur cet échange en cours d’émission entre l’animateur d’Europe 1 et Mme Sarkozy, qui a ulcéré à juste titre le président. Elle révèle, en effet, la représentation singulière de l’information que se fait M.-O. Fogiel, journaliste d’investigation en studio. (1)
La question est d’abord d’une rare indélicatesse : « Est-ce que vous seriez aussi amoureuse, a-t-il osédemander à Mme Sarkozy, si Nicolas Sarkosy n’était pas président de la République ? » Il la soupçonne carrément d’avoir fait un mariage d’intérêts et non d’amour, comme il existe des mariages d’argent, la poussant à l’avouer en public. Et ce n’est pas une bévue survenue dans le feu de la conversation : il a prémédité son coup. Il prétend légitimer cette question en se fondant sur une déclaration faite au Parisien par un proche de Mme Bruni-Sarkozy qui voit en elle, à vrai dire, une arriviste, une exhibitionniste et une vaniteuse : « Elle est née pour être un personnage public, aurait dit cet ami dont Fogiel cite les propos. Je ne suis pas sûr qu’elle ait des opinions politiques. Mais il y a des choses qui montrent qu’elle aimerait être la femme la plus connue du monde. » Pourquoi donc cette indélicatesse chez M.-O. Fogiel, voire cette tentative de viol de l’intimité d’une personne ? On y voit trois raisons.
1- Faire croire à son indépendance
Une première raison tient sans doute à la volonté d’affirmer son indépendance ou du moins d’y faire croire. Tout le monde sait qu’Europe 1 appartient à M. Arnaud Lagardère qui est un proche du président. Tant de proximité avec le pouvoir jette la suspicion sur l’indépendance de la station. Se permettre de violenter moralement l’épouse du président de la République elle-même dans ce qu’elle a de plus intime et de plus cher, doit prouver aux auditeurs qu’on ne se montre pas complaisant avec les gens du pouvoir. On les traite comme les autres citoyens sans ménagement.
2- La chasse à l’audience par le voyeurisme
Une deuxième raison est la chasse à l’audience : le leurre employé qui tente de mettre à nu l’intimité d’une personne et, qui plus est, celle de l’épouse du chef de l’État, vise à stimuler chez les auditeurs le réflexe inné d’attirance. L’exhibition de ses sentiments et le soupçon d’une stratégie d’arriviste sont propres à susciter la sidération du voyeurisme pour coller l’auditeur à son poste. Va-t-on enfin savoir pourquoi et comment Carla Bruni, quelques mois à peine après le divorce du président, en est venue tout à trac à l’épouser ?
3- La parodie de l’information extorquée
Une troisième raison, enfin, est de faire croire à une pratique du journalisme d’investigation en studio qui serait à même d’accéder à une information extorquée, c’est-à-dire obtenue à l’insu et/ou contre le gré de la personne interrogée. Or la méthode employée est illusoire. C’est même une parodie de la recherche de l’information extorquée.
D’abord quel est l’intérêt de cette question qui mériterait investigation ? De deux choses l’une, ou Mme Sarkozy aime son mari pour ce qu’il est, ou elle l’aime pour sa fonction. Dans les deux cas, c’est son intimité privée inviolable selon l’article 9 du Code civil et qui ne regarde qu’elle et lui : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ensuite, quelle réponse peut bien être attendue en posant pareille question ? Quand bien même Mme Sarkozy n’aimerait son mari que pour sa fonction, croit-on qu’elle puisse le révéler publiquement ? Comme tout être sain obéissant au principe de « la relation d’information », elle ne peut livrer volontairement une information susceptible de lui nuire.
« C’est une question un peu bête », a-t-elle courtoisement répliqué. On ne saurait mieux dire : non seulement la question est indélicate, mais elle ne peut recevoir de réponse fiable ; elle ne méritait donc pas d’être posée. L’étonnant est que Fogiel s’entête et veut même confondre son interlocutrice en la confrontant à un témoin de ses amis. Il est question de l’appeler au téléphone pour lui demander de confirmer ou d’infirmer ses propos. Voilà ce que Fogiel entend par enquête critique méthodique : aller chercher un ami pour tenter de contredire Mme Sarkozy en public et activer le réflexe de voyeurisme déclenché ! Surtout, encore une fois, quel est donc l’intérêt de cette information recherchée ?
Une information stratégique par contexte
Cette parodie d’enquête révèle la variété d’information que livre Fogiel. Puisque ce n’est pas l’information extorquée, ce ne peut être que l’information donnée livrée volontairement par l’émetteur. Son sujet, pris hors contexte, pourrait faire croire à sa variante, l’information indifférente qui traite de tout ce qui ne heurte les intérêts de personne, comme la vie des stars et leurs amours.
Seulement, Mme Sarkozy n’est pas une star comme les autres. En tant qu’épouse du président de la République, elle appartient au cercle du pouvoir et une information jugée indifférente en temps ordinaire et d’autres lieux peut être au contraire stratégique si sa divulgation est une menace pour le président. À l’évidence, le soupçon jeté sur les sentiments éprouvés par son épouse envers lui est une tentative d’entrée par effraction dans la chambre des secrets que le couple garde jalousement - comme toute personne d’ailleurs - pour ne pas s’exposer inutilement aux coups de l’adversaire.
On comprend donc la réaction indignée du président de la République. On s’explique moins le manque de discernement de Fogiel. Comment a-t-il pu se fourvoyer ainsi ? À force de pratiquer l’information indifférente, ignore-t-il ce qu’est une information stratégique et, surtout, que ce n’est pas par une interview de studio qu’on peut l’extorquer ? Ou alors est-ce que parler au micro d’une radio chaque jour finit par conférer un sentiment illusoire de puissance au point de se croire en mesure de rivaliser avec les puissants qu’on fréquente ? La volée de bois vert que le président vient de lui administrer, l’aura, en tout cas, fait redescendre sur terre en lui fixant le périmètre du bac à sable où il a le droit de s’ébrouer. S’il a voulu montrer sa grande indépendance, il en est pour ses frais : ses auditeurs voient, au contraire, comme il est tenu en laisse. Qu’il joue, s’il le veut, au journaliste d’investigation en studio et stimule le voyeurisme de ses auditeurs, mais pas avec les représentants du pouvoir ! Paul Villach
(1) Extrait de l’interview de Mme Carla Bruni-Sarkozy par M.-O. Fogiel sur Europe 1 en septembre 2008
« M.-O.Fogiel . - Amoureuse, vous l’êtes, manifestement !
Mme C Bruni-Sarkozy . - Oui, je suis amoureuse… Hum ! Hum !... (Elle se râcle la gorge. Rires.)
MOF . - Très amoureuse ?
CBS . - Oui, et vous ?
MOF . - Oui aussi ! Mais est-ce que vous seriez aussi amoureuse si Nicolas Sarkosy n’était pas président de la République ?
CBS . - C’est une question un peu bête (Rire de Mme Carla Bruni-Sarkozy).
MOF . - C’est une question qui se pose. L’un des musiciens que vous connaissez bien, Louis Bertignac, qui a dit « Elle est née pour être un personnage public. Je ne suis pas sûr qu’elle ait des opinions politiques. Mais il y a des choses qui montrent qu’elle aimerait être la femme la plus connue du monde. » Donc ça peut…
CBS . - Je ne suis pas sûr que Louis Bertignac ait précisément dit cela !
MOF . - Dans le Parisien, en tout cas...
CBS . - Si on l’appelait pour lui demander...
MOF . - Vous voulez qu’on l’appelle ?
CBS . - Pourquoi pas ?
MOF . - Vous avez le numéro de Louis Bertignac et on l’appelle ? »