Chaperon rouge agressée par le Grand Méchant Loup tibétain à Paris ?
Le 5 avril dernier, la flamme des JO de Pékin a eu chaud à Paris. Alors que des manifestants de tout poil tentent de s’emparer du flambeau honni, une relayeuse chinoise, handicapée en chaise roulante, va être prise dans la tourmente. Une photo censée montrer toute la sauvagerie du clan anti-chinois va émouvoir et enflammer toute la Chine. Or ce cliché pose problème. Intox ?

Voici comment les choses se sont passées. Nous sommes le 5 avril dans la Ville Lumière peu après midi. Le relais de la flamme olympique (de la Honte, disent certains esprits mal tournés) vient de commencer au premier étage de la tour Eiffel sous les applaudissements et surtout les huées. Pas très loin de là, un des quatre ou cinq relayeurs chinois de l’étape parisienne attend son tour. Il s’agit d’une jeune Shanghaienne de 27 ans qui répond au nom de Jin Jing (prononcer Djinn-Djingue). Sa particularité, en plus d’être charmante à croquer, est d’être une sportive handicapée. Pour être plus précis, c’est une escrimeuse en chaise roulante (l’escrime est un sport très français, comme chacun le sait...).
A cause des problèmes de parcours, sur lesquels nous ne reviendrons pas, le lieu de transmission de la flamme est modifié, et voilà notre petit chaperon rouge qui doit faire un kilomètre environ à travers les rues échauffées de Paris pour rejoindre son nouveau point de rendez-vous. Elle est accompagnée d’un employé de la compagnie Lenovo qui pousse sa chaise et d’une autre Chinoise, sans doute son interprète. Plus évidemment une escorte policière. Mais, attention, pas les fameux schtroumpfs chinois dont la courtoisie vient de recevoir les éloges de l’organisateur des Jeux de Londres ("I believe they are thugs"/Je crois bien que ce sont des hommes de main/des brutes épaisses). Seuls les relayeurs qui portent le flambeau allumé ont en effet droit à leur douce compagnie. Et n’oublions pas, bien sûr, l’encombrante torche olympique, objet de toutes les convoitises, bien qu’éteinte.
Comme il fallait s’y attendre, le spectacle de la fragile handicapée chinoise serrant contre son corps le symbole des Jeux de l’oppression provoque de multiples assauts. D’après les vidéos publiées sur Youtube que l’auteur a regardées,
au moins six jeunes, tous d’origine asiatique apparemment, ont tenté de s’approcher de Jin Jing. Un seul apparemment a réussi à la toucher brièvement. Bref, beaucoup de sensations fortes, mais de "coups et blessures" pas la moindre trace, Dieu merci.
Or, l’épisode navrant de ces agressions manquées va provoquer une formidable flambée de passions à des milliers de kilomètres de là, en Chine. Sur la blogosphère, mais aussi sur des sites sérieux, on parle avec indignation de la malheureuse Jin Jing bafouée, tabassée, griffée au sang. A l’origine de tout ce tollé une photo, dont l’origine reste à ce jour enveloppée de mystère :
http://www.anti-cnn.com/jinjing/Jinjing2.jpg
On y voit un jeune homme à moustache et à bandeau aux couleurs du drapeau tibétain tenter d’arracher le flambeau des mains de la petite Jin Jing, dont la queue de cheval vole en avant (la tache orangée ressemblant à une flamme). Un rictus de fauve en rut se dessine sur sa face au teint sombre, contrastant avec le visage clair et poupin de sa victime, que l’on voit serrer la torche (sans flamme) de toutes ses forces contre son corps de vierge immolée. Derrière, deux CRS ont l’air de s’amuser. Quant au pousseur de la chaise roulante, il ferme les yeux (d’où peut-être la légende qu’il serait aveugle, ce qui est une absurdité romantique de la propagande nationaliste chinoise).
L’agression a lieu dans un espace réduit entre deux voitures de gendarmerie en stationnement et en présence d’une femme vue de dos coiffée d’une toque (apparemment une Africaine), qui semble impassible. Sa présence, comme celles des voitures immobiles, indique que l’on se trouve en bord de trottoir.
D’où la question : mais où diable cette agression, la plus grave de toute la série puisqu’il y a un contact assez brutal et prolongé entre l’escrimeuse chinoise et son agresseur "tibétain", a-t-elle bien pu se produire ? Regardez toutes les vidéos (celle de rue89 est particulièrement instructive), étudiez les autres photos publiées en Chine : vous verrez que notre petit chaperon rouge a toujours circulé au milieu de la route entourée de voitures certes, mais jamais des véhicules bleu foncé de la gendarmerie. L’escorte policière qui la suit à une certaine distance est composée de fourgons blancs. Et jamais on ne l’a vue coincée (et agressée) entre deux véhicules de police en bordure de trottoir. Jamais.
Bref, il y a comme un mystère.
D’autant que la vidéo "Girl who Saved Olympic Spirit" (qui reprend des images de rue 89 apparemment) montre bel et bien l’agresseur de la photo (32e seconde de la vidéo). On le voit d’abord par derrière (on lit ou, plutôt, devine sur son bandeau l’inscription "Vive le Tibet") puis en action (37e seconde de la vidéo), se précipitant vers la jeune Chinoise. Mais le trublion n’arrive pas à s’approcher d’elle et est immédiatement repoussé.
Il y a aussi le récit de Jin Jing elle-même, qu’il faut comparer à la vidéo : "A ce moment-là un grand nombre de séparatistes tibétains et aussi des journalistes de RSF se sont précipités dans ma direction pour protester. Ils ont essayé de m’atteindre. C’était des séparatistes tibétains. Quand ils ont essayé de me prendre la torche, je l’ai brandie (sic), et ils ont raté leur coup. Le pire, c’était trois ou quatre séparatistes tibétains. Je ne savais plus ce qui se passait derrière moi. Instinctivement je me suis retournée en étreignant la torche. Alors il y a quelqu’un qui est arrivé jusqu’à moi. J’ai senti une force extérieure, quelqu’un qui me collait au corps et essayait de m’arracher le flambeau. Je sais pas ce qui se passait derrière moi. Je suppose que mes accompagnateurs, y compris mon guide et interprète, se sont précipités pour me libérer. La situation était chaotique au possible..."
Le fait est que cette scène d’un contact rapproché n’a pas été filmé. Et même s’il avait eu lieu, il n’aurait pu avoir lieu que là où les autres rencontres "du troisième type" ont eu lieu, à savoir au milieu de la route, entre les camionnettes blanches de la police. Puisque c’est là que les assauts se sont produits. Bref, ce récit — plein d’approximations et de flou — ne colle pas avec la photo.
Dernier point. Comme le montre une photo du site officiel des JO (la 3e de la page), les membres de l’escorte chinoise n’ont jamais été loin. On les voit dans le bus à l’arrière-plan. Sachant que Jin Jing était particulièrement exposée à des attaques du fait de sa nationalité, de son handicap et de son statut de porteuse de la torche, pourquoi ne sont-ils pas intervenus ?
http://torchrelay.beijing2008.cn/fr/journey/paris/news/n214297358.shtml
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