Charles Taylor : un procès salutaire à l’arrière-goût amer
Que Charles Taylor, l’ancien satrape de Monrovia (Liberia), soit jugé par un tribunal international est une bonne chose. Mais la communauté internationale devrait veiller à ne pas faire respecter la règle du droit en Afrique à la tête du client.
L’ouverture lundi à La Haye du procès du Libérien Charles Taylor, ancien chef rebelle devenu président élu, n’a certes pas eu le même écho médiatique que celui de l’Irakien Saddam Hussein. Il n’en constitue pas moins un précédent : c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat africain comparaît devant un tribunal international pour des crimes supposés commis dans l’exercice de ses fonctions. A cet égard, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, transféré pour des raisons sécuritaires et pratiques dans les locaux de la Cour pénale internationale, fait œuvre utile. Il envoie un message à tous les tyrans instrumentalisant des groupes armés sanguinaires : l’impunité naturelle des puissants ne leur servira plus de muraille de protection infranchissable. C’est pour cette raison que Patrice Nganang, écrivain, grand prix littéraire de l’Afrique noire, qui observera tout le déroulement de la procédure judiciaire pour plusieurs titres de presse d’Afrique et d’Europe, se réjouit en ces termes : « Le procès qui commence ce 4 juin sera la plate-forme, si mince soit-elle, où les possibilités de la justice en Afrique seront élaborées ».
Il est évident que le procès de Taylor est une victoire pour les victimes des hordes de barbares qui ont dévasté la Sierra Leone sous sa houlette. Mais l’on ne peut s’empêcher d’éprouver quelque amertume en observant le contexte international dans lequel le procès Taylor commence.
D’abord, Charles Taylor ne sera jugé que pour son activisme dans un pays voisin, la Sierra Leone, où il a soutenu activement la rébellion de Foday Sankoh, spécialisée dans l’amputation des membres de ses innocentes victimes. Quid des victimes libériennes ? « Le tatillon de la justice internationale à traverser les frontières libériennes en fait ce chien de nos bidonvilles qui ne mord que les passants, et plie la queue sous la bastonnade de son maître », déplore Nganang, tout en se réjouissant du futur lancement de la commission « Vérité et réconciliation » libérienne.
Quid des victimes ivoiriennes, surprises dans leurs villages de l’ouest du pays par les tueurs des mouvements rebelles MPIGO et MJP, directement contrôlés par Charles Taylor, comme l’ont démontré des enquêtes d’International Crisis Group et de Global Witness ?
Au fait, pourquoi juge-t-on Taylor ? Pour avoir déstabilisé un pays voisin en y orchestrant une rébellion criminelle ? Lui-même a été au départ un rebelle, soutenu par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le Burkinabé Blaise Compaoré et la diplomatie française. Houphouët-Boigny est mort, Nicolas Sarkozy n’a rien à voir avec les turpitudes de la Françafrique (quoique la continuité de l’Etat existe), mais Blaise Compaoré, qui a soutenu la rébellion de Taylor et le RUF de Foday Sankoh est toujours au pouvoir, joue les Monsieur Bons Offices en Côte d’Ivoire après y avoir armé une rébellion qui a, elle aussi, multiplié les crimes. Malaise !
En réalité, le procès Taylor, malgré son exemplarité, prouve une fois de plus que la règle de droit n’a aucun allié en Afrique, à part des populations qui meurent et souffrent sous la férule de tyrans insérés dans un système international de prédation profitant à l’Occident et à ses succursales sur le continent.
Charles Taylor n’est poursuivi que parce que ses ennemis puissants, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, membres permanents du Conseil de sécurité, ont convaincu l’ONU de créer un tribunal international consacré aux exactions de Sierra Leone. En Côte d’Ivoire, le réseau de déstabilisation dont Taylor est membre bénéficiait de l’appui d’un membre permanent du Conseil de sécurité : la France. Un rapport de l’ONU affirmant clairement l’implication de pays voisins aux côtés de la rébellion, rédigé à grands frais, n’a jamais été officiellement publié, ce qui rend complètement impensable la création d’un tribunal international sur la Côte d’Ivoire.
Taylor sera jugé, certes. Mais qu’en sera-t-il des marchands d’armes, des multinationales ayant profité des diamants, du bois, des minerais de la guerre - parmi lesquelles on retrouve Usinor-Sacilor et Bolloré, selon plusieurs sources ?
Le problème de fond est qu’en pleine « guerre mondiale contre le terrorisme », des armes de destruction massives (mines anti-personnel, kalachnikovs, obus, etc.) sont livrées, avec la complicité du monde riche, à des entrepreneurs politiques travaillant objectivement pour tous ceux qui ont intérêt à acquérir les richesses naturelles de l’Afrique au plus bas prix.
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