Chère Ella,
Lettre sur la Palestine à une amie, en Israël
J’espère que tu ne m’en voudras pas, mais si je me permets de répondre publiquement à ton message personnel, ce n’est pas seulement qu’il est un peu long, mais parce qu’il concerne bien d’autre personnes que nous deux. A lire ta réaction, je me suis demandé si elle était purement objective, ou si le sentiment d’appartenir, de près ou de loin, au peuple juif en était la cause. Si c’était le cas, sache que je suis arrière petit-fils d’un rabbin, petit fils d’un juif résistant dont la moitié de la famille est partie en fumée à Auschwitz, et que d’être le fils de ma mère me fait juif moi aussi, selon la loi du sang.
Suite à mon soutien affiché au peuple palestinien, tu me demandes mes positions sur le Hamas, et sembles me reprocher une vision partiale et simpliste. Bien sûr que le problème n'est pas simple. Mais il y a une chose qui est très simple : La mort de tant de civils dans les bombardements est injustifiable. Les conditions de vie imposées aux gazaouis par Israël sont inacceptables, on n'a pas le droit de construire un mur autour d'un peuple pour faire de son territoire une prison. L'occupation et la poursuite de la colonisation sont illégales au regard du droit international, et tout peuple a le droit et le devoir de résister face à une telle agression. Quel autre choix d’ailleurs a-t-il que de résister et qu’attend-on de lui exactement ?
Si tu me parles du Hamas, qui heureusement, ne représente pas tous les gazaouis, (comme les lanceurs de roquettes ne représentent pas tout le Hamas, le savais-tu ?) alors je te parlerai des fanatiques en Israël, des enfants qui écrivent sur les missiles, des parents qui les laissent faire, de la pensée génocidaire qui les anime… Mais heureusement, eux non plus ne représentent pas tout Israël. Et où cela nous mènera-t-il de comparer la barbarie à la barbarie ?
A rien. Le nihilisme est le nihilisme et dans le néant, il n’y a pas d’échelle, pas de plus ou de moins. Une fois que l’on a nié l’autre jusqu’à désirer sa mort, quelque soit le camp auquel on appartient, on est à égalité devant la barbarie. Et l‘on ne nie pas l’autre sans se nier soi-même, parce qu’on ne pourra jamais faire que l’autre, en tant qu’autre, nous constitue. Pourquoi ? Parce que nous ne nous sommes construits, et nous ne sommes nous-mêmes, que vis à vis de lui.
C’est pourquoi je ne parle même pas de la soi-disant « disproportion » qui existerait dans la réaction d’Israël aux tirs de roquettes. Parce que l’idée même de comparer deux barbaries n’a pas de sens, sauf pour les confondre. Mais surtout parce que dire que l’erreur d’Israël est une erreur de mesure ou de proportion, c’est justifier la base de sa politique envers le peuple palestinien. C’est dire « vous exagérez mais vous avez raison sur le fond. »
Je ne suis pas d’accord. La politique d’Israël n’est pas seulement destructrice, elle est suicidaire. Vraiment, je ne souhaite pas que ce pays, qui porte tant d’histoire, tant d’intelligences, tant d’humanité soit un jour « rayé de la carte ». Mais quand les puissances qui le défendent contre toute raison, contre le droit international même, se seront affaiblies, qui pourra alors sauver Israël ? Qui pourra sauver un pays qui aura perdu toute légitimité par son usage unilatéral de la violence, et qui aura fait naître autour de lui tant de haine, tant de rancœur, d’injustice ?
C’est pourquoi quand je descend dans la rue contre l’opération israélienne à Gaza, je n’ai pas peur de le dire : c’est en même temps pour et au nom du peuple d’Israël que je le fais. Un pays que rien ni personne ne pourra sauver s’il ne change pas l’orientation de sa politique alors qu’il en a encore les moyens.
En attendant il y a, de chaque côté du mur, un peuple qui a peur, et un peuple qui souffre. Un peuple qui est libre, et un peuple qui est enfermé dans ses propres frontières, un peuple qui envoie des missiles, et un peuple qui lance des pierres, un peuple qui craint pour sa sécurité, et un peuple dont les hommes, femmes et enfants meurent par dizaines tous les jours.
De ces deux peuples, entre celui qui a peur et celui qui meurt, je ne choisis pas de défendre l'un contre l'autre, mais je sais bien lequel a besoin d'urgence de mon aide et de mon soutien. En dehors même de toute considération politique, avant même de savoir qui est responsable de la guerre, entre un homme blessé à terre et un autre qui a peur que le ciel lui tombe sur la tête, je sais où doivent se porter d’urgence mon attention et mon secours. La situation des hommes et des femmes dans la bande de Gaza, je ne la souhaiterais même pas à mon pire ennemi. Avant même de connaître les détails du conflit, Rien dans l’homme, si c’est un homme, ne peut ni la tolérer, ni l’excuser, ni la justifier.
Alors quand on me défend, cyniquement, de manifester ma solidarité pour ce peuple (je dis cyniquement parce qu’interdire une telle manifestation aux motifs de « troubles possibles » est évidemment la meilleure manière de créer des troubles certains pour les instrumentaliser par la suite) je descends quand même. Par devoir. Par dignité. Par solidarité. Et même si je me retrouve au milieu d’imbéciles qui en profitent pour crier leur haine des juifs, et bien je descends quand même, car je ne veux pas laisser à ces quelques idiots le monopole de la contestation. Je ne veux pas qu’au nom de ces quelques idiots, on condamne tous ceux qui s’opposent à la politique suicidaire et génocidaire d’Israël, comme Israël se sert du Hamas comme alibi pour couvrir ses crimes contre le peuple palestinien.
Je te prie de croire que je m'associe à ton inquiétude et à ton trouble, dans l'attente de te lire,
Bien à toi,
G.
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