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Accueil du site > Tribune Libre > Chez Thomas Piketty, une économie politique faite d’invraisemblables (...)
#32 des Tendances

Chez Thomas Piketty, une économie politique faite d’invraisemblables bouts de ficelle

Rééditant - ce qui n'est pas peu de chose - l'exploit des pères fondateurs du monothéisme, exploit dont je rappelle qu'il répond à l'articulation symbolique énoncée par Jacques Lacan : "Y a d' l'un !", Thomas Piketty vient de passer par-dessus le bord de l'économie politique - et en plein accord avec la quasi-totalité des universitaires du monde occidental d'aujourd'hui occupés par cette discipline - la question de la production du gâteau de la richesse économique. Comme les autres, il tient à ce coup de force, et s'y maintient, parce qu'il est possible - comme à toute chose en ce bas monde - d'y appliquer la formule : "Credo quia absurdum".

Réfugié dans l'impénétrable transcendance, le capital-Dieu fera tout ce que l'on est en droit d'attendre de lui, à partir de rien... Mieux, à la barbe, non de Dieu que voici parfaitement domestiqué, mais du moindre appui sur quoi que ce soit - ce à quoi Archimède lui-même ne se serait pas risqué -, le grand-prêtre Piketty nous offre les Tables de sa loi... Impossible d'y opposer quoi que ce soit :
« Nous pouvons maintenant présenter la première loi fon-damentale du capitalisme, qui permet d'associer le stock de capital au flux de revenus du capital. » (Idem, page 92.)

On se souvient du geste de René Descartes, congédiant définitivement Dieu des petites affaires des hommes (la bourgeoisie de son temps, à laquelle s'adresse le Discours de la méthode, et nommément dans la sixième et dernière partie) à grands coups de "Je pense (donc) je suis"…

Thomas Piketty pense, lui, que le "gâteau" est. La preuve, c'est que dès la première loi fondamentale, il en règle le partage...
« Le rapport capital / revenu β est en effet relié très simplement à la part des revenus du capital dans le revenu national, part qui sera notée α, à travers la formule suivante : α = r β où r est le taux de rendement moyen du capital. » (Idem, page 92.)

On le constate aussitôt : ça marche ! C'est-à-dire que le capital n'oublie pas de se taire. Comme Dieu, il fait le boulot sans moufter.

Mais c'est surtout Thomas Piketty qui rigole, lui qui, justement, nous avait mis en garde dès la page 63 :
« Trop souvent, les économistes sont avant tout préoccupés par de petits problèmes mathématiques qui n'intéressent qu'eux-mêmes, ce qui leur permet de se donner à peu de frais des apparences de scientificité et d'éviter d'avoir à répondre aux questions autrement plus compliquées posées par le monde qui les entoure. »

Dont acte.

Aussitôt après nous avoir asséné la première loi fonda-mentale du capitalisme (n'ayons pas peur des mots !), Thomas Piketty l'applique. D'abord, dans le texte lui-même :
« Par exemple, si β = 600 % et r = 5 %, alors α = r x β = 30 %. » (Idem, page 93.)

Puis dans la note de bas de page correspondante :
« La formule α = r x β se lit "α égale r multiplié par β". Par ailleurs, "β = 600 %" est équivalent à "β = 6", de même que "α = 30 %" est équivalent à "α = 0,30", et que "r = 5 %" est équivalent à "r = 0,05". » (Idem, page 93.)

C'est beau l'arithmétique fondamentale !

Dûment énoncée par la première loi fondamentale du capitalisme, la formule α = r x β nous permet de mesurer la part des revenus du capital dans le revenu national.

Le capital (Dieu, donc) ayant été renvoyé à son silence par déduction (de sa part fixe) sur le PIB, il est possible de lui faire dire n'importe quoi, et que, pourquoi pas, la part des revenus qu'il produit (Dieu seul sait comment) dans l'ensemble du revenu national est, selon les chiffres que Thomas Piketty se donne à lui-même, α = r x β = 30 %

Que deviennent les 70 % manquants ?

La réponse est facile, puisque nous n'avons aucune raison d'avoir oublié ce qui nous a été affirmé dès les pages 81-82 :
« [...] toute la production doit être distribuée sous forme de revenus - d'une façon ou d'une autre : soit sous forme de salaires, traitements, honoraires, primes, etc., versés aux salariés et aux personnes qui ont apporté le travail utilisé dans la production (revenus du travail) ; soit sous forme de profits, dividendes, intérêts, loyers, royalties, etc., revenant aux propriétaires du capital utilisé dans la production (revenus du capital).  »

Les 70 % sont donc la part des revenus du travail dans le revenu national.

Évidemment, à l'endroit où nous en sommes de la démonstration, les chiffres utilisés sont - redisons-le - totalement arbitraires... Mais leur combinaison tient aussi bien la route que dans n'importe quelle opération arithmétique. Thomas Piketty ne nourrit à cet égard aucune illusion :
« La formule α = r x β est une pure égalité comptable. » Idem, pag(e 93.)

Il pousse même l'aveu jusqu'à un point qui dépasse peut-être légèrement la limite du supportable :
« Elle s'applique dans toutes les sociétés et à toutes les époques, par définition. » 

Ah bon !... Nous aurions pu la croire spécifique au capitalisme puisqu'elle en est la première loi fondamentale... Mais non, "par définition", elle est beaucoup plus large que cela...

Et pourquoi donc "par définition" ? Mais parce qu'elle est une tautologie... ou tout au moins ce que Thomas Piketty croit pouvoir désigner ainsi. Lisons-le :
« Bien que tautologique, elle doit pourtant être considérée comme la première loi fondamentale du capitalisme, car elle permet de relier de façon simple et transparente les trois concepts les plus importants pour l'analyse du système capitaliste : le rapport capital/ revenu, la part du capital dans le revenu, et le taux de rendement du capital. » (Idem, page 93.)

Pour Thomas Piketty, qui n'aura donc lu sérieusement ni Aristote, ni Karl Marx, la tautologie semble se ramener à l'inanité apparente de la formule A = A. Comme si le franchissement du symbole = par un A qui devient un A pouvait se faire sans modification radicale de A.

Croit-il que, sans s'affronter à cette curieuse réalité, il soit possible de faire trois pas dans l'analyse, par Karl Marx, de la rotation du capital, et, bien avant cela, de l'émergence de la marchandise la plus banale ? Évidemment, chez Aristote, c'est encore un peu plus bouleversant, puisqu'il ne s'agit pas de confiner ce petit problème à ce que l'on appellerait aujourd'hui l'économie.

Mais tout ceci ne peut en aucun cas embarrasser Thomas Piketty, qui se voit déjà jouer les censeurs auprès... de Karl Marx soi-même et de quelques autres avec sa toute petite entreprise de bricolage terminologique :
« Le taux de rendement du capital est un concept central de nombreuses théories économiques, en particulier dans l'analyse marxiste, avec la thèse de la baisse tendancielle du taux de profit - prédiction historique dont nous verrons qu'elle s'est révélée fort erronée, même si elle est porteuse d'une intuition intéressante. » (Idem, page 93.)

Nous aimerions bien voir cela, effectivement.

Michel J. Cuny

 


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2 réactions à cet article    


  • lecoindubonsens lecoindubonsens 28 décembre 14:20

    Désolé mais je n’ai pas tout compris smiley

    Pouvez vous SVP résumer le message à comprendre (hors le fait que vous considerez T Piketty comme un incompétent)


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 28 décembre 18:40

      @lecoindubonsens
      L’essentiel du message est sans doute ici...

      Je suis très éloigné de penser que Thomas Piketty est incompétent.
      Bien au contraire, je considère que toute une partie de son travail mérite d’être considérée avec la plus grande attention.
      Par contre, il lui arrive de s’engager dans des directions dont il ne mesure pas à quel point il ne fait que s’y égarer.

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