Chronique de la fin d’un monde politique
"Qu'on soit coach ou président, pape à Rome ou éditeur à Paris, l'exercice politique consiste à transformer un tas en tout- des populations en peuple, par exemple, ou une bande de zigotos en équipe. La superstition économique a l'effet contraire : elle fait d'un tout un tas. Le premier est un art de composition, la seconde, une technique de décomposition. (...)Le commun est en surplomb ou n'est pas. Il se trouve que les hommes ne peuvent s'unir qu'en quelque chose qui les dépasse." ( Régis Debré- L'erreur de calcul- Page 41- L'implosion. Edition Le poing sur la table )
Si les prouesses de la sonde européenne Rosetta et de son robot Philae nous élèvent dans un émerveillement sans fin devant la puissance du génie humain mobilisé dans un projet commun au long cours, au contraire les guignolades du monde politique et médiatique nous enfoncent sans cesse dans un marécage nauséabond.
http://www.lelieuducrime.blogspot.fr/ Samuel Labadie
Dans ce quinquennat sans grandeur, le tout se désagrège sous nos yeux et se transforme en un tas inconsistant et insignifiant. Le copinage du personnel politique avec les journalistes expose celui-ci aux potins et aux commérages et la politique n'est plus que basse politique et coups tordus. La Cité n'est que le champ de bataille des ambitions personnelles de zigottos qui s'autoproclament investis d'une mission supérieure. Des guerres picrocholines deviennent des affaires d'Etat cachant d'autres affaires d'Etat beaucoup plus graves devenues secrets d'Etat. Dans ce décor ainsi planté, la piteuse affaire Jouyet-Fillon est une des dernières illustrations de l'état de décomposition du monde politique.
Jean-Pierre Jouyet , un copain de régiment de François Hollande et son condisciple à l’ENA est aussi apparenté à Christophe de Margerie par son mariage avec une héritière de Taittinger. "Socialiste", Jouyet passe en mai 2007 chez Sarkozy et devient secrétaire d’État chargé des Affaires européennes du ministre des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner ("socialiste"), dans le gouvernement de François Fillon. François Hollande qui, de Jérôme Cahuzac à Thomas Thévenoud en passant par Aquilino Morelle sait s’entourer d’hommes de confiance, lui donne la direction de la Caisse des dépôts et consignations, et la présidence de la Banque publique d’investissement avant d’en faire le secrétaire général de la présidence de la République. Ce 24 juin 2014, Jean-Pierre Jouyet déjeune avec son ancien Premier ministre, François Fillon. Puis, il balance à la presse tout ce que ce dernier lui aurait dit contre Sarkozy. Les médias s'emparent de cette "confidence" et en font une affaire d'Etat. "Affaire d'Etat" qui fait diversion sur la mort tragique d'un militant écologique, tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes dans la nuit du 25 au 26 octobre ; violences policières révélées par l'enquête ( Le monde du 12/11/2014 ) et qu'en haut lieu, dans un premier temps, on a tenté de camoufler.
Ce que se sont raconté les deux compères entre la poire et le fromage ce jour de juin à une table du restaurant "Pavillon Ledoyen", on ne le saura jamais et à vrai dire on en a rien à faire. Les deux journalistes, qui ont recueilli ces confidences, et qui les ont publiées dans un ouvrage, n’ont pas réellement cherché des preuves et ne présentent pas ces propos pour ce qu’ils sont, que des mots échangés lors d'une conversation privée. Ils ont cherché le scandale et l’ont obtenu. Et celui a qui la confusion profite momentanément est aux anges. Notre pervers narcissique national ( lien ) se pose encore une fois en victime d'un pouvoir aux abois en nous faisant oublié que ses dépassements dans les comptes de sa campagne de 2012 ont bien été payés par l'UMP c'est-à-dire par les citoyens à travers les subventions publiques aux partis politiques. "Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt" dit un proverbe chinois. (lire l'article de Marie-Anne Kraft ). Pendant que les médias glosent sur qui a dit quoi et dans quelle intention, on en oublie aussi ce vrai scandale d'Etat qu'est le paiement par un parti politique de l'amende infligée à Nicolas Sarkozy pour dépassement de ses frais de campagne. Demain si la justice le condamne enfin celui-ci aura beau jeu de se poser en victime d'une machination de ses adversaires.
Dans quel but jouer Sarkozy contre Fillon ? ou discréditer encore un peu plus un pouvoir à bout de souffle ? Quels sont les tenants et les aboutissants de cette affaire dans laquelle beaucoup semblent se prendre les pieds dans le tapis ? La réponse à ces questions importe peu. Ce que cette affaire discrédite encore un peu plus c'est le monde de nos élites politiques et des journalistes qui se complaisent à entretenir la confusion au lieu de faire la clarté ; la vérité s'enlisant définitivement dans ce marais nauséabond de coups tordus dans une course au pouvoir devenue elle-même dérisoire et inutile, tant les enjeux de ces batailles fratricides sont éloignés des préoccupations des citoyens.
La victime collatérale de cette affaire, outre la démocratie, c'est aussi le régime de l'alternance du pouvoir entre un personnel de la droite libérale et une équipe de la gauche "moderne", qui depuis Mitterand organisait la vie politique de notre pays, en se partageant alternativement le pouvoir. Cahin-caha, d'élection en élection, un pas du pied droit, un pas du pied gauche, dans un environnement international acquis à la mondialisation des échanges, après la chute du mur de Berlin, les gouvernements successifs ont progressivement détricoté les lois sociales qui tenaient encore en laisse l’hégémonie du capital sur le travail, tout en faignant d'adoucir ces sacrifices par plus de droits et de libertés donnés à l'individu dans la conduite de ses affaires privées. Mais depuis 2007 avec la victoire de Sarkozy la confusion s'installe. Il n'aura de cesse, dans son agitation égotique et son impatience que de casser cette mécanique de l'alternance. Pour s'imposer, il n'hésite pas à affaiblir la gauche en proposant des postes ministériels à des "socialistes" en vue. Avec la campagne de 2012, voyant son étoile vaciller, refusant l'hypothèse d'une défaite il a, de manière inconsidérée, dépasser les limites imposées par la loi dans les dépenses de sa campagne électorale dans la course à sa réélection. Dans un éclair de lucidité, aux lendemains de sa défaite, il avait affirmé vouloir abandonner définitivement l'action politique. Mais ses démons ne l'ont pas laissé en paix. Dans l'impossibilité de se mettre en retrait, en bon mythomane et mégalomane il se voit à nouveau en sauveur de la nation et il a repris son harcèlement en nous imposant à nouveau sa présence quitte à approcher encore un peu le degré zéro de la politique (lien ).
"D’anecdotique, l’affaire Jouyet-Fillon pourrait bien s’avérer désastreuse. Elle révèle crûment l’état de décomposition des grandes forces qui étaient supposées structurer la politique française. Mais, elle révèle cette situation alors que des forces de remplacement ne sont pas encore disponibles. Le sentiment de vide politique qu’elle produit pourrait avoir, dans les semaines ou les mois qui viennent, les conséquences les plus graves pour la paix civile." écrit jacques Sapir sur son blog.
Dans cette farce, après l'acte de la cogestion alternative va-t-on vers un grand final où tous les acteurs minables de cette tragi-comédie se retrouveraient dans un gouvernement d'union nationale pour tenter de contrer la montée du Front National qu'ils ont eux mêmes, par leur pitrerie, légitimé ? Ce final est déjà bien engagé dans beaucoup de pays et au niveau de la Commission Européenne, tout cela pour enterrer définitivement tout projet politique au profit de la bonne gestion de l'économie par de sombres technocrates, respectueux des chiffres des normes et des procédures mais qui se gardent bien de proposer au pays une vision et un projet à long terme.
...nous ne sommes rien, soyons tout....
A la fin de cet automne politique devra-t-on subir longtemps ce long hiver glacial économique qui s'annonce ? Il ne nous reste alors qu'à espérer qu'après cette épreuve qu'ils nous infligent, un printemps lumineux éveillera les consciences et les imaginations et qu'une volonté commune mettra enfin à bas cet ordre mal établi pour à nouveau transformer ce tas informe qu'ils nous laissent en un solide tout.
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