Chronique de la russophobie et la bêtise ordinaires
Les périodes de conflits sont propices à tous les débordements de haine aveugle, même chez les citoyens de pays non-impliqués dans le conflit. La raison, l'esprit critique, la modération et même jusqu'à la plus simple humanité semblent mis en sommeil. La guerre en Ukraine ne fait malheureusement pas exception à la règle. Chauffés à blanc par des médias relayant aveuglément la propagande américano-occidentale, nombre de citoyens accablent et chargent de tous les maux la Russie, son, président et jusqu'à ses ressortissants. Point n'est besoin d'être particulièrement russophile pour s'indigner de ce traitement.
" Alors, comme ça, tu défends Poutine ?!". Le président russe, et son peuple avec lui, fait à dire vrai un "coupable" évident pour une large coalition de bien pensants qui en perdent tout sens de la nuance et tout esprit critique. Les gens de gauche de mon entourage, mes amis, ma propre famille ne sont hélas pas les derniers à céder à cette facilité.
Alors mettons une bonne fois pour toute les choses au point. Non, je ne "défends pas Poutine " (qui se défend très bien tout seul, merci pour lui !). Marine Le Pen et ses amis épousent le point de vue russe, contre leurs anciens amis nazillons de Svoboda, notamment par sympathie pour la personne et les idées du président russe. C'est leur droit. Ce n'est pas ma position.
Pour moi, la question est tout simplement hors sujet. Je ne suis pas de ceux qui clament savoir mieux que les russes ce qui est bon pour la Russie, ayant trop à faire à blâmer ceux qui savent mieux que les français ce qui est bon pour la France... Et l'Ukraine dans tout cela ? C'est une erreur de mon point de vue de mêler sans discernement politique intérieure et politique extérieure. Que je sache, la gauche avait soutenu -et elle avait fort bien fait- Chirac dans sa gestion de la crise irakienne. De même, certains nous expliquent qu'une partie des russes peuvent contester la gestion de la crise ukrainienne... pour la modération dont aurait fait preuve Valdimir Poutine !
Poutine, donc, puisqu'il faut bien en parler. Il veut développer le rôle de la religion de la société, je suis un fervent partisan de la laïcité. C'est un adepte des valeurs traditionnelles, j'étais partisan du mariage pour tous. Il croit à l'économie de marché, je suis socialiste, bien au plus au sens où l'entendait Chavez qu'à la manière des solfériniens. Il a une conception autoritaire du pouvoir, je veux une démocratie plus digne de ce nom.
Si on laisse de côté l'idéologie, je reconnais en lui une intelligence brillante, l'un des hommes d'Etat les plus doués du moment. Qui prétend connaître le jeu et la stratégie de Poutine est soit un menteur, soit un abruti... Je sais en outre que la Russie avec Poutine se porte indéniablement mieux que la Russie avant Poutine. Je n'ai pas oublié la Tchétchénie et ce qu'elle révèle des méthodes du président russe, mais je considère ces événements, recul aidant, avec une bien plus grande circonspection...
Si l'on n'accablait encore que le président russe, je n'y verrais à redire que la réticence que m'inspire la caricature haineuse, même quand elle vise une cible qui ne m'est pas spécialement sympathique.
Mais par amalgames et glissements successifs, c'est la politique extérieure de la Russie, et pour finir le pays lui même et ses habitants qui sont pris la cible d'attaques aussi violentes que grossière. Nos médias semblent revenus aux pires temps du bourrage de crâne et de la propagande belliciste, et ont en plus le culot de stigmatiser la propagande russe...
Alors si mes mots pouvaient atteindre un citoyen russe, voici sans doute ce que je lui dirais :
Ami russe,
Oui, je te considère comme un ami. Car contrairement à d'aucuns petits esprits minables qui voulaient retirer l'invitation de ton président à la commémoration du débarquement, je n'ai pas oublié le sacrifice héroïque de ton peuple et sa contribution décisive à la victoire contre la barbarie nazie. Et je considère que cela crée des liens qui ne doivent pas disparaître pour un simple désaccord. Tu aimes ton président, je comprends ton sentiment sans le partager (soit dit entre nous, tu as bien de la chance de pouvoir admirer ton président. Quel fou irait seulement éprouver du respect pour Hollande ?). Qu'importe, je suis profondément choqué de le voir caricaturer en nouvel Hitler par les donneurs de leçon d'outre atlantique. Et je suis, plus encore, viscéralement révolté de voir les gouvernements occidentaux soutenir aveuglément le pouvoir ukrainien issu d'un putsch et comprenant des ministres néo-nazi.
Je sais que ton pays défend ses intérêts, je ne l'en blâme pas, et je trouve que le mien gagnerait à faire de même. Contrairement à nombre de mes compatriotes, je trouve que ton pays agit avec bien plus de modération et de sagesse que le camp américano-occidental, notamment dans la crise ukrainienne. Et je trouve stupide et ridicule qu'au lieu de mener vraiment le dialogue avec ton pays, les Etats-Unis et leurs alliés récompensent cette modération par des sanctions. Je ne crois pas ton pays irréprochable dans cette affaire, mais je n'irais certainement pas y chercher la responsabilité principale du conflit.
Si par le plus grand des hasards tu as prêté attention à ce que dit chez nous, la russophobie primaire, et disons-le, la bêtise qui s'y étalent ont dû te donner une bien piètre image de notre pays. Car c'est bien de la bêtise de relayer sans discernement la propagande d'américains que l'on sait experts en désinformation. C'est pure bêtise que de croire sur parole les affirmations du gouvernement de Kiev. C'est pure bêtise, surtout, de ne pas voir que nous avons tout à gagner d'un rapprochement avec ton pays.
La France n'a pas vocation à être le petit toutou docile de Washington. Elle doit redevenir une puissance d'équilibre, dont le destin est de faire entendre une voix singulière dans le concert des nations, de contester avec qui veut se joindre à elle l'hégémonie de qui prétend dicter sa loi au monde entier, aujourd'hui sous le masque hypocrite de la démocratie et des droits de l'homme. Certes, aujourd'hui nous en sommes loin. J'ai honte de ce pouvoir qui abaisse mon pays en abandonnant son indépendance, sa liberté de jugement et d'action au profit d'un suivisme atlantiste et d'une docilité dont nul ne nous saura gré. Mais Hollande n'est pas la France. Le règne de ce président de rencontre, comme celui aussi pitoyable de son prédécesseur, n'aura qu'un temps. Et j'ai bon espoir qu'un jour notre pays retrouve sa fierté. Tu peux comprendre cette confiance viscérale dans sa nation, toi qui es si patriote. Et ce jour là, nos deux pays pourront faire un bout de chemin ensemble, chacun en fonction de ses valeurs et de ses intérêts bien compris.
D'ici là, peut-être pourra-t-on apprendre à mieux se connaître. Tu considère, parait-il, les français comme décadents. Et je t'épargne ce que certains français disent de toi... Nous valons toi, moi, et nos pays respectifs, mieux que ces caricatures, ne crois-tu pas ?
bien à toi
Fabien, citoyen français
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