Cinéma : « Les Fiancées du Sud »

"Une vieille fille ne fait pas d'enfants" ; "l'homme conduit l'amour" ; L'homme apprend tout" ;"On a saigné tous les 2 la première fois" ; " L'amour çà me plaisait" ; " Je me touchais, mais pas loin" ; "La serviette pour ne pas tâcher les draps" ; "Ma mère qui avait peur que je tombe enceinte me disait : surtout "pas le bout" ; "En 30 ans je n'ai pas eu de plaisir" ; "Le plaisir solitaire c'est vital" ; "Au bal on attend le cavalier" ; " Après 30 ans de mariage, le plaisir enfin avec un autre" ;" Faire l'amour est la plus belle chose de la vie"... 

Ce sont "Les fiancées du Sud", "Las Novias del Sur" qui s'expriment ainsi sans détour, face caméra, dans le beau court métrage de Elena Lopez Riera, que la réalisatrice dédie à sa mère, "A mi madre". Film de 2024 qui débute par la photo de cette mère à son mariage. A une époque où "on se réjouissait de tout", où d'être mariée, d'être appelée "madame", çà posait ! Les unions duraient des décennies, étaient arrangées même si le curé pouvait insister sur l'amour indispensable pour le couple. Les mariages pouvaient permettre de secouer le joug familial de la "future" qui devenait femme au foyer, ne travaillant pas, avec un appartement indépendant des parents.

Les "fiancées du Sud" sont des femmes d'un âge mûr ( âgées de 60 à plus de 100 ans) qui se racontent. Elles sont interrogées sur leur vie amoureuse et sexuelle, mariage, première fois, procréation, à une époque où on ne parlait pas de sexe. En un temps où il y avait la guerre aussi. Elena Lopez Riera qui n'a pas connu le mariage, qui n'a pas d'enfants, qui rompt ainsi les relations mère-fille, se questionne. Et elle nous questionne sur des rituels accomplis par les générations passées, avec la tradition du mariage hétérosexuel éternel, le mariage en blanc, la virginité de la femme qui se donne à un homme. "Le corps de la femme devient un corps qui appartient à toute une société" nous dit-elle. Et les photos ou les films de mariages nous exposent ces corps de femmes "en transition" qui vont perdre leur virginité. 

Elena Lopez Riera, spécialiste du cinéma argentin, enseignante de littérature comparée aux universités de Genève, de Madrid et de Valence, a réalisé de nombreux courts métrages présentés dans les festivals, Cannes, Locarno, San Sebastian. Elle a réalisé "El agua" son premier long métrage présenté à la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2022. "Les Fiancées du Sud" ont pris naissance par des notes écrites il y a 20 ans. Mais ce n'est qu'après la quarantaine que la réalisatrice, qui rompait avec le récit du mariage de ses parents qui lui avait été transmis, a décidé du court-métrage. Le film mettant en perspective catholicisme, machisme et "appropriation culturelle du corps des femmes". 

C'est l'intimité, les confessions de ces femmes interrogées, qui permettent à la réalisatrice de communiquer avec sa propre mère, ce qu'elle n'avait sans aucun doute jamais accompli "par peur, par pudeur, par honte", comme elle l'exprime.

Elena Lopez Riera établit une zone de confiance indiscutable avec les femmes qu'elle filme et le spectateur en salle est au contact direct du récit de chacune d'entre elles. Une voix off fait le lien entre ces témoignages, voulue par la réalisatrice qui explique : "La voix off à la première personne, qui apparait, pose les questions que j'ai, concernant cet héritage qui m'a été transmis, concernant le corps, la sexualité, l'intimité, l'amour... Elle raconte l'échec que j'ai ressenti de ne pouvoir poursuivre cet héritage, mais c'est aussi l'affirmation que j'ai fait d'autres choix dans la vie. C'est une voix vulnérable car ce n'est pas une voix qui a une réponse..."

Au total un film qui s'adresse aux femmes, certes, mais aussi aux hommes qui ont toutes les peines du monde à envisager la vie amoureuse de leur mère, de leurs parents en général, pour les comprendre, appréhender leurs vies et eux-aussi "par peur, par pudeur, par honte"