Citoyen de seconde zone
Comme le nez au milieu de la friture sur la ligne politique.
Il y a quelque chose qui ne va pas, je viens subitement de m'en rendre compte. Je ne suis pas un citoyen ordinaire, un individu lambda. Je m'aperçois avec effarement que je ne bénéficie pas des mêmes égards que mes chers élèves, tous adolescents aux origines plus exotiques que les miennes. Alors, que tout comme leurs parents, je paie régulièrement mes impôts, je n'ai pas, comme eux, le privilège de profiter d'une surveillance rapprochée de notre police, qu'elle soit nationale ou simplement locale.
Il me faut examiner de plus près les raisons à mes yeux obscures qui me rendent ainsi si indifférent à la gent policière. Pourquoi, tout comme eux, je n'ai pas le plaisir de me voir contrôler plusieurs fois par semaine lorsque je circule dans le centre urbain de notre bonne ville ? La question m'interpelle. N'ai-je pas le droit, moi aussi, à cette considération bienveillante qu'on leur accorde avec un zèle dont je n'aurais pas de raison d'être écarté ?
Plus même que ce simple simple contrôle administratif, je suis mis à l'écart de la palpation et du tutoiement. Deux pratiques qui semblent leur être réservées et dont on s'obstine à ne pas me faire profiter sous prétexte que je suis trop vieux, trop conforme, trop Français. J'ai droit moi aussi à ces marques d'affection et de considération dont seuls, ces jeunes garçons colorés se délectent à longueur de journées.
Pourtant, j'ai le teint coloré ! Je suis plus rouge de peau que blanc et cette charmante distinction devrait elle aussi attirer l'attention de nos zélés gardiens de la chromatique nationale. Je sors du cadre, mon faciès est peu avenant, j'ai l'air mal aimable, un peu renfrogné et par dessus le marché, j'ai de fort vilaines pensées. Pourquoi diantre ne suis-je pas mis, comme eux à l'index ? Qu'ai-je fait pour mériter pareille négligence ?
Mais à bien y réfléchir, je ne suis pas considéré par nos gardiens de la paix comme je le devrais. Je remarque encore une autre discrimination dont j'ai à souffrir. Jamais le moindre képi ne pense à me saluer d'un geste fort martial. Jamais non plus il ne viendrait à l'idée de ces citoyens assermentés de m'ouvrir la route ou de me réserver une place de parking en centre ville. Je ne bénéficie d'aucun passe droit, d'aucune génuflexion, d'aucune attention particulière.
Il est vrai que je ne fais aucun effort. Je ne porte pas de cocarde tricolore, je ne roule pas en voiture officielle, je ne suis pas représentant du peuple bien que je sois le peuple lui même et en personne. Je suis un être bien trop ordinaire pour qu'on me distingue dans la foule de ceux qu'on ignore et qu'on laisse à leurs tracas de stationnement ou de déplacement.
Il y a ainsi dans ce pays des traitements de faveur desquels, avec une constante qui devrait m'interroger, je suis exclu. Et c'est curieusement vers moi qu'on se tourne en cette période d'élection pour demander ma voix, la solliciter avec des égards qui sont, le reste du temps, bien inhabituels.
Je réclame mon droit au contrôle d'identité. Il n'y aucune raison objective qu'il soit ainsi monopolisé par des jeunes gens au teint basané ou à la peau sombre ; à la coupe de cheveu hirsute ou colorée, à la tenue excentrique ou négligée. Je revendique l'égalité de tous devant ce simple geste comme devant l'ensemble des tracas routiers. Pas de distinction, pas de différence, la devise de notre République pourtant nous le rappelle.
Une fois encore, on va me traiter d'énervé. Les esprits bien pensants vont se gausser d'une telle prétention. Mettre chaque membre de cette communauté sur le même pied, ne pas distinguer les uns et les autres en fonction de leur âge, de leur couleur de peau ou de leur fonction. Tous égaux, sans distinction aucune, une demande simple, un impératif incontournable pour que cette nation se rappelle qu'une nuit de 4 août, elle avait aboli tous les privilèges, sans exception !
Égalitairement vôtre.
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