Clash Booba et Kaaris : la culture rap est-elle une culture de la violence ?
Les rappeurs Booba et Kaaris ont quitté la scène musicale pour rejoindre le rayon des faits divers et la case prison.

Ce n'était pas le tube, mais le clash de l'été. Le tribunal correctionnel de Créteil a condamné mardi 9 octobre les rappeurs Booba et Kaaris à 18 mois de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende pour leur retentissante bagarre à l'aéroport d'Orly début août.
Le procureur avait requis un an de prison avec sursis pour les deux prévenus et certains de leurs acolytes. Après avoir qualifié leur bagarre du 1er août de « spectacle indigne et ridicule », à « l'impact médiatique négatif extraordinaire », le magistrat a fini par littéralement « clasher » les clasheurs en les qualifiant de « petits bourgeois du clash ». « A les entendre (Booba et Kaaris, ndlr), on comprend que détourner le regard, baisser les yeux, s'asseoir, se taire, c'est déjà abdiquer, c'est déjà perdre la face, devenir non seulement la risée du clan rival mais de toute la planète », avait souligné l'homme de loi.
Au-delà de ce fait particulier, certains déplorent la « culture de la violence » concomitante au rap en général. « Il faudrait une sanction extrêmement lourde en travaux d'intérêt général. Il faudrait les obliger à aller expliquer pourquoi ils ont eu tort de se comporter comme ça devant leurs fans, devant tous les jeunes qui rêvent de devenir rappeurs », avait plaidé l'éditorialiste Christophe Barbier sur BFMTV, à propos des frères ennemis du rap français. Cette image de rappeurs violents se marie bien avec une autre : celle qui fait des représentants de ce genre musical des incultes, blindés à la testostérone et gonflés aux stéréotypes, et qui refuse d'y voir un genre artistique digne de ce nom.
Dès sa naissance, le rap se conjugue avec violence. Des textes de révolte scandés sur une rythmique basique. De Los Angeles à New York, dans les quartiers noirs retentissent ces cris de colère, notamment contre les brutalités policières. Une violence toujours présente aujourd'hui, dans les banlieues américaines, chez des rappeurs proches de gangs qui s'entretuent. Les stars du rap Tupac et Notorious B.I.G., froidement abattus, ont fait les frais de ce culte des armes à feu dans les clips et de la mort violente.
Dans les années 90, quand la culture hip-hop débarque en France, MC Solar s'inspire de Brassens, Renaud ou Verlaine et la plume remplace le flingue. IAM préfère aussi l'humour aux bastons. La violence semble absente du rap français. Mais, depuis dix ans au moins, sur les réseaux sociaux, les rivalités s'exacerbent. Par tweets interposés, on se charrie, on se toise, l'insulte n'est jamais loin. Et parfois les joutes verbales dégénèrent en combats physiques, comme dans la bagarre générale qui a éclaté à l'aéroport d'Orly. Cela a d'abord été la guerre entre Booba (encore lui) et Rohff, puis avec La Fouine, Kaaris et plus récemment Maître Gims (qui invoquait la mort de Booba). Quand on y regarde de près, les motifs sont assez obscurs, mais toujours liés à des histoires de contrats et d'argent, de rivalités de vues et de ventes, de fausses allégations. Le résultat est toujours le même : les belligérants font le buzz sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Dans une société où il faut faire du sensationnel pour exister médiatiquement et être rentable commercialement, le clash est un moyen que peuvent utiliser les fripons adroits pour l'emporter sur leurs concurrents. Plus que de leur caractère violent, les clashes qui opposent les rappeurs témoignent peut-être de leur bonne compréhension des exigences du marché et de leur désir de réussite commercial. Pour Benjamine Weill, spécialiste du rap, « il y a toujours un peu de communication là-dessous », observe la philosophe, qui note que Booba se retrouve depuis plusieurs années souvent mêlé à des clashs très médiatiques. L'experte du rap ajoute : « À chaque fois qu’il y a un clash, ils gagnent en notoriété. La preuve : depuis 24 heures, on parle beaucoup de cette histoire (…) Le sensationnel prend le pas sur tout le reste ».
Force est de constater que, dans le cas de l’animosité entre Booba et Kaaris, les motifs de haine semblent minces. En 2011, Booba, qui aime à parrainer les jeunes talents du rap, offre à Kaaris de participer à une mixtape, puis lui confie le morceau Kalash dans son album Futur. Kaaris lui en est reconnaissant. Mais, suite à une de ses disputes de coq avec les rappeurs La Fouine et Rohff, Booba accuse Kaaris de ne pas l’avoir soutenu. Depuis, c’est entre les deux hommes un assaut permanent de violence verbale. Cette hostilité ne relève-t-elle pas d'une stratégie médiatique bien conçue ?
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