Clearstream : les juges condamnent Sarkozy
Villepin relaxé dans l’affaire Clearstream, rend hommage au « courage » et à « l’indépendance » du tribunal qui l’a jugé. Et il oublie de remercier celui qui a également largement contribué à le faire relaxer… Nicolas Sarkozy lui-même.
Tout d’abord, personne ne semble s’étonner de l’hommage de Villepin à l’égard des juges : pourquoi faudrait-il des juges courageux dans une démocratie qui se respecte pour décréter qu’un innocent est innocent ? Ou pour demander au procureur qui soutient l’accusation de rapporter la preuve de la culpabilité de celui qu’il veut faire condamner ? Ne sont-ce pas nos règles de droit les plus intangibles ? A priori il suffit de faire son métier normalement, non ? Nous devrions être très inquiets de saluer le courage de gens qui font leur métier ; applaudissons-nous quand un professeur fait cours, ou quand un chirurgien opère, ou encore quand un avocat plaide ? Non, bien sûr. Alors pourquoi s’émerveille-t-on quand un tribunal fait application de la présomption d’innocence, et fût-ce au bénéfice du doute, prononce une relaxe ?
Il semble en vérité que les juges ne soient ni particulièrement courageux, ni particulièrement lâches. Ils sont des fonctionnaires chargés d’appliquer la loi, dans l’ensemble très respectueux des institutions qu’ils défendent. Ils sont notés, comme à l’école, avancent à l’ancienneté, tranquillement au fil des années, pour la plupart sans vagues. Dans l’ensemble, ils sont discrets et ne jouent pas les héros ou les fanfarons ! Mais depuis quelque temps s’est nouée une très difficile relation entre le judiciaire et l’exécutif. Face à la tentative de reprise en main des juges lancée par le gouvernement, ils se rebiffent, et le font savoir, à leur manière, feutrée, mais très ferme. Et le procès Clearstream vient à point nommé dans ce bras de fer. A cette occasion les juges ont démontré qu’ils n’entendaient pas se coucher devant le pouvoir, et ont rappelé leur attachement à offrir aux justiciables la parfaite image de leur indépendance. Et manifestement, Mr Villepin a su les convaincre que de prévenu, il était en réalité la victime d’un combat inégal et déloyal. Et cela, pour les juges, c’est insupportable ! Il ne saurait être question pour les magistrats qu’il puisse exister le moindre soupçon de partialité dans leurs décisions. Les magistrats dits du siège, car ils jugent assis lors des procès, à l’inverse des magistrats du parquet, dits debout parce qu’ils requièrent dans cette position aux audiences, (même si certains disent qu’ils sont en réalité couchés, car, pour ces derniers, soumis aux ordres directs de la chancellerie), se font un honneur de rendre des décisions, qui aient toutes les apparences de la neutralité. Et précisément, dans l’affaire Villepin, indépendamment du fond de l’affaire sur laquelle je ne porte pas de jugement, n’ayant pas accès au dossier pénal, la moindre décision de condamnation de Mr Villepin, aurait donné lieu à des interprétations mettant gravement en question ce principe d’indépendance, pour plusieurs raisons qui tiennent pour l’essentiel à l’incroyable maladresse du président de la république dans cette affaire.
En premier lieu, il parait tout simplement stupéfiant qu’un président de la République ait pu se donner le droit de se porter partie civile, alors que constitutionnellement, il est gardien de l’indépendance des magistrats. Je sais : le tribunal a tout de même déclaré légale cette constitution de partie civile du président. On voit donc par là même toutes les limites du « courage » du tribunal auquel Mr Villepin a rendu hommage, car, pour ma part, il me parait évident que « l’égalité des armes » entre les parties au procès, si chère à la cour européenne des droits de l’homme, a été totalement bafouée par cette constitution incongrue. Comment tolérer qu’un président qui a sous ses ordres le parquet, et qui bénéficie de l’immunité judiciaire durant son mandat - qu’on ne peut par conséquent pas poursuivre -, puisse, lui, poursuivre le citoyen lambda avec son armée de procureurs et de policiers ? En recevant cette constitution, le tribunal a posé lui-même les limites de son indépendance, qui franchement ne parait pas très féroce.
Alors ? Alors, il y a qu’en second lieu, le président en a « remis plusieurs couches », si l’on me permet cette expression familière ; en présentant avant même la décision du tribunal les prévenus comme des « coupables », en demandant à son avocat de ramener Villepin pendu à un « croc de boucher », expression attribuée aux nazis, à la fin de la guerre, à la suite de l’attentat manqué contre Hitler, en donnant instructions à son avocat de plaider pendant des heures interminables, jusqu’à épuisement final des magistrats, en concentrant toutes ses forces sur Mr Villepin, le président de la République a mis le tribunal dans l’impossibilité de condamner Mr Villepin. Car les condamnations, elles aussi, doivent être propres ; si le sang gicle sur les murs, si le prévenu, Mr Villepin en l’occurrence, hurle (très adroitement d’ailleurs) de douleur devant les caméras, en prenant à témoin de cette boucherie l’opinion publique, en pointant un doigt accusateur sur son agresseur, qui le poursuit de sa vengeance, entouré de ses enfants et son épouse, quasi à l’agonie, en pleine salle des pas perdus du palais de justice, le tribunal ne peut plus suivre. Ce n’est juste pas possible. Le doute qui existe dans beaucoup des dossiers pénaux tourne alors en faveur de l’accusé. Car il y a dans la plupart des dossiers de cette sorte une appréciation très subjective des preuves matérielles rapportées. La vérité est bien souvent difficile à cerner. Les preuves matérielles totalement indiscutables pour trancher, sans risques d’erreurs dans un sens ou dans l’autre, ne sont pas légion. Selon l’éclairage que l’on met sur telle ou telle pièce, l’angle que l’on prend, la décision peut varier presque du tout au tout. C’est pourquoi, les avocats ont pour habitude de dire qu’il faut donner envie au juge de relaxer si on veut une relaxe. Envie !
Indépendamment du fond, et eu égard à la présomption d’innocence, on peut dire que : nul doute, en donnant l’impression de s’acharner sur Mr Villepin, et en s’emparant de l’appareil judiciaire à la hussarde, le président de la république a donné le sentiment de vouloir instrumentaliser la justice, et il est au moins à 50% dans la relaxe de son ennemi juré.
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