Les slogans revendicatifs clamés au cours des manifestations font rarement dans la finesse dialectique, mais le « justice climatique », scandé à Copenhague à l’occasion
du très polluant sommet consacré au climat, atteint des cimes de niaiserie politiquement correcte.
Il y a mille et un motifs d’être écolo-réactif : l’air vicié qu’on respire dans les villes,les nitrates, phosphates, pesticides et engrais chimiques ou même naturels que les agriculteurs déversent dans les campagnes puis de là dans les cours d’eau, les sacs en plastoc qui dérivent en pleine mer, les élevages en batterie, les vaches folles, les bœufs hormonés, les moutons tremblants, les porcs et les poulets grippés, les saumons orange fluo, les algues vert flashy, les OGM, l’industrie chimique, le massacre des poissons, la menace sournoise de l’amiante ou de la filière nucléaire, en attendant que les nouvelles matières isolantes réputées 100% bio se révèlent elles aussi cancérigènes.
Mais tout ceci est affaire de militants de la cause, voire de spécialistes.
Pour le grand public, qui discute gravement de ces choses en attendant le train tout en laissant tourner le diesel devant la gare quand il fait froid ou en se tapant un MacDo à la pause de midi, le vaste chantier de l’écologie, qui envisage de modeler une planète plus saine pour tous ses habitants, se résume de plus en plus à la question du réchauffement climatique, emblématique sans doute, mais pas forcément centrale.
Quant à la « justice climatique », qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? 22° et du soleil tous les jours pour tout le monde, et la nuit, quand on dort, une petite bruine tiède pour faire tout pousser sans causer de dégâts ? Des avalanches au sud et des ouragans au nord ? Le désert à Paris et la Seine à Nouakchott ?
On enfonce des portes ouvertes, je sais, je sais, mais enfin, depuis 65 millions d’années et l’extinction massive des dinosaures, la Terre n’a cessé d’être par elle-même reconfigurée, glacée, réchauffée, humidifiée, asséchée.
La nouveauté, c’est que depuis environ cent-cinquante ans, l’activité humaine a apporté sa propre touche à une nature qui ne connaît ni la mesure ni le respect des espèces menacées, y compris la nôtre, contrairement à ce que certains écologistes naïfs ou roublards croient ou aimeraient faire croire.
Nous en sommes parvenus à un tel degré dans l’illusion panthéiste d’une planète pensante, naturellement amicale, sereine et réglée comme papier à musique, que de très sérieux météorologues n’hésitent pas à déclarer un jour qu’à 13° la température est légèrement supérieure à la moyenne saisonnière et le lendemain qu’à 11°, elle se trouve légèrement inférieure à cette moyenne.
Déduction du béotien en cette discipline quelque peu surestimée eu égard à ses prévisions hasardeuses ? La moyenne, c’est 12° pile. A ce niveau d’immuable précision, on n’est plus dans la climatologie, mais dans la rigueur implacable de la mathématique ou dans le foutage de gueule, au choix.
En fait, tapies derrière la grande peur du réchauffement, il y a tout bêtement la trouille et la frustration très modernes de ne pas tout contrôler tout le temps.
Les Anciens étaient plus modestes, et plus prudents. En s’éloignant de la mer, Londres, Lutèce et Rome n’espéraient pas seulement se préserver des invasions immédiates, mais aussi des raz de marée et autres tempêtes dévastatrices.
Il se pourrait bien que de vastes cités maritimes aient bientôt les pieds dans l’eau ?
Eh bien, aujourd’hui comme hier, les humains n’attendront probablement pas stoïquement la noyade.
Les insulaires qui peuplent des îles au ras des flots retourneront sur le continent d’où leurs ancêtres ont un jour appareillé, quant aux autres habitants des littoraux exposés, plutôt que de boire le bouillon, ils reculeront leur ville de quelques dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres.
Où ils s’apercevront peut-être, qu’après tout, ça n’est pas plus mal, qu’il n’y a pas de raison de s’obstiner à bâtir lotissements et bidonvilles avec vue sur les flots bleus, qu’on peut construire les mêmes avec vue sur les collines verdoyantes ou sur des dunes.
Il n’y a ni fatalité à ce que les enfants soient aussi bêtes que leurs parents ni conditionnement génétique à répéter toujours les mêmes erreurs.
Un peu moins de conformisme de la part des masses suffit généralement à ébranler n’importe quel dogme, à remettre en question n’importe quelle pseudo-vérité éternelle, à dépasser n’importe quel système « indépassable ».
Car le véritable enjeu se trouve là, dans une remise en cause radicale de tout le processus capitaliste –libéral ou autoritaire, privé ou étatique, peu importe- de production et de consommation de masse, de vertigineux écarts de revenus et de standards de vie, de tout pour une minorité, de rien pour les autres.
A cela, proposer comme alternative la « croissance verte » est une aimable fumisterie.
La « croissance verte », c’est des marchés pour certains produits, souvent coûteux, –habitations, véhicules, aliments- certes, mais les professions qui en tireront bénéfice ne pèsent pas grand-chose par rapport à celles que la décroissance dépolluante pénalisera.
N’en déplaise aux rêveurs romantico-bucoliques, nous ne vivons plus dans un vaste monde modestement peuplé il y a seulement deux siècles d’individus aux appétits très majoritairement frugaux, mais sur une surface étroite surpeuplée de gens qui réclament légitimement leur droit au confort, leur part du gâteau.
Même s’il n’est la victime que de sa propre hybris (ou démesure), la faillite de l’émirat de Dubaï est à ce titre prémonitoire : pour lui, fuite des capitaux ou croissance verte, c’est de toute façon le retour au désert et pour ses dizaines de milliers d’employés, le chômage, y compris vert.
Régulation drastique des naissances (par une incitation financière mondiale à l’enfant unique, c’est-à-dire tout le contraire des allocations aux familles nombreuses), réduction drastique de la production, réduction drastique de la consommation (au moins dans les pays les plus prospères), réduction drastique des flux touristiques, fin du « nomadisme » professionnel si prisé des sociétés nanties, limitation des transports au strict nécessaire, limitation des communautés urbaines à un million d’habitants au maximum, et le réchauffement climatique apparaîtra ainsi qu’un moindre mal sur une Terre assez souple, à tout point de vue, pour s’en accommoder.
A nos turbo-écolos, touristes professionnels, les Hulot, Arthus-Bertrand et Sarkozy -qui à eux seuls doivent dégager annuellement autant de gaz à effet de serre qu’une ville de 3000 habitants- de se montrer intransigeants sur tous ces points plutôt que de psalmodier Co2 ! Co2 ! comme si sa réduction était la solution-miracle à tous nos problèmes.