Coke en stock (LXXXI) : l’esbroufe vénézuélienne
Tout se passe comme si depuis plusieurs années, au Venezuela, on annonçait au peuple des choses complètement fausses, dans plusieurs domaines. De la propagande, comme on dit, telle celle récurrente, d'un "complot extérieur" en préparation. Certes, lorsque Chavez évoquait le rôle trouble des agents la CIA dans les difficultés du pays, ils n'avait pas totalement tort, mais il n'empêche : pour ce qui est de la thèse de l'impitoyable défense aérienne abattant n'importe quel avion tentant de franchir la frontière aérienne du pays, ça ne tient pas debout, on vient de le voir. Alors pourquoi donc ce pouvoir ment-il autant sur cette question, c'est tout l'enjeu de cette suite d'épisodes. Se fait-il mener par le bout du nez par la DEA, qui semble bien proche à bien des égards de certains membres des Cartels, ou a-t-il peur de révéler des choses compromettantes pour ses généraux, qui profitent du trafic, on ne sait ce qui le hante ou le ronge. Pendant ses hésitations à intervenir, en tout cas, les avions bourrés de coke continuent à décoller tous les jours de l'Apure, devant des autorités bien passives...
Pas le seul
Notre appareil de novembre dernier n'est pas le seul avion a venir visiter l'état d'Apure, décidément très en vue des avions transporteurs de coke. Le 4 novembre 2013, on annonce qu'un autre exemplaire est venu "visiter" les terrains boueux du plateau, plusieurs mois auparavant, début juin 2013. Là encore, un biréacteur présenté par les militaires vénézuéliens comme ayant été "abattu", dans un premier temps, puis "forcé" à atterrir" dans un second, ses pilotes lui ayant mis le feu après, selon les autorités. Un "Avion Citation 525" selon le ministère de l'air. En fait un Hawker Siddeley HS-125, précédemment volé au Mexique, et immatriculé N770PJ. Appartenant à JetNet, et "disparu" quelques heures plus tôt, ce même 6 juin, de l'aéroport international de Mérida, dans le Yucatán. Le responsable de NetJet, avait aussitôt déposé plainte, indiquant que son pilote se nommait Eduardo Alberto Romero del Valle, et son copilote Oscar Armenta. Qui confirmeront tous deux le carnet de vol de l'appareil : venu des États-Unis, le Hawker avait fait un premier arrêt à l'aéroport de Pachuca, dans l'état d'Hidalgo, qu'il avait quitté vers 19h28 le vendredi, pour arriver après 21h00 à l'aéroport de Merida, pour faire le plein ("à ras bord" indiquaient les pilotes), selon le témoignage du co-pilote, qui a dit devant le procureur que la destination finale du voyage était à Chichen Itza ; et qu'il devait continuer le voyage dans la matinée du samedi, de sorte que l'appareil était resté dans l'un des hangars de l'aéroport, où il avait manifestement été volé.
On retrouvera l'appareil écrasé dans l'état de l'Apure, encore une fois incendié, selon l'armée vénézuélienne par ceux qui l'avaient volé. Etrangement, sur les photos montrées, le code d'identification de l'avion avait été... délibérément et maladroitement effacé. Personne ne comprenant pourquoi avoir communiqué aussi tardivement, sur ce crash, de la part du gouvernement vénézuélien. A l'évidence, l'avion avait réussi à se poser, et avait été incendié bien après. Mais par qui alors ? Selon le journal El Nacional le Venezuela a affirmé que " des sources de renseignement indiquent que l'avion était contrôlé par le cartel de Sinaloa." Combien peut donc transporter de drogue un Hawker 125 (907 kg, dans les soutes à bagages, soit presque une tonne de coke) mais l'avion peut emporter au total 3 tonnes à bord) ? Pourquoi avoir recours à un tel (couteux) avion ?
Les accusations de Schmidt
Cette implication directe des militaires, est en fait visible partout, même après le décès de Chavez. Dans l'excellent documentaire "Paris Medellin, sur la route de la coke", de "Spécial Investigation" signé Thierry Gaytan (produit par Pallas Television-Canal Plus), on visite avec le journaliste le port de la Guaira, deuxième port du pays, où s'entassent les containers qui abritent le trafic de cocaïne, celle-là même dégustée en boîte de nuit parisienne au début du reportage. Sur le port, on rencontre Rodolfo Schmidt, l'ancien rédacteur en chef d'El Diario de Caracas, toujours leveur de lièvres (lisez celui-ci !), qui explique que le Venezuela, sous Chavez, est devenu le "porte avion" des trafiquants, qui y déversent le chiffre ahurissant de 900 tonnes de coke par an selon lui (soit plus de 4 fois le total estimé par la DEA en 2001 !).
Une fois exportée, ça leur rapporte 60 milliards de dollars chaque année, dont 20% reversé selon notre interlocuteur "à un cartel des généraux, des militaires parmi les plus haut placés, protégés par Hugo Chavez". Quand la drogue ne part pas de la Guaira en container, elle s'envole de Caracas ou de pistes clandestines disséminées dans le pays comme on a pu le voir dans les épisodes précédents. Voire y est amenée à la tonne par avion, pour être dispatchée après dans les ports ou via des mules : le Venezuela est bien une plaque tournante du trafic, combinant plusieurs moyens de transport, dont de coûteux avions qu'on n'hésite pas à abandonner, une fois déchargés de leur contenu de cocaïne !!!
Le fameux Bombardier BD-7000 du Cap Vert
Car le trafic n'a pas de cesse, et en Europe, on en ignore une grande partie encore. L'infatigable Rodolfo Schmidt cite dans ses exemples celui du gouverneur de l'Etat de Carabobo, Henrique Fernando Salas Römer, lui reprochant en août 2012 son attitude lors de l'affaire du "Bombardier 700". Vérification faite, c'est bien un énième envol de cocaïne avec comme départ le Venezuela, à part que cette fois l'appareil se fera prendre à son arrivée à destination à l'autre bout de l'Océan : les autorités vénézuéliennes avaient indiqué que l'avion, un Bombardier BD-7000 d'enregistrement maltais, immatriculé 9H-FED, avait atterri au Venezuela un samedi soir en provenance de Trinité-et-Tobago, avec un plan de vol prévu le jour suivant pour la Grenade. Ce plan de vol avait également indiqué que l'avion, âgé de 39 ans, mais en parfait état, devait se rendre également le lendemain au Brésil.
Mais l'appareil avait décollé le dimanche à 02h26 heure locale (07H00 GMT) lorsque l'aéroport était encore fermé, et s'était dirigé à l'est au moment où une demande d'Interpol à son égard avait été notifiée : en somme ; cette fois-ci c'était une intervention ratée... ou un décollage rapide après avoir été prévenu par on ne sait qui : voilà qui tombait à pic pour lui ! Ou mieux : encore un avion volé, tout simplement (on verra plus loin ce qu'il en était exactement) ! On coincera néanmoins l'avion à son atterrissage aux Baléares, sur l'île de Las Palmas Gran Canaria avec 1,588 tonne de cocaïne à bord. A peine descendu de l'appareil, son pilote (colombien) affirmera être innocent, et faire partie d'une opération anti-drogue appelée " Droga Controlada", dirigée par le Venezuela, selon une certaine presse !!! Je reviendrai un peu plus loin sur ce cas pendable, car ces explications se révéleront pour la plupart fausses.
L'étrange show médiatique de Tareck
Un blogger faisant remarquer que c'était la même excuse ou presque “Droga Vigilada" cette fois-là qui avait été utilisée lors de la saisie étrange d'un autre avion, le 12 août 2011, un Beechcraft YV-2531, à l'historique bien surprenante. L'avion avait en effet été montré triomphalement par le ministre de l'intérieur vénézuélien, Tareck El Aissami, proche de Chavez, et d'origine syrio-libanaise, né à Le Viglia,à Mérida en 1974. L'étalage sur le tarmac de l'opération "Droga Vigilada" la drogue saisie à bord avait surpris : on aurait voulu montrer en exemple de l'efficacité nouvelle des policiers vénézuéliens qu'on ne s'y serait pas pris autrement. A la base de La Carlota, où le King Air avait été ramené après avoir été "découvert" à Cape San Román avec 1400 kilos de cocaïne à bord en effet, le ministre Tareck El Aissami, avait fait sur place un vrai show médiatique : "le ministre Tarek El Aissami annonçait sur la chaîne VTV ce "démantèlement" d'une organisation dédiée au trafic de drogue et d'avions (King Air YV2531) qui allait emporter de prendre de la drogue à destination de l'Amérique. Tarek El Aissami ajoutait qu'une piste clandestine avait été détectée, et que les fonctionnaires CICPC étaient présents lors d'une fusillade au cours de l'incident. Deux personnes étaient mortes et deux avaient été blessés. "Ce était une opération très complexe dans laquelle on peut saluer la participation des agents de police", a déclaré solennellement le ministre. Et l'avion surprenait lui aussi également, mais pour une toute autre raison : ce Beechcraft 300 de 1986 enregistré au départ au Mexique avait en effet déjà été saisi par les vénézuéliens en 2008, car retrouvé abandonné par des trafiquants au Ramon Villeda Airport !
Un avion de trafiquant récupéré par l'armée et redevenu trafiquant ?
Deux ans plus tard, le 7 novembre 2010, un gang inconnu investissait la base de l'Armando Escalon à San Pedro Sula, où on l'avait parqué, assommait deux gardes et décollait aux commandes du Beech au nez et à la barbe des militaires. Le 13 novembre suivant voilà le même avion qui atterrissait carrément sur une route à Belize... lors d'une opération rondement menée, avec feux de signalisation déposés sur le bitume à endroits réguliers et camionnettes pour embarquer la coke.
Du vrai travail de pro !!! L'avion laissait plus a désirer : il avait été repeint et ré-immatriculé grossièrement N786B avec des numéros auto-collants mal découpés, et vidé de ses sièges ; pour laisser la place à l'imposant chargement de cocaïne. Mais son registre indiquait bien le modèle Beech 300 Super King Air Fa-137, ex N467JB, ex C-FTLB. L'avion, intact (mais vide de ses sièges !) avait ensuite été rapidement revendu par Belize huit mois après à un broker américain, Hector Schneider, d'Eagle Support Corp, installé à Doral, en Floride (fief on le sait de la CIA, ce qui rendait l'histoire encore plus savoureuse, qui l'avait donc ré-exporté au Venezuela, où il avait pris le numéro YV2531) !! Lors de son véritable show, devant les plaquettes de coke étalées devant l'appareil, El Aissami avait oublié de parler de plusieurs choses : en un premier temps, aucune identité de trafiquants n'avait été révélé et pas davantage le pilote et le co-pilote ou de l'aéronef. Et surtout, il n'avait pas expliqué comment l'appareil avait à nouveau pu s'échapper de l'aérodrome de la Carlota où il était revenu : c'est aussi un aérodrome militaire, pourtant, ce qui avait intrigué pas mal d'internautes !
L'appareil ayant fait plusieurs vols entretemps, dont El Aissami ne donnait pas non plus le détail. Les aéroports militaires vénézuéliens seraient-ils devenus des passoires ?
Un pilote... ancien de la Police !
Bref, le show masquait à l'évidence des informations cruciales. Tout d'abord, c'est dans une des deux camionnettes venue à son secours que l'on avait en effet retrouvé des paquets faisant au total 5704 livres, soit 2 604 kilos de cocaïne de première qualité (soit pour 57 millions de dollars !), et non dans l'avion même. Ensuite, c'est la version de l'arrestation proprement dite qui ne tournait pas rond : selon Tarek El Aissami l'avion avait décollé de La Carlota, aéroport militaire, avec comme destination du plan de vol la direction du Josefa Camejo Las Piedras Falcón, où il ne s'est pas rendu, se détournant vers Cape San Román juste après son décollage, où il aurait alors été aperçu par un policier (quelle chance !), Enri Mosquera, volant à basse altitude vers 19H30, heure locale. A 20h43, un groupe de policiers arrivés sur son lieu d'atterrissage aurait reçu sur place "des tirs violents", provenant "d'au moins quarante personnes". La fusillade faisant effectivement deux morts : cun vendeur de bananes, Edilberto Rosales Escalante, et Luis Alberto Fuentes Pernia, le co-pilote de l'avion, lors de l'affrontement, un officier de CICPC Caracas, identifié comme Jose Hernandez, avait été blessé et renvoyé à l'hôpital Sierra Street à Punto Fijo. Huit trafiquants avaient été arrêtés. Autour de l'avion, on avait saisi un van Cheyenne (70VPAE) et une Chevrolet Spark (AC28OEA), arrivés pour l'occasion et aider à décharger la drogue (ou la charger).
Mais l'info qui n'était pas donnée à la presse est celle de la raison de la mort de Edilberto Rosales Escalante, l'homme qui conduisait un troisième véhicule, une Ford F-350 (A76AEOB, exemple à droite) et qui avait mené à la cache où avait été stockée la cocaïne (sans lui on ne l'aurait pas retrouvée !), et surtout celle de Luis Alberto Fuentes Pernia, un homme... qui avait était membre... de la brigade Actions Spéciales CICPC de Caracas (División Aérea del Cuerpo de Investigaciones Científicas, Penales y Criminalísticas) depuis vingt ans... comme pilote. Il avait été renvoyé en 2004 pour... trafic de drogue. Or c'était lui, justement, le copilote de l'avion !
Un drôle d'avion
Des enquêteurs indépendants découvriront que l'avion avait fait pas moins de cinq cycles de décollages / atterrissages entre La Carlota et Cabo San Román ; et que c'était un avion qui avait été vidé de son intérieur faire de l'espace pour la drogue comme c'est l'usage chez les trafiquants (en somme on l'avait laissé tel quel depuis son aventure au Belize !) ! Mieux encore, puisque l'appareil avait été enlevé de l'aéroport de Josefa Camejo par un homme qui s'était identifié comme "le capitaine Morales", du CICPC ! C'était lui, en fait, lui, Rafael Morales, du CIPC, le pilote réel de l'appareil, son autre collègue inspecteur du CICPC Pedro González s'occupant de la tour de contrôle lors du décollage ! Cela, on ne le saura que le 11 septembre, grâce à une enquête précise du journal Nacional. "Des sources proches des enquêtes en cours dans le cas du narco-avion qui a été trouvé à Cape San Román le 12 août avec 1400 kilos de cocaïne, affirment que le pilote de l'aéronef est un inspecteur de la Division des enquêtes Air Corps scientifique, pénal et criminel (CICPC), qui a plus de 20 années d'exercice derrière lui. Jusqu'à présent, ni le gouvernement ni l'CICPC ont signalé qui était le pilote, et il est évident qu'ils ne sont pas disposésà à en parler. "Nous savons qui est l'officier qui a piloté l'avion King Air 300 pendant la procédure. Cet agent travaille comme pilote dans ce corps depuis plus de 20 ans ", a déclaré un fonctionnaire de police qui a requis l'anonymat. Le fonctionnaire qui donne des détails sur le pilote présumé de l'avion de la drogue soupçonne que l'équipage qui a effectué le vol de San Roman 12 août est le même qui l'a déplacé à l'aéroport international de Josefa Camejo à Punto Fijo, pour donner les détails la procédure lors d'une conférence de presse, puis pour le ramener à la base aérienne de la Carlota".
Un gros mensonge, et une manipulation totale
Coincé, El Aissami sera obligé de reconnaître "qu'il connaissait les faits".... Bref, la belle histoire de Tareck El Aissami ne tenait pas debout et cachait surtout une belle manipulation : encore moins les deux décès lors de la fusillade annoncée... selon les avocats des trafiquants, dont Euro Hill, avocat de la défense, surtout, le vendeur de bananes et le copilote, surtout avaient été tués d'un tir dans la poitrine et Penia d'un seul coup de feu en pleine tête, et non lors des heurts décrits. On était loin, très loin, de la version officielle !
Davantage une tentative de vol de cargaison de coke qui a mal tourné qu'une opération de police réussie !!! Les ONG locales, plutôt peu loquaces, habituellement, trouvaient la version gouvernementale passablement grotesque : "Rocío San Miguel, coordinateur de l'ONG, estime que les annonces générales Padrino López sont "exhibitionnistes" et mettent en danger les pilotes de chasse, qui sont environ 10, pour les vols de drogue. À son avis, les autorités compétentes devraient expliquer au pays la portée de ces opérations. Les autorités affirment que c'est un combat de « mafias » de trafic de drogue cherchant à utiliser notre pays comme une plate-forme pour la distribution de la drogue, en violation de notre espace aérien ". Alejandro Keleris du Bureau national antidrogue (ONA), a qu'il a essayé de parler à plusieurs reprises, n'a pas daigné lui répondre. Au total, dans l'affaire, sur 8 personnes arrêtées, quatre seront des officiers de Polifalcón, un autre, un agent de la Garde Nationale... et trois civils seulement dans l'affaire ! Pas de quoi pavoiser comme avait pu le faire le ministre Tarek El Aissami ! Bien au contraire !
On est loin encore d'en avoir terminé avec le pays. D'autres révélations nous attendent...
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