Combien coûte le temps

Cronos est le père de tous les dieux, car sans le Temps la vie est impossible. Aux contraintes du nombre et de l’espace s’ajoute donc celle du Temps, qui inscrit les sociétés dans l’Histoire.
C’est très tôt dans la vie des sociétés organisées que la notion de Temps a été mise en relation avec l’Histoire, car elle découle directement du rapport des hommes avec leur humanité, en établissant les liens avec la mort et la conscience de soi, l’individu.
Le Temps peut être considéré à la fois comme un ennemi ou un ami, une chance ou un poids, selon les époques et les sociétés qui l’ont défini. La fin d’une souffrance pour certains, la fin de tout pour d’autres, chacun a les capacités de juger le temps qui passe à la mesure de l’instant présent, ou de ses croyances futures. Mais nul ne peut nier sa force constante et inaltérable, ni son inéluctabilité.
Bien sûr, la science s’est très tôt penchée sur l’étude du Temps, car la survie des hommes en société en dépendait ; « gouverner c’est prévoir », mais aussi organiser. Et pour y parvenir, les hommes ont décidé de le comptabiliser, pour pouvoir le calculer. Mais l’apprivoisement du Temps n’a pas toujours été à la portée de tous, et les batailles pour se disputer son contrôle n’ont pas toujours été pacifiques, car le pouvoir de celui qui contrôle le Temps est immense : il a la capacité de diriger l’action des hommes.
Dans les premières civilisations, le chef suprême était considéré comme une sorte de gardien du Temps, qui par sa capacité à prévoir les récoltes, ou à organiser de grands projets, faisait le lien entre le divin et l’humain.
Ensuite, avec l’avancée des sciences et l’apparition du monothéisme, les êtres humains ont fini par comprendre que sans l’existence d’un Dieu, et donc de l’espérance d’une éternité, leur vie des hommes n’était plus une « goutte d’éternité », mais un compte à rebours. C’était comme partir d’un point A vers un point B, avec une probabilité de ne pouvoir reculer ce point B que de très peu. Certains imaginaient bien un point C qui suivrait le point B, mais rien ne le prouvait certainement. Alors en attendant, il fallait bien se satisfaire de la première certitude.
C’est ce rapport réel au Temps qui permis dans un premier temps aux églises de conditionner les actions des hommes à leur volonté. Face au Temps qui passe, l’homme devait trouver sa place, et aussi la laisser aux suivants. La peur et l’espoir d’une vie éternelle étaient la carotte et le bâton lui permettant d’avancer, et le temps qui lui était imparti une course à la réussite d’un maximum de « bonnes actions », dont les règles étaient définies par les maîtres du Temps de l’époque, à savoir les différentes églises.
Mais la science toujours avançant, la possibilité d’un Dieu reculant et le nombre croissant d’églises troublant peu à peu les règles jusqu’à les rendre inintelligibles (protestants estimant la réussite financière comme le résultat d’une élection divine, voeux de pauvreté des catholiques contredits par la richesse du Vatican…), il advint que le capitalisme a fini par remplacer la religion à travers sa relation au Temps : aujourd’hui , le temps c’est de l’argent. cette définition du Temps est aujourd’hui universellement acceptée, et cela par dessus le pouvoir des religions.
Il est désormais défini que le temps n’est plus un cadeau des cieux destiné à satisfaire le plaisir des hommes et leur permettre de “bonnes” actions, mais une contrainte absolue tournée uniquement vers la notion de profit, d’accumulation de richesses (la rationalisation de l’individu).
Le capitalisme est la nouvelle religion universelle, car elle conditionne la vie des individus à un calcul qu’il est impossible de refuser : soit l’on gagne du temps en dépensant son argent, soit on gagne de l’argent en dépensant son temps. Le salaire de l’homme est fonction du temps qu’il passe au travail, et le temps qu’il prend pour ses loisirs est le péché sanctionné par cette nouvelle église.
Finalement, le Temps est devenu au fil des âges une donnée capitaliste qui a un prix, celui du temps des hommes, celui de leur bonheur en quelque sorte, que l’on achète ou vend en fonction de ses moyens.
De plus, il faut ajouter que le prix du Temps est en constante augmentation, car il finit par se faire rare. Les jours de notre planète sont comptés (que ce soit en milliers ou en millions d’années), la science nous ayant appris à la fois la fragilité de celle-ci et les moyens de la détruire. Le capitalisme ne nous a toujours pas guéri pleinement de nos incertitudes quant à l’éternité, et veut absolument nous faire croire à la nécessité de tout vouloir ici, et maintenant. La peur d’un Juge suprême ayant presque totalement disparu, l’homme qui a vendu le Temps a en même temps perdu l’espoir, à un tel point qu’il est aujourd’hui capable de brûler les générations suivantes sur l’autel du Dieu Argent, pour pouvoir continuer à accumuler.
Après ça, il ne reste plus qu’à espérer que l’éternité n’existe pas.
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