Discours libre d’un descendant de colons à l’occasion de la cérémonie d’abolition de l’esclavage de la ville de Seyssins - Isère
Je suis venu vous parler du passé, de notre passé.
Celui qui a fait se rencontrer sous des cieux bien lointains nos deux mondes, le monde africain et le monde européen. Ce rendez-vous de l’Histoire à la croisée des continents et du nouveau monde va bouleverser notre humanité au-delà de nos désespérances.
Philosophiquement, une nouvelle terre, c’est toujours un espoir, l’ambition d’un monde nouveau débarrassé des oripeaux de l’ancien. On l’imagine pleine de promesse, on s’imagine tout mettre en oeuvre pour la préserver des erreurs du passé. On souhaite que les bonnes fées se penchent sur ce nouveau berceau d’humanité pour lui promettre bonheur et richesse.
Combien sont-ils à avoir traversé les mers pour trouver enfin les indes orientales. Sur leur route, ils ont croisé le chemin de petites îles situées avant le grand continent espéré, ces îles antérieures deviendront les ant-isles, que l’on connait mieux de nos jours sous le vocable Antilles. Qui aurait pu croire que déjà à cette époque, l’enfer pouvait exister au paradis. De ces îles vidées de leurs habitants primaires nous n’avons gardé de l’époque que le nom « Madinina » pour la Martinique ou « Karukera » pour la Guadeloupe Les européens n’y voyaient qu’un paradis commercial, un Eldorado.
De l’exploitation nécessaire de la terre à celle des hommes, il n’y a qu’un océan à traverser d’autant que l’esclavage, l’exploitation des hommes par d’autres hommes existait déjà sur le continent africain. En effet, les traites dites internes et orientales ont concerné respectivement 14 et 17 millions d’africains. Les européens ont donné un nouvel essor à ce sinistre trafique en déportant jusqu’à 11 millions d’individus. C’est donc en débarquant sur la côte ouest de l’Afrique que le premier bord du triangle infernal allait prendre corps. Contre menus objets et pacotilles des chefs de tribus allaient vendre ce qui faisait la force de leur peuple, l’avenir de leur civilisation, le corps d’un pays. Lorsque la moisson commerciale se révélait trop faible, des rafles étaient réalisées le long des côtes afin de compléter la cargaison.
On achète, on vend, on échange, on vol ; mais de quoi parle-t-on ? De chair humaine, traitée comme une vulgaire marchandise, d’une force de travail dénuée de toute âme, d’un moyen de production. L’humain a perdu tout sens, celui de la raison pour les uns, le sens de la vie pour les autres. La marchandise bien harnachée en fond de cale, l’avenir était enchainé aux destinées d’un bateau lui-même soumis aux aléas de l’océan et au bon vouloir de l’équipage. Le navire trace alors le deuxième bord de ce triangle infernal. Le bord de tous les dangers. Celui de la faim, de la soif, de la mort. La petite mort de l’âme d’un peuple aux fers, à la grande mort du corps épuisé de souffrance. Le navire se vide peu à peu des corps inutiles et de l’inutile résistance.
De la certitude de ne jamais retrouver le pays natal à l’incertitude d’une destination inconnue, c’est un voyage où l’on meurt deux fois et d’où beaucoup ne reviendront jamais. L’arrivée n’est qu’un nouveau début. Le marché aux esclaves qui vient sceller son sort à un maître et la plantation. Des journées de labeur jusqu’à l’épuisement et la maigre pitance à partager. Le fouet, la punition, la privation, l’entrave, la dégradation, tel était le quotidien de ces hommes que l’on prétendait sans âmes. Ce passé de violence, de souffrance et de désolation ; c’est notre héritage commun, notre part d’histoire commune. Il a fait de nous descendants de colons blancs et descendants d’esclaves noirs des frères de sueurs et de sangs.
Si je ne peux être tenu pour responsable du passé, je porte en moi une part de cet héritage, tout comme certains d’entre vous en portent une autre. Cette part d’héritage est aussi une forme de responsabilité historique, celle qui m’incite à poser un regard rétrospectif sur ces événements du passé et sur la résonance qu’ils ont encore de nos jours. Si vivre avec son passé n’est pas toujours facile, cela est d’autant plus difficile lorsqu’il porte en lui le germe de la douleur, de la douleur subie, mais aussi de la douleur provoquée. C’est le 10 mai 2001 que la traite négrière a trouvé sa qualification historique et légale ; celle d’un crime commis contre l’humanité. C’est toujours avec une grande tristesse lorsque je me projette dans cette période trouble de l’histoire de notre humanité. Il est pourtant important de s’y plonger à cette heure et en cet instant ou nous commémorons son abolition.
L’esclavage a été un moment terrible et atroce, une insulte faite à l’humanité, une offense à la liberté qui n’a pas honoré ceux s’en sont rendus coupables. Il faut pourtant savoir tourner les pages d’un livre sans les déchirer. Pour ce faire, nous devons trouver la force et le courage de la tourner ensemble afin que la page blanche qui s’ouvre à nous s’écrive d’une encre noire sereine et réconciliée. Un travail de mémoire si il intègre les éléments objectifs du passé, ne peut porter ses fruits que si il est accompagné d’un travail subjectif et individuel.
Il faut que nous tous et chacun d’entre nous, héritiers d’un passé noir et blanc, sachions faire la paix avec les secrets de notre âme. Il faut que nous apprenions à chasser les fantômes illusoires d’une condition que nous vivons par procurations. Arrêtons d’être les esclaves d’une histoire qui nous enchaîne dans des rôles et des postures qui n’ont aujourd’hui plus de sens. Quel antillais peut prétendre l’être plus qu’un autre. Un même parler, une même terre, une même culture, un passé commun et un avenir à partager. Croyez vous sincèrement qu’il y ait plus de différences culturelles entre un antillais blanc ou noir qu’entre un métropolitain de Lille et de Marseille. Ils ont pourtant bien souvent la même couleur.
Alors oui, il y a l’habitude, l’éducation, les préjugés qui ont comme l’on dit la peau dure. Et en matière de préjugés, je vous sais gré de reconnaître qu’il n’y a pas forcément de couleur dominante. Mais le temps fait son oeuvre et il réclame aujourd’hui de nous que nous soyons ses serviteurs. L’histoire nous a bien souvent donné rendez-vous, souvent pour se confronter, rarement pour se retrouver. Cette commémoration est à mon sens, une chance à saisir.
J’ai toujours pensé que le seul moyen de briser les chaînes du passé était qu’il soit partagé par tous les maillons de l’histoire. Sans prétention aucune mais plutôt avec beaucoup d’humilité le maillon que je représente essaie d’apporter sa pierre à la réconciliation de deux mondes si proches et si éloignés. Je le fais avec d’autant plus de conviction que le peuple des Antilles est d’une composition beaucoup plus complexe qu’il n’y parait. Ce peuple au coeur entrelacé et au sang mêlé est finalement si mélangé, que rejeter une de ses composantes revient très certainement à rejeter une part de soi même. Si certains se complaisent dans ce masochisme parricide ; à mon sens il ne sera pas source d’évolution et d’apaisement.
La différence et la diversité sont le ciment des Antilles. Ils sont le lien invisible mais bien réel de ce qui rapproche les blancs et les noirs. Des deux côtés de l’arc en ciel antillais, se déploie une palette de couleur infinie qui est la preuve bien vivante de ce lien charnel qui n’a jamais cessé d’exister.
Mon geste, c’est avant tout celui de la reconnaissance de l’esclavage comme d’un crime contre l’humanité. Une telle reconnaissance publique, exprimée par un descendant de colon à l’occasion de la commémoration de l’esclavage n’a jamais eu lieu sur le territoire métropolitain. C’est donc en soi un symbole.
Ce geste, c’est aussi celui de s’approprier cet événement pour lui donner une dimension plus universelle. Je souhaite par ma présence que la commémoration de l’abolition de l’esclavage puisse être un moment de partage entre tous ceux qui portent en eux ce passé, qu’ils soient descendants d’esclaves ou descendants d’esclavagistes.
Ce geste, c’est un appel à la concorde, à la réconciliation, un appel à travailler ensemble afin de poser les bases de relations saines et renouvelées. C’est une invitation à regarder collectivement notre passé sans se voiler la face. De ne jamais oublier le pire, mais d’essayer d’en retirer le meilleur, d’en retenir ce qui nous lie plus que ce qui nous sépare. C’est une main tendue vers l’avenir afin que nos enfants, nos petits enfants puissent grandir dans la sérénité de leur passé. Ils connaîtront l’histoire, mais ils sauront aussi que des hommes, des femmes quelle que soit la couleur de leur peau et quelle que soit leur origine auront su trouver les chemins de la paix des âmes et de l’amnistie des coeurs. Qu’ils auront su se parler en écoutant le passé, mais en regardant l’avenir.
Rompre des chaînes pour créer du lien, ce n’est pas le moindre des paradoxes mais c’est le défi qui nous attend. Ce geste, cette main tendue, certains y ont déjà répondu, et ma présence ici en est la preuve. Je souhaiterai donc remercier M. Ebroin et l’ensemble des membres du CASOMI qui m’ont amicalement offert cette tribune. Comme pour toute commémoration, il y a un moment où il faut savoir se taire, car les mots doivent laisser place aux actes. Aussi, je vous invite à partager un court instant de silence en souvenir de notre passé en méditant ensemble cette phrase de Victor Schoelcher : "Disons nous et disons à nos enfants que tant qu’il restera un esclave sur la surface de la Terre, l’asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine toute entière."
Michaël de Jaham
Moyenne des avis sur cet article :
4.2/5
(15 votes)
Pour ma part j’ai été choqué de voir que Sarkozy n’a pas ternu à cvommémoré cette date et a préféré s’occuper du déplamcement à Metz de bobour, l’enc..... !
Ca aurait été la Shoah, les arméniens ou d’autres peuples, on aurait droit à un discours du president et trois emissions de télé. Mais les noirs bien sur les pliticiens n’en ont rien à foutre et ils n’en ont jamais rien eu à foutre. Les Salopards !
Ne pas commémorer ce type d’evenement nuit à la fraternité et encourage les commuanutés entre elles à ne pas s’apprecier. Ne pas se présenter à ce type d’evenement et commemorer la Shoah trois fois par ans alimente l’antisemitisme, mais je pense que notre nabot de président est trop con pour mesurer le mal qu’il fait ! Il ne sait pas qu’en ignorant cette il vexe des millions de francais d’origine africaine ou des Antilles, qui se sont battus, eux, pour la france, à la différence de ses aieux !
Encore une fois, j’ai honte de notre président....
Moi aussi, mes aïeux ont souffert de la servitude : ils était esclaves dans une villa romaine près de Dijon au IIe siècle. C’est pour ça que je déteste les Italiens.
Au fait, je me demandais...
En France, les nombreux clandestins qui travaillent au noir dans des chantiers du bâtiment, dans la restauration, dans la prostitution, et qui sont logés dans des taudis loués par des marchands de sommeil, est-ce que ce ne sont pas des esclaves ? Et dans la mesure où leurs employeurs, leurs logeurs net ceux qui ne les dénoncent pas ne sont pas jetés en prison, est-ce que ça ne veut pas dire que l’esclavage est toujours toléré ?
Et que dire du travail des enfants dans les « pays à bas coût » ? Des gens esclaves de leurs dettes.
Alors, pourquoi commémorer une abolition de l’esclavage qui n’a pas encore eu lieu ?
Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux commencer par abolir l’immigration clandestine en punissant les employeurs esclavagistes et leurs souteneurs, qu’ils soient les organisateurs des réseaux, ou les administrations qui ferment les yeux.
Oui, monsieur Jaham, tout cela est très bien : commémoration, repentance et les sanglots qui vont avec...
Mais à voir comment ont été traités récemment les grévistes de la Guadeloupe, on peut se demander si dans leur esprit, nos ministres en charge du problème ont bien suivi votre parcours culturel ?
Je prétends que l’actuelle administration des DOM est dans le sillage de politique coloniale de la troisième république avec les préjugés racistes que cela sous-tend !
Je dis que les commémorations des indépendances des ex colonies d’Afrique (dites AOF et AEF) ont été sciemment ignorées, alors que c’était une occasion de rapprochement entre les peuples !
Je pense aussi que les procédures d’accès aux indépendances des pays colonisés ont dès le départ été bâclées et biaisées au(x) bénéfice(s) de l’ex colonisateur !
Alors, oui, vous pouvez tendre votre main et votre geste vous honore, mais je crains qu’il se passe encore beaucoup de temps avant qu’arrive celui de la réconciliation que vous semblez souhaiter.
On s’en tape de cette commémoration bidon voulue uniquement pour faire plaisir à Taubira et à quelques excités du CRAN.....La traite atlantique appartient à l’histoire...et c’est tout....A force de vouloir concourir aux Olympiades de la souffrance on va foutre la République sens dessus dessous.....A coup de repentance pleurnicharde et de battage de coulpe médiatique on creuse la tombe de Marianne.... Il est devenu impossible aujourd’hui, à cause de toute cette diarhée mémorielle, d’examiner des pans entiers de notre histoire d’un point de vue strictement historique...impossible de discuter calmement de la traite atllantique à moins de vouloir finir écharpé, médiatiquement....Idem pour Vichy, ou la guerre d’Algérie...re-idem pour la colonisation et ses bienfaits ou ses bassesses... A quand une cérémonie pour commémorer la lâche agression romaine contre notre belle culture gauloise ?....A quand le versement d’indemnités aux descendants des protestants victimes de la Saint-Barthélémy, avec les intérêts, même au taux légal, ça va faire chaud depuis 500 ans !...A quand une commission mixte gréco-iranienne pour établir le montant du dédommagement des guerres médiques ?..Ca c’est autrement plus sérieux que les arguties sur la bombe iranienne ! Et pourquoi pas une action auprès du TPI pour obtenir réparation de l’Ukraine pour avoir diffusé la culture impérialiste et la « civilisation indo-européenne » , qui envahira toute l’Europe, des Kourganes ?.....
J’ai repensé en lisant votre article à Gorée et sa petite porte ouverte sur l’Atlantique. Je ne sais pas s’il est important de commémorer l’abolition de l’esclavage, mais en ne le faisant pas, ou en refusant de reconnaître la part que les nations occidentales ont jouée dans cette affaire, il me semble que les peuples qui ont été les pourvoyeurs involontaires de marchandise humaine ont d’autant plus de difficultés à dépasser leur dépendance et fixation psychologique sur les nations esclavagistes, et à s’émanciper en assumant leur passé et en prenant responsabilité pour leur présent.
La commémoration de l’ abolition de l’ esclavage est une évolution.
Bien sur, l’ esclavage comme on l’ a connu a l’ époque des colonies a été aboli est c’ est très bien.
Mais l’ esclavage n’ a pas disparu pour autant : Disons que si les esclaves ne travaillent plus dans les champs de coton, l’ esclavage a pris une autre forme.
C’ est ce qu’ on appelle l’ esclavage moderne.
Il existe de nombreux réseaux de proxénétismes entre l’ Afrique et les pays développés, ( UE, USA, CANADA, etc,....) et que les proxénètes font venir des Nanas dans nos pays pour les mettre sur les trottoirs de nos villes, les forcent a se prostituées, et les exploitent a travers la prostitution.
Donc, si cela n’ est pas de l’ esclavage, j’ aimerais qu’ on me disent ce que c’ est ?......
Certains proxénètes n’ hésitent meme pas a prostituer des enfants.
Ajouter a cela, l’ exploitation des enfants que l’ on fait travailler 16/17 heures par jours dans certains pays en voient de développements par des chefs d’ entreprises peu scrupuleux, pour moins d’ un euros par jour.
Ce n’ est pas de l’ esclavage ça ?
Mais que font la Ligue Internationale des Droits de L’ Homme, les Organisme des Droits des Enfants, ainsi que l’ ONU ?