Commémorations à la mode de chez nous
La France est un vieux pays. C'est une vertu. Ou ça devrait en être une puisque plus les racines sont profondes plus l'arbre est fort. C'est une image bien sûr, qui vaut ce qu'elle vaut, et sans doute plus grand-chose depuis que ceux qui se sont succédé à la tête de ce pays depuis pas mal de temps maintenant ont vu dans cette référence aux racines une pulsion identitaire nauséabonde qu'il convient de réprimer comme il faut, tout en lui opposant ces belles idées qui accompagnent un vivre ensemble harmonieux lequel en attendant un métissage qui tarde à venir, ne demandez pas qui surtout n'en veut pas, se satisfait pleinement d'une diversité qui nous apporte tant. Car au cas où vous le l'auriez pas déjà deviné, l'identité heureuse nous guette.
Alors tout ça, cette évolution des mentalités qui nous a mené de ce fameux "Nos ancêtres les Gaulois" de notre enfance, de la mienne du moins, au " Si j'étais élu président de la République, la première chose que je ferais serait de raser Versailles qui nous rappelle trop notre grandeur", phrase prononcée, même si je ne peux en garantir que le sens, par un présentateur multicartes de nos médias, un maître à penser donc, du moins sans doute se considère-t-il ainsi, donc cette évolution des mentalités s'est accompagnée par une évolution des pratiques commémoratives.
Mais avant d'en arriver à ces pratiques dont je souhaite parler, je voudrais juste me permettre une digression sur celle de l'orthographe. Mais finalement c'est de la même eau. Figurez-vous, chers lecteurs, (et trices, j'allais oublier, misère), que très récemment j'ai effectué un test orthographique dont l'essentiel consistait à vérifier si j'avais bien assimilé les nouvelles règles qui ont au moins cet avantage de cohabiter avec les anciennes. Et j'ai eu presque tout faux sauf à nénufar parce qu'on en avait sans doute beaucoup parlé. Mais je n'avais pas faux non plus puisque comme je l'ai dit, les anciennes règles sont toujours valables. Et donc je me suis posé la question de savoir comment je pourrais faire si j'étais placé en position, en tant que père, grand-père, ancien, référence douteuse, de devoir aider un enfant ou pire lui corriger une dictée. Dans le doute qu'on doit toujours associer au bénéfice quand ça concerne un enfant qu'il faut veiller à ne surtout pas traumatiser, je devrais lui dire qu'il a tout bon sous peine de me déconsidérer moi-même s'il lui prenait l'envie d'aller vérifier dans un dictionnaire à jour. Du coup je me suis demandé si cette cohabitation des nouvelles et des anciennes règles n'était pas une entourloupe, une voie ouverte pour que les fotes d'ortografe rejoignent les vieux concepts désuets après avoir été réacs. En tout cas reconnaissons que cette cohabitation de règles orthographiques différentes pour un même mot ou une même expression constitue une manière habile de tuer une langue. Et comme la langue est constitutive de l'identité…
Mais passons aux pratiques commémoratives, puisque c'en est la saison, dont l'évolution nous invite à regarder différemment un même événement en fonction des époques et des valeurs qu'elles prétendent porter.
Je suis un enfant de la campagne, originaire d'une région qui connut toutes les invasions et notamment les plus récentes, je parle d'invasion armée. Donc quand j'étais écolier, il y a très longtemps, trop longtemps, nous avions à l'occasion du 11 novembre cette habitude désormais abandonnée de nous réunir par classe avec nos maîtres et maîtresses, nous les appelions ainsi, au pied du monument aux morts. Le maire lisait les noms des fils du village morts pour la France pendant la Grande Guerre, la seconde guerre mondiale, les guerres d'Indochine et d'Algérie. Ça me revient, il y avait aussi un militaire mort pendant la guerre du Rif, donc entre les deux guerres mondiales pour ceux qui auraient quelques lacunes en histoire. Un ancien combattant de la Grande Guerre, pas en grande forme, mais qui portait encore fièrement le drapeau sur lequel il s'arcboutait, était le symbole vivant de cette histoire finalement encore récente mais qui semble s'effacer. Après cela nous nous dirigions vers le cimetière pour une courte cérémonie face au carré dit militaire où gisaient quelque uns, mais finalement très peu de ceux dont les noms venaient d'être égrenés. Personne n'avait encore eu cette idée géniale de nous faire gambader sur les tombes en une joyeuse chorégraphie destinée en fait à je ne sais trop quoi si ce n'est peut-être à rappeler aux joyeux figurants quelle chance ils ont de vivre suffisamment libres pour pouvoir piétiner les tombes de leurs ancêtres tombés pour la France. C'est ainsi que fut commémorée cette année la bataille de Verdun. Il n'est en effet plus question que la célébration des choses les plus graves ne se transforme pas en un moment festif ou d'expression de la tolérance et de l'ouverture à l'autre, et témoigne finalement du caractère inutile du sacrifice consenti puisque "comme vous le voyez" les ennemis d'hier festoient ensemble et n'ont pour seul regret que de ne pas pouvoir se recueillir plus amplement au son d'un rap finalement interdit ou écarté à cause du trop grand nombre de réacs existant encore. Ce sera juste une question de temps pour qu'ils disparaissent. Et à ce moment-là, peut-être, quand on confrontera le plaisir de la fête sans entrave au sacrifice des générations passées, aura-t-on cette idée fumeuse de considérer le vieil esprit sacrificiel comme dérisoire et de corriger sur les monuments aux morts la mention "Morts pour la France", en la remplaçant par celle qui semblera plus adaptée "Morts pour rien". C'est le sens de l'histoire selon les promoteurs de ce type de commémoration. Pouvons-nous ne pas y participer… et sans être insultés ?
C'est sans doute plus grave car les conséquences sont pour maintenant, les commémorations des massacres effectués par les terroristes islamistes le 13 novembre 2015 ont marqué davantage l'apitoiement sur soi-même et l'accommodement avec l'ennemi que la volonté de résistance.
Les événements étant trop proches on ne s'est pas encore orienté vers quelque chose de festif. Les proches des victimes et ceux qui souffrent encore dans leur chair auraient du mal à comprendre. Mais on pouvait quand même attendre de ces commémorations autre chose que des appels au vivre ensemble. Pour ma part j'aurais aimé qu'on profite de l'occasion pour affirmer notre supériorité morale et culturelle sur ceux qui portent et supportent l'idéologie politico-religieuse qui est à l'origine des assassinats. Alors certes quand on s'engage dans cette voie, mais il parait que nous sommes en guerre, c'est eux qui l'ont dit, les Hollande, les Valls, ceux qui nous confinent dans l'état d'urgence, il faut aller au fond des choses et surtout les dire. Et les dire c'est désigner l'ennemi, pas seulement ceux qui tuent, mais ceux qui les soutiennent, en les aidant, ou même en les approuvant comme ceux qui ont refusé les minutes de silence qu'on a depuis cessé d'imposer.
Et c'est exactement l'inverse que nous avons eu. Ça commença par un concert dont l'artiste-vedette fut choisi avec soin pour son sens du consensus bienpensant qu'il poussera jusqu'à chanter une chanson intitulé "Inchallah" sans oublier de noter la beauté de ce terme sans doute pas inconnu de ceux qui un an plus tôt défouraillaient dans le même lieu. Tout le monde fut ravi. Sauf deux membres du groupe qui se produisait le jour du drame et chassés des lieux parce que pas vraiment dans le ton de ce consensus béat appelant à fricoter avec l'ennemi. Ravis furent aussi ceux qui assistèrent au discours de Manuel Dias au Stade de France qui honora son père assassiné un an plus tôt par un message dont le contenu était essentiellement un appel à la tolérance et même davantage. Les médias étaient subjugués. Ce pauvre garçon, et là je suis sérieux parce que je le plains doublement pour la perte de son père et pour son discours qui est une imposture organisée par l'Etat, a même en filigrane rejeté la faute de ces attentats sur nous. Il déclara en effet, faisant référence à son père, d'origine immigrée et intégré, que "c'est en offrant les mêmes opportunités à tous que nous réussirons à empêcher que les ressentiments de certains ne se transforment en brutalité pour tous." Et vlan, prend ça dans les dents, salaud de Français ! On apprendra un peu plus tard que son discours fut censuré par l'Elysée, en fait réécrit. Et qu'il n'est pas vraiment content de son sort. On comprend plus facilement alors que les plaques commémoratives font juste mention d'attentats. On ne saura pas par qui il ont été commis. On n'osait déjà pas les qualifier d'islamistes, ils ne sont même plus terroristes.
Il fut pourtant un temps où on n'hésitait pas à désigner les coupables…
Même s'ils étaient nos alliés…
Et puis on se contenta de parler de victimes du terrorisme…
Avant de finir par ne plus parler que de victimes d'attentats.
Mais c'est peut-être encore trop !
Il n'y a pas à dire, on sait commémorer chez nous, en piétinant les victimes, au sens propre et figuré, mais sans jamais oublier quelles que soient les circonstances cette note festive sans laquelle on ne pourrait jamais parler de commémoration ou de cérémonie réussies. Pour celles du 13 novembre l'aspect sinistre fut fort heureusement atténué par un lâcher de ballons de couleurs qui constitua sans doute l'acte majeur de notre président en termes de lutte contre le terrorisme depuis longtemps.
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