Comment devenir célèbre
Il y a des méthodes classiques, mais surannées, pour devenir célèbre. Une d’entre elles, considérée comme très honorable, consiste à faire une vingtaine d’années d’études sans rater un seul des multiples examens qui vous sont proposés. Vous pouvez alors passer un concours extrêmement sélectif afin de pouvoir gagner un peu plus que le SMIC tout en travaillant 12 heures par jour, 6 jours et demi par semaine. Vous pouvez alors, la quarantaine venue, postuler pour avoir des crédits auprès d’une multitude d’organisations de moins en moins gouvernementales et vous pouvez subséquemment travailler avec un ou deux collaborateurs sur vos idées propres. On vous priera ensuite d’assumer des responsabilités en chapeautant les activités d’un groupe plus large, cette responsabilité consistant essentiellement à relayer les innombrables et toujours renouvelés directives, lois, réglementations, règles, conseils qu’il est impératif de suivre. Si l’un de ‘vos’ chercheurs fait une découverte révolutionnaire, vous pourrez peut-être devenir Prix Nobel. Vous atteindrez alors le fait de la célébrité possible par cette voie, le plus que vous puissiez espérer. Vous aurez droit dans ce cas à quelques minutes d’antenne à la télévision sur FR3-région, un entrefilet dans le Monde et la possibilité de vous exprimer sur maints sujets d’actualité que vous ne connaissez en rien. Bien entendu vous pourrez continuer à prendre en toute quiétude et sans être importuné les transports en commun, aucun quidam ne vous reconnaitra. Toutefois, votre compagne ne regrettera plus son mariage, vos collègues se délivreront du devoir de se taire pour souligner vos insuffisances, vos collaborateurs vous solliciteront dans l’espoir que votre aura prodigieusement augmentée par votre Prix leur permettra d’obtenir plus aisément des crédits, vos amis se targueront de connaître une sommité, vos cousins penseront que vous êtes devenu encore plus imbu de vous-même qu’avant… et les choses s’arrêteront là.
Le travail, le sérieux, le talent ne mènent qu’à une renommée limitée à la sphère que l’on fréquente dans son monde, l’autre monde celui du grand public, le seul qui compte vraiment, est absent. Hors de très exceptionnelles exceptions, l’adulation de ‘savants’ par les foules ne se produit pas sauf si le savant est mort depuis longtemps et que des politiciens en mal de célébration ont besoin de donner un nom à une avenue, une rue, un rond-point, un Lycée technique. Certains infectiologues peuvent malgré tout apparaître soudainement sur le devant de la scène par ses dires inhabituellement directs qui ne cachent rien des ambiguïtés d’intérêts, sans dissimuler l’incompétence de certains englués dans leurs ‘cheffitudes’.
Rien n’est perdu si vous n’avez pas la patience d’écouter des enseignements plus ou moins théoriques pendant de très longues années, vous pouvez, par exemple, faire du sport, mais il ne faut pas se leurrer, vos chances de succès sont tout aussi ténues. Un cycliste professionnel met un terme à sa carrière sportive à 35 ans environ. Il devra être connu avant cet âge. Auparavant vous avez été coureur amateur dès 18 ans, vous remportez des courses régionales, vous devenez un coureur prometteur, vous arrivez à boucler 122 km à une vitesse moyenne de 42,052 km/h, un contrat professionnel vous est proposé dès 19 ans, vous faites votre service militaire, ensuite vous enchaînez des victoires dont les très prestigieux tours de France. Le cycliste au prix d’efforts inimaginables pour qui n’a jamais essayé de faire du vélo devient célèbre… dans les milieux populaires, mais rien dans le milieu germanopratin, rien loin des frontières, peu pour la postérité.
Mais il y a une méthode à proposer qui ne nécessite aucun sérieux, aucune qualité intellectuelle reconnue, aucun sens de l’effort, aucune qualité athlétique hors du commun.
Vous naissez à Paris dans un milieu aisé. Assez vite vous vous liez avec un producteur de cinéma, un rappeur, un député (de préférence de gauche). Vous obtenez votre baccalauréat scientifique en déclarant avoir triché à toutes les épreuves. Vous ne poursuivez pas d’autres études. Vous devenez employé de banque, représentant en tissus, animateur de centre de loisirs et traditionnaliste. Vous devenez aussi accessoiriste, auteur de série, animateur sur une chaîne télévision humoristique, vous animez des magazines, vous devenez une vedette sur une chaîne du service public, vous annoncez votre intention de devenir Président de France Télévision. Vous êtes plus qu’une célébrité, personne ne vous connaît pas. Votre carrière fait cependant polémique. Plusieurs journaux vous critique. Le Figaro vous présente comme « un clown, un pitre né ». Libération vous reproche « d'alterner gloussements hystériques et chorégraphie sur Les Sardines ! ». Le magazine Les Inrockuptibles souligne votre « omniprésence audiovisuelle » et votre « vulgarité ». Le Figaro affirme que « vous n'avez aucun talent ». Vous êtes caricaturé dans Charlie Hebdo sous la forme d'un moustique suçant le cerveau des enfants regardant la télévision, avec le titre « Le virus qui rend con ». Le magazine VSD fait sa Une avec le titre « Ça va le melon ? ». Vous essayez à plusieurs reprises de faire pression sur votre employeur afin d'obtenir le renvoi de certains de vos confrères. Vous n’hésitez pas à intimider vos collègues : « Je vais venir te défoncer, tu ne sais pas qui je suis, tu vas avoir de gros problèmes, je vais venir te chercher à I-Télé. ». Vous peaufinez votre image, votre portrait est celui d'un homme tyrannique, prétentieux, colérique, faisant régner une ambiance délétère dans son équipe par ses pratiques scabreuses, ses colères, ses menaces. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) lance une procédure de sanctions contre vous pour vos humiliations envers vos propres chroniqueurs et vos invités. À une femme qui a les yeux bandés, vous lui faites toucher votre entrejambe. Il n’est pas nécessaire de mettre en avant vos innombrables blagues, plaisanteries, saynètes toutes faisant preuve d’une incroyable créativité dans l’abjection.
Faisant fi des jaloux, vous voilà célèbre. Vous n’avez pas couru 30 000 km à vélo dans votre année, vous ne vous êtes pas épuisé à essayer de comprendre l’incompréhensible, vous vous êtes contenté d’être vous-même et satisfait de l’être. Vous ne courrez plus derrière la célébrité, vous l’avez. Vous êtes devenu inaccessible au bon sens des gens du commun, vous n’avez plus qu’à régner.
Il nous est impossible de vous recommander d’accéder à la célébrité comme tueur en série, membre de la mafia, terroriste ou comme tyran génocidaire, même si les médias leur laissent une place de choix qui vous faciliterait la tâche.
33 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON