Comment distinguer un dictateur de son voisin de palier (III)
Bon, à force, ça commence à entrer, vous savez faire la différence entre votre voisin acariâtre et Idi Amin Dada. Ça vient, mais on est loin encore d’avoir fait le tour de la question. Vous auriez su tout ça avant, vous n’auriez peut-être pas laissé notre bédouin sanguinaire des Carpathes entrer aussi facilement en France. Pour vous éviter une rechute, apprenons les gestes nécessaires, à savoir comment ne pas confondre un dictateur avec un président en exercice ou avec un chanteur de variétés un peu autoritaire.

L’architecture, ah, ça, ça représente assez bien ce qu’est un dictateur. Vous, vous habitez dans un 4 pièces cuisine. On ne trouve aucun dictateur à moins de 50 pièces, balcon, jacuzzi, salle de sports, etc. Michael Jordan avait ça aussi, avant son divorce, mais ce n’était pas dans la même catégorie "people", lui c’était plutôt le maître du haut parquet. Un dictateur, ça ne dort jamais dans la même pièce, en raison de sa paranoïa, qui va croissant avec l’âge. D’où l’idée d’avoir plein de chambres. Et plein de maîtresses qui vont avec, souvent. Des maîtresses avec parfois des coiffures extravagantes ou des chapeaux farfelus. Les bâtiments des dictateurs ont donc toujours des plafonds hauts, à croire qu’ils craignent d’être décoiffés par les lustres, qu’ils ont souvent surchargés et massifs (ça n’explique toujours pas pour autant la coiffure d’un Thierry Breton !). Les dictateurs habitent dans des palais ou d’anciens châteaux, le plus souvent saccagés par leur femme ou leurs maîtresses, toutes entichées de décoration (ou d’un décorateur). Ça donne de belles horreurs et souvent des dorures jusque dans les waters et des tableaux surchargés partout. La maîtresse-femme n’ayant pas davantage de goût que le dictateur, imaginez le carnage artistique ! Chez les dictateurs, qui ont tous des points communs, il y a aussi des exceptions. Une de taille, c’est celle du dictateur sous tente. On en a connu sous tente respiratoire (Franco), chez certains, c’est une vraie tente, et c’est à vrai dire assez exceptionnel. Quatre cents personnes dedans, ça fait un peu Médrano, mais bon. Faut bien que dictature se fasse. A défaut de collectionner les toiles, comme Alain Delon, on vit dessous.
Question déplacements, le dictateur, qui connaît un peu l’Histoire et se souvient du Petit Clamart, ne se déplace ni en voiture, ni en train (ou alors c’est pour traverser tout le pays pour se faire réélire, avec force flonflons et guirlandes, tel Juan Peron). Le moyen de déplacement de prédilection du dictateur, c’est l’avion. Ça coûte cher à l’Etat, certes, mais l’Etat... c’est lui. Oh pas des voyages low-costs pour autant : on a jamais vu un dictateur prendre Ryan Air. En revanche, Air Congo ça a existé. Mais l’avion préféré du dictateur (Mobutu, Kagame), c’est le Falcon, un nom qui rappelle une nouvelle fois l’empire (égyptien, cette fois, car un dictateur ne fait pas la différence entre une buse et un vautour, c’est pour ça qu’il s’entoure souvent de ministres assez crétins ou franchement méchants). C’est petit, comme ça tout le monde ne monte pas dedans, et on n’est pas obligé de faire le zouave en tenue décontractée dans les travées pour faire rire la galerie. Accessoirement, c’est un avion qui peut servir à d’autres choses : ramener devant les caméras des personnes oubliées, aller balader dans le monde entier des terroristes habillés en orange pour leur faire découvrir toutes les formes d’électricité existantes, etc. Sagement rangé dans le garage, ça peut aussi servir à fuir quand on sent que les carottes sont cuites dans le pays, à savoir quand les gens en ont eu marre de se faire prendre pour des citrons pressés (Mobutu, qui en fait prendra un gros Ilyushin avec sa voiture blindée dedans !). Des exceptions peuvent être faites pour les voitures, mais faut vraiment un modèle exceptionnel : voiture évidemment blindée ou modèle à part, genre dream-car de salon sortie une fois du garage. Le char d’assaut, c’est plus rare, ce n’est qu’en cas de sortie difficile du palais dictatorial. Autre exception notable : la garde rapprochée. Beaucoup utilisent des gros bras à lunettes noires et flingues cachés, un seul une ribambelle de quarante filles, ressuscitant les amazones d’antan. On ignore à ce jour quel sein elles se sont fait couper pour mieux armer la Kalachnikov.
Le dictateur, souvent rendu paranoïaque à force d’avoir tenté d’éliminer tous ses adversaires un à un, ou trahi tous ses amis (Staline, l’actuel recordman du monde) ne se déplace jamais sans une escouade de policiers, de gendarmes et de militaires. Il est facile, de satellite, de suivre les déplacements d’un dictateur, vu la masse d’individus en mouvement que cela provoque. D’où l’importance de l’armée, seule capable de protéger d’une attaque de l’étranger : contrairement à ce que croit la populace, l’armée n’est pas pour défendre les pays, mais pour protéger la seule personnalité du dictateur en déplacement dans le pays. Sans compter ceux qui sont déguisés en vous et moi, et qui sont déjà sur place, la dictature fabriquant un autre épiphénomène, celui de l’auto-délation de voisinage, une pratique débutée en 40 en France et dont on a vu les effets ravageurs en RDA quelques années plus tard (Erich Honecker). Chez les Français, attention, on peut toujours craindre un retour de mode de la "Pétainmania".
Lors du moindre déplacement, ou de la moindre intervention télévisuelle, le dictateur est suivi comme son ombre d’une deuxième meute, plus hétéroclite, celle des journalistes. Des hommes dont la tête change (d’épaule ?) au bon gré du dictateur, selon les capacités du journaliste à s’abaisser à écrire ce qu’on lui commande, ou sa capacité et sa vitesse à mettre à l’abri sa famille à l’étranger avant la sortie d’un article avec un petit poil d’écart avec la version officielle. Le dictateur n’a pas à condescendre à faire comprendre aux journalistes ce qu’ils doivent écrire, les responsables de sa propagande, qu’il a nommés à la place des précédents, jetés dans d’obscurs cachots, s’en chargeant à sa place (Khadafi). Les domaines de rédaction les plus risqués sont ceux qui touchent à l’environnement le plus proche du dictateur, les épouses étant un sujet quasi-tabou, au même titre que les maîtresses (ou les danseuses - Kim Jong-Il). Sur les places de Paris et d’Hollywood, la plus réputée pour les rumeurs qui n’en sont pas, tout le monde en a les noms, mais personne n’osera le révéler à la face du monde. Des maîtresses savamment surveillées de près, par une police parallèle barbouzarde dont le sport préféré consiste à aller chercher, en passant sur les toits, les données inscrites dans un ordinateur portable (ceci quand la maîtresse s’avère être autre chose qu’une coiffeuse, ce qui arrive aussi parfois, le pire danger étant alors une maîtresse... journaliste, l’horreur totale). Pour ce qui est de l’entretien du cheptel de maîtresses, pas de problèmes. Tout bon dictateur a déjà trempé dans des affaires louches avant d’arriver au pouvoir, et possède donc un carnet d’adresses ressemblant à l’appel du matin à la prison de Fresnes. Banquier véreux, hommes d’affaires douteux, vieux copains extradés dans des paradis fiscaux, sportifs résidants en suisse ou tentés par les casinos (pourquoi je dis ça, là ?), vendeurs de pianos, fils Pasqua (pardon ça m’a échappé), le dictateur est suffisamment entouré d’une masse d’argent par personne interposée pour que le train de vie de ses conquêtes demeure élevé. Ce n’est pas la simple réfection d’un escalier qui va le rebuter, ou l’achat complet d’une île, fusse-t-elle au milieu d’une capitale pour compliquer la chose : le dictateur se croit tout permis (de construire, souvent). Juridiquement, ce n’est pas un problème non plus. Un dictateur intelligent (il y en a eu qui avaient oublié de l’être et se sont faits rattraper après par la justice, mais ils sont rares !) n’a pas mis simplement qu’une police en place. Mais aussi une parodie de justice, avec des tribunaux expéditifs ou décidant quand ça sent trop le soufre de se transformer en juridiction d’exception. Un truc pareil, ça peut même être marqué dans une Constitution, histoire de faire croire au peuple que ce n’est pas vraiment une dictature.
Et il y a même plus subtil encore. Le gars qui faire croire que, une fois élu, il deviendra une oie blanche, alors qu’il s’arrange pour évincer tous ses concurrents à l’élection suivante, quel que soit son bilan, en enfournant à la pelle des liasses de bulletins de votes dans les urnes, ou en faisant taire des journalistes un peu trop fouineurs, ou encore en se trouvant de bons vieux terroristes sur le dos desquels mettre toutes les tares et erreurs de son propre régime. Cette espèce-là est la plus dangereuse, car elle avance masquée. Les gens ne voient pas un dictateur, mais un héros national musclé qui passe son temps à défendre la veuve, l’orphelin et le rouble. Mince, vous avez deviné lequel c’est, là.
Bref, une dictature, ça n’apparaît pas comme ça dans un claquement de doigts. Ça se prépare, ça se cajole, ça bonnifie d’année en année jusqu’au jour où c’est prêt. Et là, il n’y a même pas à réchauffer. A part que c’est VOUS, sur le gril. Même pas le temps de vous retourner : vous êtes déjà cuit.
Ceux qui doutent encore peuvent faire le test (article "test de rentrée"). Ce qui est bon pour l’Afrique... doit peut-être bien aussi valable chez nous, qui sait...
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