Comment l’Endettement de l’Occident a contribué à changer la Face du Monde ? Tyrannie ou triomphe de l’Argent pour le Progrès du Monde ?
- Questionnements sur l’endettement occidental ?
Comment comprendre la quasi-stagnation de l’économie d’une grande partie des pays de la zone euro ? Est-elle liée à des facteurs structurels, comme le niveau trop élevé de la dette publique et la politique de rigueur qu’il impose ? Pourtant, nous savons que sa principale cause réside dans le recul de sa compétitivité. Les délocalisations d’une grande partie de son industrie vers le reste du monde, principalement l’Asie (la Chine surtout) et l’Amérique du Sud, depuis au moins deux décennies, ont joué beaucoup dans la montée en puissance des pays émergents, et qui s’est traduite par une perte de compétitivité pour l’Europe. Et cela ne concerne pas seulement l’Europe mais la plupart des pays occidentaux qui ont tous délocalisé.
Et les conséquences sont palpables aujourd’hui. Par exemple, l’explosion de la dette publique dans la zone euro crée un véritable déséquilibre dans les finances publiques entre les pays européens. Et là aussi, ce phénomène n’est pas propre à la zone euro mais à tout l’Occident. Les données statistiques de ces dernières décennies le prouvent, et les chiffres d’aujourd’hui le confirment. Une large majorité des pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (21 pays sur 34 que comptent l’OCDE) ont une dette publique qui dépasse largement 60% du PIB. Et parmi ces 21, neuf pays dont les États-Unis, le Japon et les pays de la zone euro ont une dette publique supérieure à 100% du PIB. Alors que six pays seulement du reste monde et pour moitié très pauvres (Erythrée, Bhoutan, Cap-Vert) ont une dette supérieure à 100% du PIB. (Données statistiques du FMI, OCDE et Eurostat - 2014).
Comment comprendre ce déséquilibre que l’on constate dans tout l’Occident, et beaucoup moins dans les pays du reste du monde ? Alors qu’il y a moins de deux décennies, ce sont les pays du reste du monde (Amérique du Sud, Afrique, Russie, Inde…) qui ployaient sous le poids de la dette, et n’en finissaient pas de rembourser un service de la dette multiplié, à l’époque, par une hausse drastique des taux d’intérêt mondiaux. Comment appréhender ce retournement de l’endettement aujourd’hui ?
- Brève rétrospective historique
L’endettement occidental a une histoire qui remonte très loin. Il ne date pas d’aujourd’hui. Le premier endettement qui a marqué l’Europe s’est opéré après le Premier Conflit mondial. En effet, les conséquences de la guerre occasionnées par les dépenses militaires, les destructions et le coût de la reconstruction ont entraîné un grave endettement et ont rendu l’Europe dépendante des États-Unis devenus la première puissance économique du monde.
Le Deuxième conflit mondial opéra le même processus. Les dépenses de guerre, les destructions et la reconstruction de l’Europe après 1945 ont généré de nouveau un endettement de l’Europe. Un formidable flux de capitaux américain auquel s’est ajouté le plan Marshall a été drainé vers l’Europe, ce qui a contribué fortement à l’économie américaine. L’Europe, paradoxalement, par sa reconstruction et donc par son endettement, est devenue une véritable locomotive pour l’économie américaine. La reconstruction de l’Europe pratiquement terminée à la fin des années 1950 et la convertibilité des principales monnaies retrouvée a permis à l’Europe de reconquérir ses parts de marchés dans le commerce mondial.
Une distribution ders tâches internationales s’est observée, après la guerre, entre les États-Unis, l’Europe et le Japon. Le retour de l’Europe sur le marché mondial ainsi que du Japon et qui s’est évidemment opéré au détriment des États-Unis dans le commerce mondial a été largement compensé par la politique d’endiguement du communisme menée par la première puissance du monde. En effet, la course aux armements nucléaires et la défense aérospatiale avec l’URSS ont suscité une grande conversion de l’industrie américaine vers l’armement, laissant l’Europe et le Japon se spécialisant dans l’industrie civile à caractère le plus souvent non stratégique. Ce qui explique la montée en puissance de l’Europe et du Japon dans l’industrie électronique (télévision, articles électro-ménagers), automobile... L’Allemagne est devenue, en plus, un leader mondial dans les machines-outils. D’autre part, les guerres menées, dans les années 1960 et 1970, en Asie (Vietnam, Laos, Cambodge.) pour endiguer l’URSS et la Chine, et les conflits armés au Proche-Orient – aides militaire et financière à Israël pour affaiblir les pays progressistes arabes soutenus par l’URSS et la Chine – ont encore renforcé l’économie américaine dans le développement de l’armement, transformant l’économie américaine de locomotive pour l’industrie européenne et japonaise.
Mais, cette distribution des tâches fut assombrie par les déséquilibres commerciaux entre les États-Unis et l’Europe qui reprochait à l’Amérique d’utiliser plus que nécessaire la puissance du dollar. Il faut rappeler que les accords de Bretton Woods, en 1944, avaient attribué au dollar américain le statut de première monnaie du monde. Une monnaie qui était aussi bonne que l’or parce qu’elle était librement convertible à 35 dollars l’once d’or. A cette époque, les deux-tiers du stock d’or mondial étaient détenus par les États-Unis. Mais, dans les années 1960, le stock d’or ayant fortement diminué au profit du reste du monde, en particulier de l’Europe et du Japon, les États-Unis, au lieu de limiter la création monétaire, ont continué à émettre des liquidités en dollars pour financer leurs déficits commerciaux avec les pays du reste du monde. Cette expansion monétaire américaine, qui a permis de drainer des richesses du monde sans contreparties physiques réelles, a été dénoncée par les Européens qui ont ensuite refusé d’accepter les dollars. Les Américains avaient décidé, en août 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or.
A partir de cette date, les crises monétaires vont commencer entre les États-Unis et l’Europe qui, en se transformant en une formidable inflation dans le monde, auront à changer la face du monde.
- Le « premier acte d’un système de gouvernance monétaire mondiale » imposé par l’Histoire
La fin de la convertibilité du dollar-or en 1971 a généré une nouvelle situation mondiale, pour la première fois les Européens remettront en question le « statu quo monétaire hérité par le deuxième conflit mondial ». Et cela est dû par l’excès de création monétaire (ex nihilo) par les États-Unis et que les pays européens ont refusé d’endosser.
Pour comprendre le processus qui allait bouleverser l’ordre du monde, considérons que dans toute économie, les échanges de richesses, d’une manière générale, entre nations conditionnent leur croissance économique. Plus il y a d’échanges, plus les richesses augmentent par un effet d’entraînement des intérêts des uns et des autres qui aspirent à un mieux-vivre. Et donc il n’y a croissance que si les pays, en échangeant, y trouvent un intérêt mutuel. Or, pour que cet optimum soit réalisé, il nécessite un dispositif monétaire qui puisse servir d’étalon à tous les biens échangés entre les nations et qui requiert la confiance de tous sur son emploi.
Si l’Amérique qui détient la seule monnaie de transaction, le dollar, convertible en une mesure-or donnée et en usage dans tout le système économique international, n’importe des autres pays du monde que le strict nécessaire de matières premières et de biens pour son économie, et n’exporte aussi de biens et services que le strict nécessaire pour financer ses importations, il résulte que « les réserves de monnaies détenues par les pays du reste du monde via leurs exportations n’auront servi qu’à financer les importations de ces pays ». Dans ces échanges, les pays du reste du monde n’auront pas de réserves de changes internationales suffisantes (disponibles) puisque ces réserves sont utilisées pour financer leurs produits importés. D’autre part, ces pays du reste du monde ont des difficultés pour échanger entre eux. Ils le font soit par le troc qui est très difficile, difficilement mesurable, soit par les réserves de changes (en dollars), « qui, très limitées, se font souvent au détriment des importations de l’Amérique ». L’Amérique y perd puisqu’elle enregistre un déficit commercial, d’autre part, ces pays peuvent échanger leurs dollars contre l’or, ce qui se traduit par une perte de son stock d’or .
Une telle situation est préjudiciable pour le monde. Les soldes commerciales sont « de équilibrés à négatifs ». Dans cette étroite marge du rapport importation-exportation, l’émission parcimonieuse des liquidités monétaires par les États-Unis aura un impact considérable sur l’économie internationale. « Une absence de croissance et une stagnation de l’économie mondiale, et cela par étouffement monétaire ». Le monde ne dispose pas suffisamment de monnaies internationales que seule l’Amérique émet. Et les conséquences sont considérables pour l’ensemble du monde. Faiblesse dans la créations d’emplois, l’investissements, des débouchés très étroits pour l’activité industrielle et la demande de matières premières, faible consommation, sous-développement, etc.
Précisément, la force des événements après la Deuxième Guerre mondiale se chargera de remédier à cette situation de sous-liquidités dans le monde. Et c’est ce qui ressort dans les années de « Guerre froide ». L’Amérique qui a elle-même beaucoup de dépenses publiques dans sa politique d’endiguement face à l’URSS et à la Chine, et que son industrie n’arrive pas à satisfaire, augmente les émissions monétaires sans contreparties physiques pour importer du reste du monde les biens et services nécessaires à son économie. Ce surplus de création monétaire par l’Amérique rend, malgré l’empiètement des accords de Bretton Woods, un inestimable service à l’économie mondiale. Grâce à ces liquidités créées ex nihilo, les États-Unis ont permis de stimuler les économies des pays du reste du monde. Si les Etats-Unis se sont certes enrichis de biens et services qui ne lui ont rien coûté, ils ont cependant permis de doper la croissance économique mondiale. Sans l’Argent, sans un étalon-Argent accepté de tous et suffisamment émis, évidemment en fonction de la taille de l’économie mondiale, il n’y aurait pas eu croissance, le monde serait resté en stagnation voire dans le sous-développement.
On peut conclure alors que si la création monétaire ex nihilo a engendré une hausse de la dette publique des États-Unis, il reste qu’elle a rendu un grand service à l’économie mondiale. C’est par l’absorption de l’économie américaine et les liquidités injectées dans le circuit monétaire international que l’économie mondiale a dû sa croissance. C’est le « premier acte d’un système de gouvernance monétaire mondiale ». Ainsi apparaît-il que les États-Unis ont été un « instrument de l’Histoire ». Peut-on disconvenir à ce fait historique ?
- L’entrée de l’Europe dans le système de gouvernance monétaire mondiale – Le « deuxième acte »
Il est évident que le monde n’est pas figé, qu’il y a une dynamique qui fait mouvoir le monde. Et cette dynamique, l’Europe aussi y a joué un rôle, en devenant l’instigatrice dans la remise en question du « statu quo hérité par le deuxième conflit mondial ». En effet, la création monétaire ex nihilo par les États-Unis atteindra des limites lorsque l’Europe mettra les États-Unis au pied du mur, en leur rappelant leurs obligations et leurs responsabilités dans le respect des règles régissant la gouvernance monétaire mondiale – les accords de Bretton Woods.
Evidemment, l’Europe ne peut regarder l’intérêt du monde, ce qui est tout à fait normal. Elle regarde d’abord ses pertes de richesses au profit de la superpuissance sans contreparties or, d’autant plus que les monnaies européennes ont commencé à compter dans le commerce mondial. Et à être détenues en tant que « monnaies de réserve » dans les Banques centrales des pays du reste du monde. Ce qui confère un nouveau statut à l’Europe dans les échanges commerciaux internationaux.
Un problème se pose cependant. Si les Américains ne pourront plus émettre plus de monnaies dans le système monétaire international, la situation va forcément s’altérer. En effet, une diminution de liquidités internationales va inévitablement plonger le monde dans la récession. Il est impossible pour l’Europe et les États-Unis d’émettre des liquidités internationales juste pour leur commerce extérieur. On ne peut oublier que l’ensemble des pays du reste du monde stockent des réserves de changes libellées en monnaies européennes, japonaise et américaine. Et ce sont ces réserves de change et les stocks d’or détenues qui légalisent leurs émissions monétaires en leurs monnaies locales. Par conséquent, « les monnaies occidentales constituent le socle du système de gouvernance mondiale ». S’il n’y a pas d’accords entre l’Europe et les États-Unis sur le plan monétaire, « le monde risque de revenir aux zones monétaires des années 1930 ».
Précisément, un autre facteur externe va changer le cours des choses. Il viendra des pays du reste du monde exportateurs de matières premières et de pétrole qui affirmeront leur préférence de libeller leurs exportations en dollars. Cette mesure consentie par les pays du reste du monde, en particulier des pays arabes, aura l’avantage de dépasser le clivage États-Unis-Europe en impliquant désormais les monnaies européennes au côté du dollar dans le système monétaire international. C’est l’« acte 2 du système de gouvernance monétaire mondiale ».
Désormais, les États-Unis pourront de nouveau émettre autant de liquidités que nécessaire pour leur économie. Les deux krachs pétroliers de 1973 et 1979 ont été « un formidable substitut » pour régler la guerre monétaire entre les deux grands versants de l’Occident. Il est clair que les économies des pays du reste du monde ont finalement beaucoup gagné des crises monétaires occidentales, en enregistrant une hausse appréciable des prix de leurs matières premières et du pétrole, et par conséquent un solde commercial consistant.
Mais, intrinsèquement, si au départ, l’Europe a ressenti très négativement les chocs pétroliers, et des récessions très courtes ont touché son économie, elle a ensuite rapidement rebondi grâce au statut international conféré à ses monnaies dans le monde. Le deutschemark, le franc français, suisse, belge et luxembourgeoise, la livre sterling, la lire italienne, la couronne danoise... ont tous joué un rôle central non seulement dans le commerce mondial mais aussi dans l’équilibre monétaire dans le monde. Grâce aux émissions monétaires américaines et à la duplication monétaire par l’Europe, l’économie mondiale s’est trouvée fortement soutenue par les liquidités monétaires internationales injectées. Ce qui a permis de financer à la fois les déficits américains et européens sur fond d’endettement et l’économie mondiale. Il faut rappeler que le prix du baril de pétrole est passé de 3 dollars en 1971 à 36 dollars en 1979. Soit douze fois son prix.
Si les pays arabes exportateurs de pétrole ne sont pas entrés dans la mêlée, et n’ont pas intervenue dans la hausse des prix du pétrole avec l’assentiment de la première puissance mondiale, que serait-il passé pour la puissance industrielle de l’Occident ? La baisse drastique des liquidités monétaires internationales aurait provoqué une formidable restriction du pouvoir d’achat dans le monde. Tant pour le Tiers-monde que pour les pays développés Une puissance industrielle n’est une puissance que par ses débouchés dans le monde. En 1929, la puissance industrielle américaine a mordu la poussière parce que le pouvoir d’achat dans le monde était au plus bas. Deux-tiers du monde colonisés et un Occident en guerre avec lui-même. Donc ce n’est pas l’Argent qui est important en soi, mais ce qu’on en fait avec cet argent ? Et quelle est l’ossature du système économique mondial ? Ce sont ces deux paramètres qui conditionnent la croissance dans le monde.
On peut donc conclure que l’économie tant occidentale que celles des pays du reste du monde ont tous trouvé un intérêt dans cette création monétaire ex nihilo, mais cette fois-ci partagée entre la première puissance du monde et l’Europe. Aussi peut-on dire que le problème ne vient pas tant des émissions monétaires mais de la croissance, i.e. « comment mener une politique de croissance dans le monde ? » Comme d’ailleurs ce qui se pose aujourd’hui avec les politiques monétaires ultra-accommodantes des quatre grandes Banques centrales du monde (Réserve fédérale américaine, Banque centrale européenne, Banques d’Angleterre et du Japon), sur fond d’endettement, pour tenter de relancer l’économie occidentale et, indirectement, l’économie mondiale. Et c’est là toute la problématique que pose la croissance aux grandes puissances industrielles.
Evidemment la décennie s’est terminée par une forte hausse de la dette publique européenne et américaine et une formidable inflation dans le monde. Mais est-ce pour autant la hausse de l’endettement public qui a pénalisé l’Occident ? D’autre part, tout phénomène macroéconomique qui touche l’ensemble du monde a un sens dans l’évolution de l’humanité. Précisément cette inflation va bouleverser le monde et amener, à la fin des années 1970, le « Troisième acte de gouvernance monétaire mondiale ». Qui sera développé dans un prochain article.
Pour terminer, et au vu de ce qui précède, une question : « l’Argent constitue-t-il une tyrannie ou un triomphe pour le progrès du monde ? » Faudra-il attendre l’« acte trois » pour en juger ?
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde. com
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