« Comment on meurt », une très belle nouvelle de Zola
Les 5 protagonistes de cette nouvelle écrite et publiée en 1876 ont tous un point commun : ils vont mourir et pensent plus à la vie qu'ils s'apprêtent à quitter qu’au grand mystère de la mort. Aucune référence à l’au-delà ni à Dieu. Rien sur l’angoisse de l’enfer, ni sur la promesse d’un monde meilleur.
Tous ne réagissent pourtant pas de la même façon. La résignation domine aux deux extrêmités de l’échelle sociale. Une fois leur devoir accompli, celui de la réussite sociale pour le grand bourgeois et d’une vie de labeur quotidien pour le paysan, l’un et l’autre n’aspirent qu’à partir dans la discrétion. "Le comte a cette jouissance amère de l’égoïste, désireux de s’en aller seul, sans avoir autour de sa couche l’ennui des comédies de la douleur (…) Sa volonté dernière est de disparaître proprement, en homme du monde qui ne veut déranger et ne répugner personne." Quant au vieux paysan, "Il a soufflé son dernier souffle droit devant lui, une haleine de plus dans la vaste plaine. Comme les bêtes qui se cachent et se résignent, il n’a pas dérangé les voisins, il a fait sa petite affaire tout seul, en regrettant peut-être de donner à ses enfants l’embarras de son corps. »
Mais ces deux figures incarnent un monde sur le déclin où personne ne conteste l’ordre divin. Toute autre est la réaction des nouveaux urbains. La mort est révoltante, inadmissible, presque incompréhensible. La rentière s’accroche à la vie et à ses biens, "lorsqu’elle s’affaiblit, ses méfiances mettent une gêne croissante entre les jeunes gens et elle. S’ils ne songeaient pas à la fortune dont ils vont hériter, elle leur donnerait la pensée de cet argent par la manière dont elle le défend jusqu’au dernier souffle." La commerçante ne veut rien savoir de sa fin proche puis regrette de ne pas avoir profité un peu plus de la vie : "J’avais bien gagné d’aller à la campagne. Je ne peux pas dire que je ne regrette pas la campagne. Mais tu iras toi…" Le décès de leur enfant plonge des ouvriers dans la douleur et le désarroi : « « Ah ! Mon Dieu ! Il est mort… Dis donc, Morriseau, il est mort ! » Le père lève la tête, aveuglé par les ténèbres « eh bien ! que veux-tu ? Il est mort… Ca vaut mieux. » ».
Ici comme ailleurs, la mort finit par tout emporter mais en Zola laisse entrevoir une conception de la vie de moins en moins dominée par la soumission à un ordre immuable. Le changement n’est pas encore visible mais on perçoit en cette fin du XIXe siècle des signes avant coureurs qui en disent plus long sur la mort de Dieu que sur celle des hommes.
Franck Gintrand
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