Commission Migaud : bon entraînement pour Lagardère !
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© AFP Franck Fife
Hier, jeudi 25, Lagardère a été soumis à la question des parlementaires. Naturellement, ladite question n’est plus celle qui sévissait au Moyen Age. A cette époque un peu rustique, le questionné, coupable ou innocent, reconnaissait toujours sa culpabilité. Aujourd’hui, c’est exactement le contraire ! Le faux ou vrai coupable doit surtout clamer haut et fort qu’il n’a rien fait, qu’il est irréprochable et bon patriote. Ce moyen de défense est actuellement l’un des plus employés. Voire fortement conseillé par les hommes de l’art judiciaire. L’art de mettre le doute chez l’autre. Alors, dans des flots de cris d’innocence, d’irréprochabilité, de franchise, de non initié, de patriotisme et de citoyenneté, la justice passe et passera de plus en plus difficilement.
Dans l’affaire qui nous occupe, l’héritier Arnaud Lagardère, très à l’aise, très décontracté, a mis en pratique tout cela. Il a même donné des cours de langue de bois aux parlementaires, médusés d’avoir en face d’eux un maître en la matière. Comment cela s’est-il passé ? A quoi cette commission a-t-elle servi ?
Le déroulement de l’audition
Eh bien, nous commençons à le savoir. Cela s’est déroulé comme d’habitude. Le président Didier Migaud, juriste de formation, a laissé poser des blocs de cinq ou six questions émis par un parlementaire ou plusieurs. Arnaud Lagardère a répondu à celles qu’il voulait puis, le président Migaud est passé à un autre bloc de questions et, ainsi de suite. Finalement, comme d’habitude, on est resté sur sa faim. Pourtant, ce déroulement a eu l’air de satisfaire le président Migaud, nos députés et surtout le célèbre auditionné, bien sûr.
N’étant pas obligé de dire la vérité, ni de répondre d’ailleurs - ce qui a été fait à trois reprises -, on a remarqué le plaisir empreint de sérieux avec lequel Lagardère très confiant, venu tout seul, comme un grand, s’est prêté à ce jeu. Jeu qu’il attendait et qui ne l’a jamais mis en difficulté. Bien au contraire, il était même enjoué et a pu faire usage de jokers. Faisant rire une commission devenue bien franchouillarde. Facile, Lagardère a maîtrisé son sujet de bout en bout. Confiant, sûr de lui, bien dans ses baskets, il possédait son dossier sur le bout des doigts. Dossier facile selon ses propres mots. Il a baladé nos députés, souvent à la "ramasse", qui n’insistaient sur aucune question, ni sur aucune réponse.
Beaucoup de questions déjà posées et reposées dans d’autres auditions. Mais, la fameuse suite des cinq "pourquoi" n’a jamais été posée. Pourtant, elle aurait pu faire la différence et même contrarier Arnaud Lagardère. Exemples :
Pourquoi votre groupe, en 1999, à travers Jean-Luc Lagardère, a-t-il imposé à l’Etat français d’être un actionnaire sans aucun droit, une potiche en sorte ? L’Etat a-t-il lui-même voulu être cet actionnaire docile et fantôme ? Qu’a-t-il reçu en échange de son silence, comme cela se pratique dans tout bon deal ?
Pourquoi avoir vendu en même temps que Daimler, si vous n’aviez pas les mêmes informations ?
Pourquoi les intérêts de Lagardère et Daimler ont-ils subitement été communs pour nécessiter une vente concomitante et rapide, alors que votre cœur de métier est si différent ?
Pourquoi dire que vous n’étiez pas au courant des problèmes qui se passaient dans vos propres usines ? Pourquoi Daimler dit, lui, qu’il était au courant ?
Pourquoi préférez-vous passer pour incompétent si vous n’avez rien à vous reprocher ?
Alors, sachant que ces questions ne seraient pas posées, Arnaud Lagardère a eu tout le temps de préparer la profession de foi qu’il a énoncée en commission : "Nous, groupe Lagardère, sommes innocents et bien sûr irréprochables. Notre patriotisme n’a jamais fait défaut à la France et nous n’avons à recevoir de leçon de personne en matière de citoyenneté économique... D’ailleurs, tout ce que nous savions, l’Etat le savait. Tout ce que nous ne savions pas, l’Etat ne le savait pas non plus..." Et, il aurait pu rajouter : "Monsieur le président Migaud : circulez, il n’y a rien à voir, vraiment rien à voir, monsieur le président."
Effectivement, personne n’a rien appris. Sauf, peut-être, que Lagardère n’est pas aussi incompétent qu’il le clame haut et fort. L’héritier est même très intelligent. Il s’est servi de la commission pour tester sa future défense.
Comment et à quoi cette commission a-t-elle servi ?
A travers elle, les parlementaires ont les pouvoirs suivants, dont ils se servent abondamment : convoquer, poser des questions, écouter les réponses puis, faire et mettre à la disposition du public les comptes-rendus des questions / réponses. Cela, sans aucune limite de moyens ni de temps.
Bon ! Tout le monde le sait, beaucoup d’hommes politiques célèbres l’ont déjà dit avant nous : "Si vous voulez enterrer une affaire... il faut monter une commission parlementaire."
C’est malheureusement ce à quoi nous avons assisté aujourd’hui.
Mais, plus grave encore, cette commission, comme celle du Sénat, sont de véritables sparring-partners pour certains auditionnés, peut-être futurs accusés !
Ils viennent et profitent des moyens de la nation pour s’entraîner et roder leurs arguments. Tout cela, sur le compte du contribuable et avec, il faut bien le reconnaître, une certaine complicité de notre représentation nationale. Les auditionnés font ainsi leur galop d’essai et préparent en fait leurs vraies auditions. Celles pures et dures auxquelles la justice de notre pays les priera de répondre dans quelque temps.
Lagardère l’a bien compris. Il s’est servi de cette audition pour parfaire in situ et in vivo son discours, ses arguments, ses attitudes, voire ses digressions amusantes. Il est venu pour peaufiner. Et, il a brillamment réussi !
Naturellement, comme contribuable irréprochable... un peu naïf, nous espérions assister à autre chose. Il n’en a rien été. L’audition présidée par le député Migaud aura été un galop d’entraînement très important pour l’innocent et irréprochable citoyen-patriote Lagardère.
Le spectacle a bien eu lieu. Nos magnétoscopes, nos enregistreurs vidéo ont bien tourné. Hélas, rien n’est sorti de cette triste audition, bien qu’on ait rigolé à de nombreuses reprises, comme tout le monde.
Alors, maintenant, des questions de fond sont posées :
Quelle est l’utilité réelle de ces commissions ? Faut-il les maintenir en l’état ? Faut-il laisser une centaine de parlementaires perdre leur temps alors que seuls trois ou quatre d’entre eux posent des questions ? Et surtout, faut-il y inviter des futurs mis en examen afin qu’ils puissent y parfaire leur défense ?
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