Conclusions concernant l’accueil de l’élève agresseur sexuel à l’école
L’intervention éducative que j’ai relatée et analysée dans la première partie de cet article suggère l’existence d’un fort potentiel éducatif et même rééducatif de la « socialisation démocratique » qui apparaît ainsi comme un puissant levier de régulation à la disposition des enseignants. Mais quelle en est la limite ? Ne serait-il pas risqué, périlleux voire irresponsable de penser accueillir jusqu’à douze ans tout élève que l’on saurait capable de violences diverses (physiques, sexuelles, psychologiques, etc.) dans une enceinte scolaire fréquentée par des élèves pour la plupart sans défense et notamment des petits de maternelle ? La simple idée d’une telle cohabitation peut sembler intolérable au citoyen lambda, surtout s’il est parent. Mais avons-nous le choix ?

Je peux bien l’avouer, quand les deux collègues, la directrice et l’enseignante m’ont fait état de la situation à laquelle elles étaient confrontées avec le retour de Tony dans l’école après son placement et passage devant le juge pour agression sexuelle, tout psychologue que je suis, j’ai ressenti une grande indignation en pensant que l’institution judiciaire était tout de même assez inconséquente, vu qu’en plus nous avions appris cela « par la bande. »
On pourrait penser, en effet, qu’il y a quelque chose d’incroyablement irresponsable à laisser ainsi un élève de douze ans — reconnu et jugé comme auteur d’agression sexuelle sur sa nièce de cinq ans — réintégrer une école où des élèves de maternelle, de trois à six ans, seront, pour ainsi dire, à portée de main.
Comment ne pas se demander à quoi pensent les juges en lâchant ainsi un renard dans le poulailler sans même que les éducateurs soient officiellement informés dans risques encourus ?
Heureusement, si je puis dire, nous avions autre chose à faire que d’être dans la récrimination ou la contestation, il fallait penser et agir vite. J’ai donc vite oublié mon impression première pour porter toute mon attention aux exigences de la situation.
Maintenant que je peux faire retour sur cette perception initiale des choses avec le recul et la sérénité nécessaires, je me mesure clairement le fait qu’il m’est impossible de me mettre décemment à la place de la Justice et de ses agents. Je ne peux ni répondre à leur place ni même tenter d’esquisser les grandes lignes de ce que pourrait être leur représentation de la situation. Il ne m’appartient pas de le faire et il est probable que je serais très vite à côté de la plaque tant sont multiples les facteurs, notamment historiques, qui contribuent aux modalités de fonctionnement de la justice. Il ne me serait d’aucune utilité de mettre tout cela en question.
Je vais donc me tenir à ma place et seulement livrer mon point de vue de psychologue qui peut se formuler très simplement comme suit : à mon sens, les choses se sont passées exactement comme elles auraient dû se passer, c’est-à-dire, aussi bien que possible — étant donné que c’est le but premier de toute action éducative.
Suite à l’agression dont Tony avait été l’auteur et pour laquelle il avait été jugé, deux pistes pouvaient être suivies pour cet élève :
- soit la stigmatisation généralement associée au passage en justice
- soit au contraire l’intégration complète sans aucune discrimination au sein de sa classe d’âge.
Il m’apparaît que la justice a suivi la seconde et outre que c’est très probablement la loi, c’est aussi très clairement le bon sens même.
En effet, un élève de l’élémentaire est un être en pleine construction identitaire. Le stigmatiser, c’est contribuer à la formation d’une identité de délinquant, éventuellement sexuel et c’est donc construire un avenir dramatiquement sombre, non seulement pour lui, mais pour ses éventuelles victimes à venir. Rappelons-nous que ces humains que nous appelons des « monstres » ont toujours une histoire et, en particulier, une enfance. Donc, gardons-nous de contribuer aussi peu que ce soit à la construction de telles personnalités.
A l’évidence, le bon sens consiste ici à tabler sur la résilience dont peut faire preuve tout être en développement pour autant qu’il se trouve placé dans le cadre structurant auquel il a droit et que la société doit d’autant plus se donner les moyens de le lui procurer que l’on a aura déjà pu constater les effets délétères de sa faiblesse ou de son absence passées.
Ceci suppose, d’une part, que les éducateurs des services sociaux aient les moyens, c’est-à-dire, la compétence et le temps d’aider les familles dans leur fonction parentale et que, d’autre part, l’école sache mettre en œuvre un cadre éducatif adapté qui, pour les différentes raisons analysées dans la première partie de l’article, me semble devoir être bâti sur les principes d’une éducation bienveillante autant que structurante, c’est-à-dire, démocratique et donc absolument respectueuse du sujet tant sous le rapport de son image que de son statut d’agent autonome, libre et responsable.
C’est, me semble-t-il, ce qui a été réalisé et réussi par l’école de Tony. Je crois malheureusement qu’il y a là quelque chose d’assez exceptionnel car la norme, je le crains, serait plutôt du côté d’une réaction défensive consistant, autant que possible à exclure l’élève délinquant sexuel et à le renvoyer vers des structures spécialisées déjà amplement surchargées.
Ma conviction est qu’il manque à l’éducation des professionnels bien formés qui sache installer un cadre éducatif capable d’accueillir les situations les plus diverses au lieu de toujours chercher à « ne voir qu’une seule tête. » C’est terrible à dire mais nous en sommes encore bien loin alors que les réformes scolaires ne cessent de se succéder depuis décennies et qu’une refondation est en cours qui ne donnera probablement pas satisfaction sous ce rapport.
Autant dire que, pour longtemps encore, il restera à chacun à faire de son mieux, en conscience. Mais la crise s’aggravant, il ne faudra pas s’étonner de voir ici et là le système craquer et laisser apparaître ses insuffisances.
Comme nous voilà parvenu au stade politique de la question, je considère que mon propos psychoéducatif est à présent achevé et je vais donc m’en tenir là.
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