Conflit au Soudan : Prochaine pire crise régionale ?
Au milieu de l’agitation politique et de la frénésie médiatique entourant la fin du cessez-le-feu et l’évacuation des ressortissants étrangers, l’ancien Premier ministre soudanais Abdullah Hamdok a lancé un avertissement selon lequel le conflit pourrait atteindre des niveaux encore plus terribles que ceux observés en Syrie et en Libye.
Cette déclaration a suscité des spéculations sur ses intentions et sur la possibilité qu’un tel scénario se réalise. Le ministre d’État britannique au développement international, Andrew Mitchell, s’est fait l’écho de ces préoccupations, déclarant que la situation pourrait devenir « extrêmement grave » si un cessez-le-feu permanent n’était pas instauré.
Il est fort probable que l’avertissement de l’ancien Premier ministre soudanais découle d’une connaissance privilégiée de la politique intérieure et des interactions secrètes entre les acteurs nationaux et étrangers, qui restent cachées aux observateurs extérieurs. Néanmoins, il est possible que ses motivations soient évidentes pour tous, en particulier les facteurs à l’origine de la crise aiguë qui a perpétué les conflits en Syrie et en Libye. Au premier rang de ces facteurs figurent les intérêts extérieurs conflictuels qui se disputent le pouvoir au Soudan, qui sont encore plus importants que ceux de la Syrie et presque aussi litigieux que ceux de la Libye.
Contrairement à la Syrie, qui a connu une position régionale et internationale unifiée, la Libye et le Soudan sont tous deux confrontés à une situation très fragmentée, avec un soutien régional et international divisé entre différentes factions. Cette impasse devrait perdurer jusqu’à ce que les parties internes et externes parviennent à un consensus sur leurs perspectives et intérêts respectifs. Ce résultat risque d’être difficile à atteindre tant que l’une des parties n’aura pas acquis la souplesse nécessaire pour négocier sa position.
Le deuxième aspect critique de la crise soudanaise est la volonté des factions en conflit de s’engager dans une confrontation militaire prolongée et de grande ampleur. Contrairement aux crises libyenne et syrienne, où une partie (l’armée) était déjà prête au combat, tandis que la partie adverse (la milice) a progressivement acquis du matériel militaire au fil du temps, la situation du Soudan semble différente. D’un côté, il y a une armée nationale, de l’autre, des unités paramilitaires dispersées, dotées d’une structure de commandement hiérarchique et de capacités de combat adaptées, bien que limitées, à ce type de conflit (principalement avec des armes légères). Ces types de conflits sont souvent qualifiés de guerres civiles, où les expériences passées indiquent que les milices légèrement armées ont un avantage sur les armées régulières non préparées.
En outre, les forces de soutien rapide possèdent une expertise et une familiarité spécialisées, que ce soit au Darfour ou dans d’autres crises internes, et leur mépris des protocoles et procédures établis régissant les armées régulières leur permet de semer le chaos et la désorganisation.
Le troisième facteur qui exacerbe les inquiétudes concernant la crise soudanaise est la position de la communauté internationale et des puissances régionales et mondiales. Ces parties abordent la crise de manière formelle, à l’image de l’approche adoptée en Libye. Les deux généraux, Burhan et Hemeti, disposent d’un réseau de relations extérieures qui leur permet de communiquer et de transmettre leurs points de vue au monde extérieur. Ils se livrent une bataille médiatique féroce, suivie par tous les grands organes de presse internationaux. Aucun des deux n’est officiellement considéré comme un parti voyou ou rebelle, mais plutôt comme deux partis qui se disputent le pouvoir dans leur pays.
En fait, Hemeti occupe toujours son poste d’adjoint au chef du Conseil souverain et, à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune décision n’a été prise par le général Abdel Fattah Al Burhan pour démettre de ses fonctions son adjoint, qui commande des forces que l’armée soudanaise qualifie de « rebelles ».
Cet élément englobe également les communications externes officielles qui ont lieu avec les deux généraux et qui sont annoncées publiquement. Cela s’explique principalement par le fait que le général Hemeti est un membre du cadre politique interne et externe reconnu au Soudan, et que ces communications semblent donc routinières, compte tenu des conditions qui prévalaient dans le pays avant le récent déclenchement des combats.
Le quatrième facteur qui attise les inquiétudes concernant le conflit soudanais est sa localisation en Afrique, et plus précisément à l’un de ses points d’entrée les plus importants. L’intersection des frontières et des crises, telles que la crise du barrage Renaissance et la crise libyenne, ainsi que les situations fragiles des pays voisins géographiquement adjacents au Soudan, créent un environnement propice à l’ingérence de parties extérieures. En l’absence d’un consensus international ou d’une intervention des Nations unies pour contrôler la situation sécuritaire et rétablir la stabilité, la situation est une véritable bombe à retardement.
Pire encore, des organisations terroristes basées en Afrique de l’Est et de l’Ouest profitent de la situation, ce qui ajoute une nouvelle dimension, plus compliquée, au conflit. La frustration qui plane sur la situation au Soudan offre à ces organisations un environnement idéal à exploiter sur le plan idéologique pour attirer et recruter des jeunes dans leurs rangs, ce qui ne fait qu’ajouter à la gravité de la situation.
Le cinquième élément, qui a le moins d’impact stratégique mais qui reste influent, est la faiblesse ou l’absence du rôle du système collectif arabe et l’incapacité de l’institution d’action collective arabe à exercer une influence au Soudan ou dans d’autres pays arabes. En fait, certains rapports font état de différences fondamentales entre les positions arabes concernant le Soudan, ce qui rappelle la situation dans les crises syrienne et libyenne et a entraîné une prolongation de ces deux crises.
Le sixième élément est caractérisé par une longue histoire d’instabilité politique, de coups d’État militaires et de rivalités interethniques, qui ont frappé le Soudan depuis sa création et qui ont culminé avec la sécession du Sud-Soudan en 2011.
Le septième élément, tout aussi préoccupant, est l’absence de stratégie internationale cohérente pour résoudre la crise et instaurer une paix durable. Au lieu de cela, l’accent a été mis principalement sur l’aide humanitaire et les cessez-le-feu temporaires, sans feuille de route claire pour une solution durable.
Dans l’ensemble, on peut dire que le conflit militaire au Soudan est susceptible de se poursuivre et de s’aggraver si cette crise n’est pas rapidement maîtrisée par les puissances régionales et internationales et si des pressions ne sont pas exercées sur les parties au conflit pour qu’elles désamorcent la situation avant qu’elle ne dégénère en une guerre civile impliquant d’autres éléments tels que les affiliations tribales, régionales et partisanes, devenant ainsi une véritable menace pour l’unité des territoires du Soudan, comme cela s’est produit dans d’autres crises internes.
Par conséquent, le conflit militaire au Soudan semble dépendre fortement des positions des acteurs extérieurs, dont l’implication pourrait soit exacerber, soit atténuer la situation. Il est impératif qu’un effort diplomatique coordonné soit déployé afin d’assurer la médiation de la crise et de rétablir la stabilité dans la région.
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