Congrès d’EELV à Caen : le congrès de la débâcle, ou celui de la renaissance ?
Celui qui oublie ses racines n'atteint jamais sa destination. Ce proverbe aurait utilement composé le nom d'une des motions en compétition samedi au congrès d'EELV, si ce parti, autrefois écologiste, avait voulu garder l'espoir de ne pas subir la débâcle à laquelle le condamne irrémédiablement une reconduite de "La Firme" au pouvoir.
Depuis son origine le nucléaire a été au cœur du débat de l'écologie politique. Il en demeure l'un des piliers principaux, sinon le pilier central ou la clé de voute. La victoire de Whyl en bordure du Rhin en 1975, la lutte emblématique de Creys-Malville de 1976 à 1997, ou celle de Plogoff (1978-81), comme bien d'autres combats antinucléaires ont forgé l'esprit de toute une génération d'écologistes et de citoyens favorables à l'écologie qu'ils soient ou non militants. La catastrophe de Tchernobyl, survenant quatre ans après la création du parti "Les Verts - Parti écologiste" en 1982, aurait dû, comme en Allemagne, faire acquérir à tous les écologistes politiques (et la renforcer chez ceux qui l'avait déjà) cette conviction que le nucléaire est une erreur fondamentale, et qu'il devait impérativement faire l'objet d'une place centrale non négociable au sein de leurs luttes politiques. Ce ne fut pas le cas. Pour des raisons sur lesquelles il conviendrait de se repencher. Tout comme il s'agirait de comprendre pourquoi l'institutionnalisation de la lutte antinucléaire peut, en France tout au moins, enfoncer ses partisans dans des démissions successives quand leur est donnée la responsabilité de faire vivre cette exigence.
La survenue de la catastrophe de Fukushima est venue amplifier cette terrible évolution. Et elle exerce un puissant effet grossissant dans l'observation que l'on peut faire de ce qui traverse EELV et qui n'est, peut-être en fait, qu'une profonde et tragique résignation. Face à l'urgence croissante d'une indispensable mobilisation mondiale devant des réacteurs en fusion et une piscine de stockage en équilibre précaire, face à l'incroyable décision du Programme Alimentaire Mondial, face à la scandaleuse décision de la Commission européenne, à quelle priorité politique se sont tenus les dirigeants d'EELV ? Honteusement à des sujets, non pas forcément accessoires certes, mais si éminemment écologiques ! Comme par exemple le mariage pour tous, qui, s'il n'a rien d'accessoire, est d'une urgence tellement capitale !... Avant la timide montée en puissance du Parti de Gauche sur l'écologie, quel a été, simple exemple, le nombre d'articles ou de communiqués concernant le nucléaire ou Fukushima sur le site officiel d'EELV, et sur les blogs de ses élus ? Terriblement dérisoire. Et le constat est le même pour les OGM, dont on ne parlera pas ici.
Là où l'on aurait pu s'attendre à une explosion de colère d'EELV et des militants écologistes, une véritable démission, un silence impressionnant sont venus occuper l'espace politique. Quelle a été la seule traduction politique par EELV du drame en cours ? La passation à
l'automne 2011 d'un accord avec le PS devant inclure l'arrêt de l'EPR de Flamanville (lequel n'a finalement pas été retenu) et la fermeture immédiate de la centrale de Fessenheim, en préalable à celle de 22 autres réacteurs à l'horizon 2025, laquelle fut ignorée une fois le PS installé au pouvoir. Et s'il n'y avait pas eu une occupation de l'esplanade de la Défense par des indignés suivie d'une caravane à vélo des indignés du nucléaire ce contrat n'aurait-il pas été destiné aux oubliettes au prétexte intouchable d'une solidarité ministérielle, quel qu'en puisse être son coût ?
Malgré ce silence assourdissant post-Fukushima d'EELV, les citoyens défavorables au nucléaire ont continué - parce qu'ils voient dans ce parti l'inscription institutionnelle, autrement dit reconnue, admise et donc incontournable, de l'opposition au nucléaire - à y placer leur espoir d'une traduction politique de ce désastre industriel, de cette "apocalypse" écologique pour reprendre le terme employé par Günther Oettinger, commissaire européen à l'énergie. A quelle terrible désillusion ont-ils été soumis !
Tandis que les militants dans leur ensemble persistaient, eux, à accorder leur confiance à un Réseau Sortir du nucléaire paralysé par le putsch de 2010. Heureusement Greenpeace conservait une part de lucidité permettant de sauver l'honneur.
A part se contenter de voir dans les aimables chaines humaines sans lendemain du Réseau Sortir du nucléaire une hypothétique manifestation de force, le parti EELV n'a-t-il donc jamais perçu en elles l'expression dramatiquement inappropriée (au regard de ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes par exemple) d'une mobilisation massive de citoyens scandalisés, qui attendent une réponse adaptée à l'ampleur du scandale de Fukushima ? Et du nucléaire dans sa globalité ? Résultat : la chaine humaine de 2013, bien que se déroulant à Paris, fut d'une moindre ampleur numérique que celle du Rhône de l'année précédente. Sans doute "la Firme" en a-t-elle déduit frivolement, par cette lâcheté qui la caractérise, que la situation à Fukushima, au Japon, et dans le reste du monde s'améliorait. Et que va-t-il se passer en France, dans ce pays désormais le plus nucléarisé au monde en densité, aux environs du 11 mars 2014 ? Apparemment de nouvelles petites chaines et dispersées un peu partout en région...
A la question posée par Reporterre : "A quoi EELV sert-il ?", Alain Lipietz a semblé répondre très honnêtement : "La réponse spontanée de la plupart des sympathisants de l’écologie (...) sera sans doute : « À rien »". Mais en réalité non, EELV ne sert pas "à rien". Car c'est malheureusement bien pire que cela. Du moins à propos du nucléaire. Investi historiquement de la responsabilité de mener la lutte antinucléaire, mais paradoxalement totalement désinvesti jusqu'à son Conseil Fédéral de mai 2013 de cette responsabilité, ce parti a, de fait, tragiquement empêché la réalisation d'une mobilisation adéquate, et a contribué, par ce biais mais aussi directement, à installer l'omerta médiatique sur le déroulement de la catastrophe de Fukushima.
Si, comme à l'époque de Tchernobyl, nous n'avions pas internet à notre disposition, qu'aurions-nous su, et que saurions-nous aujourd'hui grâce à EELV de ce qui se passe à Fukushima ?
En cela EELV porte déjà une très grande responsabilité.
Outre qu'un accident grave peut tout à fait survenir en France durant sa présence au gouvernement, mais avant tout compte tenu de ce qui se passe actuellement à Fukushima, il ne reste donc plus beaucoup de temps à EELV pour "changer de cap", radicalement. Et non pas en quittant le gouvernement. Au contraire, en s'y accrochant et en haussant furieusement le ton puisque depuis l'affaire Léonarda les ministres EELV se savent désormais indéboulonnables ! Afin non pas de demeurer la mouche du coche qu'EELV est devenu depuis peu, mais de devenir le frelon ou l'aigle qu'il aurait dû être depuis Fukushima. Et même depuis Tchernobyl...
A défaut, si par malheur "La Firme" était reconduite, il faudra alors s'attendre aux élections européennes à ce que des initiatives citoyennes viennent troubler le jeu électoral - qui devrait être tout sauf un jeu et encore moins narcissique - afin de rappeler à qui de droit que les convictions dans une situation d'urgence, et qui plus est mondiale, ne devrait pouvoir tolérer plus longtemps la moindre compromission ou autre corruption.
"Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre" disait Winston Churchill. Il en est de même pour qui veut effacer de sa conscience un évènement "apocalyptique".
Patrick Samba
PS : Par ailleurs a-t-on seulement songé au possible effet délétère de la catastrophe ignorée, et en même temps si peu ignorée, chronique et mal traitée de Fukushima sur le psychisme des populations ? Et en particulier sur celui des entrepreneurs, et des acteurs économiques d'une manière générale ?
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