Conscience
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La conscience ne serait-elle pas cette connaissance qui, non seulement nous ferait désobéir, mais nous ferait souffrir ? Ainsi Dieu nous aurait-il prévenus : tu accèdes à la conscience, tu souffriras.
Que fait notre corps en cas de fortes douleurs ? Il nous fait tomber dans les pommes !
Tiens, les pommes !
Que fait notre cerveau pour échapper à de trop profondes souffrances ? Il nous anesthésie ; quand on est môme, cela s'appelle création de névrose. Quand on est grand, sidération état de choc ou traumatisme : abaissement de la vitalité, endormissement, anesthésie.Que fait la main commandée par le cerveau à la moindre névralgie ? Séparer de son emballage un petit cachet d'analgésique, cette substance chimique qui supprime la sensibilité. La peur du qu'en dit-on de la douleur de l'accouchement fait bondir sur l'opportune péridurale.
Je ne crache pas sur les progrès faits pour stopper ou ne serait-ce qu'atténuer une douleur insupportable ; c'est un progrès indéniable, auquel tous les êtres vivants n'ont pas droit. Bienvenu quand on vous charcute le ventre.
Mais est-ce vraiment nécessaire de brimer sa sensibilité, partout, tout le temps ?
Très judicieux, notre cerveau nous offre tout un panel de techniques qui ont l'ineffable efficacité de se passer de volonté, d'effort, de travail, de discipline : elles sont inconscientes, donc insensibilisées. C'est le top du top, malheureusement rien n'est parfait et vient le jour où la douleur nous rattrape : une malédiction, on n'y échappe pas, ou guère ou peu de spécimens.
Il y a les oeillères – comme celles que l'on met aux chevaux dans les arènes ou les tracteurs de carrioles- ; il y a la myopie, cette anomalie très prisée de nos jours où les myopes ne se compte plus ; la surdité, plus ou moins sélective ; le mental qui affiche haut et en couleurs la véracité et la supériorité de son pouvoir, le but qu'il se donne sans en démordre ; l'action qui se spécialise et occupe toute l'énergie ; ou bien la concentration, la tête dans le guidon, qui accumule toutes celles-ci.
Et puis, l'individualisme, l'égoïsme qui se veut hédoniste ou bacchanale, moral ou religieux.
On boucle, on ferme, on tient.
Puisque le fameux lien social ne se tisse plus avec des inconnus ou des gens posés par hasard dans notre voisinage, on le crée avec ceux dont on suppose qu'ils partagent nos plus profondes pensées parce qu'ils pédalent, font vrombir leur moteur de même marque, pétaradent dans les chemins creux, plongent, cavalent, marchent ou militent dans le même camp.
Tout désir de sécurité est naturel, tout animal crée son nid et vit avec les siens, cependant, j'ai le sentiment que chez l'humain, mon concitoyen, ce désir de sécurité inhibe beaucoup d'autres capacités et se fabrique dans un artifice que ne connaissaient pas nos anciens ni aucune autre espèce.
Le problème tient évidemment au peu de résultats tangibles de ce fonctionnement ; car se protéger coupe le lien, interdit l'échange, brime la curiosité en lui opposant la certitude, le droit de, jusqu'à la supériorité dédaigneuse. Or se couper du monde est non seulement un appauvrissement mais une mort. Parfois effective.
C'est un type de fonctionnement qui peut être diabolique ; si on prête un tant soit peu de caractère humains à nos dirigeants économiques et politiques, on se doute que ces subterfuges leur sont nécessaires pour vaquer sans souci dans leur petite strate coupée de tout. Et tout le monde voit le mal que cela engendre.
C'est pourtant la même chose à tous les niveaux, dans tout ce que j'ai évoqué, ce que j'oublie et ce que je ne dissèque pas.
Il m'arrive de voir dans les yeux de mes commensaux, le voile qui floute leurs pupilles quand un sujet abordé les gêne ou risque de toucher une zone protégée. C'est indicible mais très visible, même si cela ne dure que quelques centièmes de secondes. Tout leur commande d'interdire l'entrée de ce qui gênera.
Malheureusement – ou heureusement, je n'étais commensale de ceux qui, juste après Tchernobyl, et pour rassurer la populace que nous sommes, et bien contente de l'être, rassurée, l'assura que nos frontières étaient étanches aux débordements radioactifs. Quoique tout à fait impuissants, nous ne fûmes pas tous dupes !
Voilà ce que je viens de lire :
Et de fait, nous sommes nombreux à avoir vu mourir beaucoup des nôtres, avoir connu beaucoup de femmes qui ont avorté comme par magie ou mis au monde des enfants handicapés.
De quelle conscience s'agit-il ? Nos élus étaient-ils responsables ? Non. Mais quelle fut leur priorité ? On se le demande, tous les cancers qui s'ensuivirent furent bien pris en charge par la sécurité sociale ? Quelles économies ont bien pu être faites en cachant aux habitants des régions contaminées, ce fléau ?
Il est facile, n'est-ce pas, de mettre sous le tapis ce qui dérange, tellement facile que c'est la première chose qui vient à l'esprit.
La conscience, y compris celle de nos responsabilités, demandent de la réflexion, du temps, des échanges afin de trouver la meilleure solution aux problèmes.
Or, nous avons réussi à inventer une société ou la cécité, la mauvaise foi et la lâcheté se trouvent dans l'impunité la plus totale. Et ce, à tous les niveaux. Des plus graves, et exceptionnels, aux plus légers et quotidiens.
Pourtant, la conscience et la responsabilité qui s'ensuit sont notre seule liberté. Le mensonge, et tout ce qui s'ensuit, n'est qu'aliénation ; pourquoi donc « liberté » est-elle vantée aux frontons de trente six mille mairies ?
Il y a évidemment mille manières de se cacher le réel ; la névrose est la plus dure à déboulonner car les névrosés sont plus à cran pour nourrir leur névrose que pour s'en débarrasser.
Mais il y a une manière complémentaire et bien rodée ; j'aimerais la définir en deux mots mais je préfère m'y attarder un peu, de peur d'être mal comprise.
Il y a une classe sociale, qui couvre tous les domaines de la société ; immiscée dans toutes les administrations, la justice, la médecine, l'université, l'école et, bien sûr l'industrie, la finance et la politique. Ceux qui la composent n'ont pas qu'un point commun, on pourrait presque dire qu'ils sont semblables si leur objet d'étude puis de carrière était le même : ce sont les bons élèves.
Les bons élèves sont dociles – ne figurent pas dans cette catégorie, les doués, surdoués rebelles ou fantasques, qui comprennent tout très vite mais se mettent à dos tout le monde par leur fantaisie, ceux-là, jamais ne se retrouveront dans quel pouvoir que ce soit, et c'est bien dommage, mais leur intelligence est antinomique du pouvoir- ; pas inintelligents, la flatterie les porte et leur ambition croît au fil de leurs succès. On peut compter sur eux pour n'avoir aucune idée dérangeante, ils sont pris pour modèles et, une fois sur leurs rails, ça roule. À tous les échelons, va sans dire, puisqu'ils y sont nécessaires.
Or, cette caractéristique entraîne forcément un horizon rétréci, on ne peut briller qu'étroit et si on ne brille pas, même si briller abuse, on ne peut tenir une vie que bien cadré.
Pendant peut-être un siècle, ces bons élèves furent respectés par les plus mauvais qui menaient leur vie autrement, dans des ateliers ou des exploitations privés qu'ils en fussent patrons ou ouvriers ; eux étaient les producteurs de richesses, tandis que les premiers sont les garants de l'ordre. Je ne dis pas qu'il y avait moins de cécité chez les exploitants, tout entiers rivés à leur réussite matérielle, mais les ouvriers, eux, n'étant pas tenus par l'image d'un statut à honorer, n'étant pas flattés, avaient tout loisir de découvrir tous les contours de leur aliénation imposée et d'en connaître ( à partir d'eux), en négatif, la teneur de la liberté. Le monde était réel, bien réel et leur culture politique et leurs luttes ne furent pas anodines dans le mieux être de tous.
Il est à noter que, autant que j'en sache, dans toute espèce animale, ce sont les dominés qui apportent les progrès. Et celui-ci n'est que le fruit d'une observation, d'une audace, d'un pas en avant hors les sentiers battus, et, les bons élèves, pendant ce temps, ont tant à perdre qu'ils ne s'autorisent pas cela. Aussi la conscience qu'ils ont du monde est plutôt une projection, même sur écran plat, de leur vision conditionnée. Et qu'ils imposent. De plus en plus.
Le dominé a besoin de tous ses sens et de toute sa vigilance pour survivre ; il est nu et à vif , car nu. Le nanti – j'aime ce mot dont l'image m'évoque un homme entouré de draps serrés autour de lui, qui le protège et l'inhibe ; que pouvez-vous sentir sur votre peau ainsi cuirassé ? Rien- lui, au contraire, peut se permettre de n'avoir aucun sens de l'orientation, ne rien connaître de la lune mais déambuler partout à l'aise, enroulé dans ses braies. Cela a toujours été le cas, mais aujourd'hui c'est sans pareil.
Alors la conscience ? C'est la pomme ? Ce qui nous empêche de nous faire truffer ? De hurler avec les supporters ? De nous ruer sur le bouc émissaire ?
Il y a une autre catégorie d'humains, de loin les plus nombreux, ce sont les croyants. Les croyants sont dans un tunnel et marchent vers la lumière ; c'est vous dire s'ils voient ce qu'il y a à côté d'eux. Leur soumission est totale, leur liberté nulle, puisque leur conduite est dictée par leur(s) croyance(s). Elle peut-être religieuse ou de n'importe quel ordre d'ailleurs, et tout le monde comprend quelle sécurité ils trouvent dans ce confort ; cela les rend sûrs d'eux et leur octroie, plus que de raison, un pouvoir qui peut aller jusqu'à être très dangereux.
Ces deux classes peuvent se superposer, car si l'on admet le « croire en soi » en plus du « croire en Dieu » ou le croire en la force matérialiste de l'argent, ce qui n'a rien d'incompatible, on le constate tous les jours, ce peut être les mêmes. Dans la catégorie « dominé », le croyant est celui qui se fait enfler en en redemandant.
Quand je dis « croyants », je ne parle pas de ceux qui ont la foi ; dans foi, il y a confiance, et ce peut être un chemin balisé de conscience ; je parle des dupes, ceux dont l'esprit enfermé ( qui a été enfermé par d'autres) bloque toute énergie de la conscience ; l'inconscient alors est rivé.
Car la conscience est aussi connaissance, connaissance de soi, en vrai, pour de bon. Et sait que les horizons large ouverts ne sont que mixture mentale, car si la conscience se détache de l'agir, qu'est-ce qui nous garantit qu'elle se distingue distinctement de la croyance ?
Mais elle sait aussi que ce qu'elle englobe n'est pas échantillon, mais partie d'un tout, et de cette partie, le Tout se dessine. La réalité n'est pas si plurielle, pleine d'avatars certes mais facilement rattachables à l'incarnation primordiale. Chaque humain est unique mais facilement rattachable à un caractère. Si nous admettons que toute connaissance est une fonction de l'être, nous pouvons admettre aussi que celle-ci est chez celui qui connaît selon le mode de celui-ci.
On peut considérer par exemple, que la docilité citée plus haut, est partie intégrante de la nature humaine mais qu'on se délivre de son aspect sclérosé, quand elle répond au pouvoir des hommes, en la dirigeant vers la Nature éternelle des Choses. Car on obéit forcément aux aléas du climat, de l'âge, de son sexe,etc. Ce n'est donc pas servilité mais harmonie. La nature éternelle des Choses recouvre évidemment tout le ressenti du sensible et les écrits des anciens, leur sagesse, leur connaissance. Mais aussi notre propre adéquation au monde, cette ligne de moindre résistance, que j'hésite à nommer parce que certains la prendront pour paresse, mais qui n'est que l'adaptation à l'instant, dans son milieu ; les heurts sont des écueils, des maladresses dus à notre malentendement.
La conscience n'attend pas le nombre des années, comme tout ce qui nous concerne elle se construit comme une spirale, exacte à chaque étape ; l'enfant, qu'on pourrait dire inconscient à bien des égards, ne l'est pourtant point si l'on en juge par l'harmonie de son comportement face à l'inconnu, avant ou sans qu'il soit abîmé par l'excellence de son dressage. Car la conscience a beaucoup à voir avec l'intuition, cette connaissance immédiate, et elle exige cet abandon des lignes de conduite imposées pour pouvoir capter.
Mais elle est aussi, (avant tout ?), une mise en relations des données qui nous parviennent et exige alors une hauteur de vue, tandis qu'elle peut aussi s'éclaircir en restant tapie tout au fond.
En tout cas, elle ne peut exister, et nous dispenser des attelles que l'on met partout dans notre vie, que si elle est en bonne entente et en dynamique avec notre inconscient. Celui-ci ne rechigne pas à lâcher ses secrets si la conscience donne confiance et accepte du monde tout ce qu'il contient, y compris du monde intérieur. Acceptation n'étant pas caution.
Or, c'est bien de ce monde intérieur que la peur qu'il inspire amène aux subterfuges pour la juguler, et c'est étonnant de voir le pire se produire pour avoir voulu l'éviter. Car la drogue, Alzheimer et toutes les somatisations ne sont que l'aboutissement dramatique d'un refus de conscience, d'un refus du réel, un interdit posé par je ne sais quelle sorcellerie, qui n'est pas inhérente à l'homme mais bien à nos sociétés.
La conscience pourrait être ce vecteur dynamique entre la puissance du monde condensé en notre inconscient et la puissance expansée du monde réel ; la première étant source de maux, pour ne pas dire du Mal, se transmutant dans cette centrifugeuse que serait la conscience, pour aboutir à la connaissance du monde réel, dispensatrice de biens, pour ne pas dire le Bien.
Quand on dit : « Tu as conscience de ce que tu as fait ? », il s'agit bien là d'un passage qui ne s'est pas opéré entre l'enfoui ( le mal) et le manifesté (le bien).
Il s'agit évidemment là de ma propre approche de la conscience, qui ne peut pas être qu'esprit tant elle est dynamique ni non plus que vision tant elle est liée au réel et à l'emmagasiné.
Sûr que la vision est liée à l'intuition et que l'esprit, quant à lui donne à la perception l'espace que nos cinq sens restreignent ; s'il est le sens du lointain, sa perception, voir de l'immatériel, que l'on nomme à juste titre spirituel, il ne peut l'être qu'activé par la conscience ; l'esprit ne peut être qu'intellect s'il n'est pas mu par cette alchimiste. Et nombre d'érudits plafonnent dans l'abstraction sans que soit remuée en eux l'ombre de la moindre connaissance ; une coupure nette sépare la chair, mais aussi leur histoire, leur atavisme et ils peuvent n'être qu'encyclopédies. Tandis qu'un ignorant des livres possédera la connaissance, sans livre et sans mots peut-être.
Lucidité, clairvoyance, sont peut-être des mots qui tournent autour du pot, qui plus proche de la raison, qui plus proche de la morale, tandis que l'extralucide s'extirpe vers l'intuition qu'à ce stade on juge para-normale.
Certains croient que la conscience survit au corps et la mêle à l'âme, éternelle, parce que certains qu'on a crus morts ont vu une lumière au bout du tunnel. J'ai lu ces expériences et, à l'époque, j'ai aussi voulu croire à une part magique de l'homme, cette part qui nous ouvre des horizons infinis et nous consolent. Mais comme l'illumination mystique – et contrairement aux stigmates qui sont l'oeuvre du somatique, hystérique-, ce n'est peut-être là qu'une illumination donnée à un moment d'expérience rare que l'on peut peut-être inscrire dans le champ de l'intuition géniale, qui met en relation de manière instantanée une multitude de données jusque là désordonnées. Mais l'illumination qui émerveillent ceux qui l'ont vécue ne donnent rien d'autre que témoignage, tandis que la connaissance intuitive, la « découverte », mettra des années à s'organiser en mots, ou en formules, pour le partage.
J'aime qu'on ne sache pas placer la conscience ni l'âme dans un coin du cerveau ou dans un ventricule cardiaque ! Pour ma part j'aime voir l'âme comme une conjugaison entre les sentiments, domaine sensoriel, et l'esprit ; l'anima que toute vie possède, relative à elle, que je ne vois guère se superposer, se conjuguer ni même influencer la conscience. Mais il ne s'agit que de mots, et pour ce qui est du signifié, chacun le sien.
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