Constitution : ceux qui n’ont pas le courage de leurs opinions
Avec le projet de révision constitutionnelle, nous avons vu que l’exécutif « ne supporte pas le vote blanc » et « méprise la voix du peuple », qu’en est-il de l’Assemblée Nationale ? Pour la première fois sous la 5ème république, le parlement s’était emparé du sujet en amont des propositions de l’exécutif, quel bilan à mi-course ?
Un premier bilan des travaux
Du 10 au 22 juillet, sur les 24 séances publiques consacrées au Projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », après les deux séances de présentation et de discussion générales, 14 séances ont permis d’examiner les amendements (les 8 dernières séances ont été entièrement dévolues aux rappels au règlement dus à l’affaire Benalla).
Ce qui a été fait :
- 2 articles sur les 17 du projet de loi ont été adoptés soit 3%,
- 911 amendements ont été examinés sur les 2399 soit 38%
- les travaux se sont arrêtés à l’article 35 de la constitution sur 89 soit 39%,
- 24 amendements ont été adoptés, si on enlève les doublons et les corrections d’orthographe, cela fait 10 amendements « réels »
Sur le fond :
- A l’article 1, sur l’absence de distinction des citoyens, suppression du mot race et ajout du mot sexe, ajout de la reconnaissance de la diversité des territoires et de la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques.
- A l’article 18, suppression de l’interdiction faite au président d’assister aux débats en congrès suite à son discours
- A l’article 23, incompatibilité des fonctions de membre du gouvernement avec des fonctions exécutives locales
- A l’article 28, suppression de la limite de 120 jours pour les sessions parlementaires
- A l’article 34, ajout de la protection des données personnelles, du service national, de la préservation de la biodiversité, des mers et des océans, de la lutte contre les changements climatiques et de la protection sociale.
Au final :
- aucune ouverture sur le pouvoir des citoyens (propositions d’amendements sur le vote blanc ou sur les référendums obligatoire ou d’initiative citoyenne),
- des avancées à minima (non cumul des ministres, protection des données personnelles au lieu d’une véritable charte du numérique) ou symboliques sur l’environnement (eut égard à la jurisprudence du conseil constitutionnel qui respecte scrupuleusement le caractère sacré de la propriété individuelle exclusive et lucrative à l’article 29 de la DDHC)
- l’ouverture de brèches pour augmenter le présidentialisme (art.18) ou détricoter le pacte social (ajout de la protection sociale à la sécurité sociale)
Le gros du débat sur l’équilibre entre exécutif et législatif et sur l’avenir du CESE n’est pas encore abordé. Le feuilleton risque de durer…
Mais que voulait l’Assemblée Nationale ?
Pour la première fois sous la 5ème république, le parlement s’est emparé du sujet en amont des propositions de l’exécutif. A l’automne 2017, François de Rugy ayant organisé 7 groupes de travail permanents pour améliorer le fonctionnement de l’Assemblée, leur première feuille de route visait notamment à identifier les évolutions de la constitution qui pourraient être proposées lors de la révision constitutionnelle.
Il est à noter que ces groupes de travail sont transpartisants : chacun est présidé par un des 7 groupe de l’assemblée avec un rapporteur LREM, il est composé de dix députés issus de chacun des groupes politiques. Les conclusions de ces groupes sont donc issues d’un vrai travail de consensus entre les députés.
Les conclusions ont été présentées dans un rapport en décembre 2017. 4 groupes de travail ont proposés 54 propositions d’amélioration de la constitution (les 3 autres groupes abordant plutôt le fonctionnement interne de l’assemblée : conditions de travail et statut des collaborateurs, développement durable et ouverture et rayonnement de l’assemblée). Si l’on fait le point jusqu’à l’article 34 voici les principales propositions du rapport :
Pour le groupe Statut des députés :
- A l’article 23, interdiction aux membres du gouvernement du cumul avec une fonction exécutive locale
- A l’article 24, réduction du nombre maximum de parlementaire (403 députés, 244 sénateurs) et en conséquence, à l’article 16, réduction à 42 députés ou sénateurs pour saisir le conseil constitutionnel, ouverture à plusieurs types de scrutins (majoritaire, proportionnel ou mixte),
- A l’article 25, précision des règles de cumul dans le temps (aussi à l’article 34), instauration d’un plafond de rémunération pour les activités professionnelles annexes, principe de remplacement par les suppléants en cas de longue maladie ou maternité, instauration d’un pouvoir d’alerte à la commission de suivi des découpages électoraux, création d’une agence des moyens parlementaires en charge de la définition et du suivi des rémunération, frais et indemnités.
Pour le groupe Procédure législative :
- A l’article 28, suppression de la limite de 120 jours pour une session parlementaire
- A l’article 31, obligation pour les membres du gouvernement d’être présent lors de l’examen des lois en commission,
- A l’article 34, instauration de lois d’exécution budgétaire systématisant le contrôle et l’évaluation des lois de financement du budget.
Pour le groupe Moyens de contrôle :
- A l’article 13, augmentation du pouvoir de contrôle du parlement sur les nominations du gouvernement avec un avis positif au 3/5ème des commissions compétentes.
- A l’article 24, possibilité de solliciter l’administration dans le cadre des activités de contrôle du parlement, rattachement de certains services de l’administration au parlement pour les activités de contrôle, possibilité d’adresser des injonctions au gouvernement (suppression de l’interdiction de l’article 34-1).
- A l’article 34, instauration du contrôle de l’application des lois avec possibilité de recours en conseil d’état par 60 députés ou 60 sénateurs.
Pour le groupe Démocratie numérique et participation citoyenne :
- A l’article 1 : ajout des textes suivants : « La loi garantit la participation des citoyens à l’édiction des normes publiques et à l’élaboration des politiques publiques. » « La loi garantit l’accès libre, égal et universel à des réseaux numériques ouverts et la formation des citoyens à leur utilisation. » « Les citoyens ont le droit d’accéder et de réutiliser les informations à caractère personnel les concernant, les informations détenues par les autorités publiques et les informations utiles à un débat d’intérêt public, dans les limites et les conditions fixées par la loi. ».
- A l’article 11 : amélioration du mécanisme du référendum d’initiative « partagée » en renvoyant la définition des seuils de soutien à une loi organique, en ouvrant la possibilité de referendum abrogatoire et en supprimant la possibilité d’examen par le parlement pour éviter le référendum.
- A l’article 24 : instauration du rôle des membres du parlement pour favoriser la participation des citoyens à la vie publique.
- A l’article 33-1 : réaffirmation du droit de pétition : « Le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles des pétitions font l’objet d’un examen de l’assemblée saisie et d’une réponse publiée au Journal officiel »
Quand on regarde les propositions des groupes de travail au-delà de l’article 34 de la constitution, on obtient au final un parlement avec beaucoup plus de pouvoir de contrôle et une réduction forte de la capacité du gouvernement à imposer sa vision. Par contre les avancées en terme de pouvoir donné aux citoyens sont encore timides. J’avais à l’époque, face aux enjeux à venir, souligné l’importance de changer de paradigme pour passer d’une culture de compétition et d’exclusion à une culture de coopération et d’inclusion. Cela nécessité de redonner du pouvoir aux citoyens pour les rendre coresponsables des biens communs.
Que sont devenues ces propositions ?
En comparant à la liste des amendements adoptés on peut voir, qu’à part le non cumul des mandats ministériels et exécutifs locaux et la suppression de la limite des 120 jours pour une session parlementaire présents dans le texte de l’exécutif, aucune des propositions faites par les groupes de travail de l’Assemblée Nationale n’a été adoptée. Ce qui n’est pas étonnant puisque ces propositions n’ont même pas été déposées !
Dans un fonctionnement normal, chaque groupe de travail aurait dû déposer la totalité de ses propositions et celles-ci, ayant fait l’objet d’un consensus transpartisant, auraient dû tout naturellement être votées lors de l’examen en commission et en séance publique. Il est d’ailleurs étonnant qu’elles n’aient pas été déposées par les groupes d’opposition afin de mettre la majorité devant ses contradictions.
C’est à désespérer de nos parlementaires !
J’étais jusqu’à présent assez favorable au maintien de l’Assemblée Nationale et pour remplacer le Sénat par un Sénat Citoyen composé de citoyens tirés au sort. Maintenant je me demanderai presque si ce n’est pas l’Assemblée Nationale qu’il faudrait remplacer par une assemblée de citoyens tirés au sort !
Et maintenant ?
Comme je le disais dans mon précédent billet, pour ceux qui voudraient faire « leur part de colibri » vous pouvez signer la pétition pour des états généraux de la démocratie qui fait suite à cette tribune cosignée par une vingtaine de collectifs citoyens. Lorsque les travaux parlementaires redémarreront à l’automne (ou pas ?) vous pourrez aussi soutenir des amendements citoyens auprès de vos parlementaires au moyen de la plateforme Lobby-Citoyen.
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