Conte actes horribles et mortifères
Ce soir-là, un soir paisible de mi-juin, ils sont cinq à la table de cette famille de toréadors ; la mère, femme au foyer qui a préparé le repas avec pour mets principal une ‘gardianne de taureau à l’ancienne’, le père, matador, une fille, picador, et deux fils, banderilleros, qui mangent avec appétit en écoutant les informations commentées par un speaker de la télévision.
Soudain, ils redressent tous la tête en direction de l’écran, interpellés par le ton devenu dramatique du speaker :
« Nous vous révélions avant-hier, une découverte glaçante lors d’une descente de police dans un petit village régional de moins de mille habitants. Celle d’une famille de cannibales qui se nourrissaient presque exclusivement d’enfants et de jeunes adolescents.
- Aujourd’hui, après que les lieux ont été examinés par la police scientifique, nos équipes ont été autorisées à filmer ces lieux restés en l’état où sévissaient ceux qui ont été nommés « Les ogres de V ». Nous vous invitons à les suivre en direct. »
Oubliée la ‘gardianne de taureaux à l’ancienne’, les cinq attablés ont les yeux rivés sur l’écran où les caméras dévoilent une cuisine avec une table sur le plateau de laquelle sont encore posés en évidence un plat et des assiettes contenant des morceaux de membres de jeunes humains, entiers dans le plat, reliefs déchiquetés avec les os apparents, dans les assiettes. Après un long temps de pause silencieux, les caméras poursuivent leur progression en suivant un couloir jusqu’à une pièce où est entreposé un énorme congélateur. Le couvercle, ouvert par une main anonyme, dévoile une énorme quantité de sacs plastiques dont la transparence laisse deviner des portions de corps.
La mère de famille réprime un haut-le-cœur et se lève en hâte pour aller vomir dans l’évier de la cuisine. Le père et les enfants poussent des exclamations tout à la fois horrifiées et indignées.
Les caméramans et le reporter quittent la maison et entreprennent de continuer, de filmer, pour les premiers, d’interroger, pour le deuxième, les curieux atterrés siégeant devant la maison. Aucune surprise de ce côté-là : « Des voisins sans histoire. Des parents discrets travaillant l’un dans une banque, l’autre dans la fonction publique. Des enfants bien élevés, parfois même serviables, … Qui aurait pu imaginer ? Croire ?… »
Le tour est vite fait et il ne faut pas laisser retomber le piment du scoop. Alors le reporter a déniché, sans effort, l’avocat qui s’est immédiatement proposé pour assurer la défense des « ogres de V ».
Le reporter, haletant (c’est indiqué pour provoquer un regain d’intérêt de la part des téléspectateurs) :
« Maître Baveut, les français bouleversés par cette monstruosité vont s’interroger sur vos motivations. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous proposer pour assurer la défense de ces individus dénaturés ? N’allez-vous pas mettre votre carrière en péril ? »
Et Maître Baveut, de répondre, la mine réjouie :
« Rassurez-vous, j’ai eu suffisamment de temps pour étudier ce cas ; je ne pars pas désarmé pour affronter le tribunal et les jurés. Et, non seulement je vais défendre ces individus qui me répugnent moi aussi, mais je vais également prouver, à partir de faits et d’exemples, que ce ne sont pas des criminels, et les faire acquitter. »
Stupeur du reporter. Cris d’indignation de l’ensemble de la famille attablée devant la ‘gardianne de taureau à l’ancienne’ figée dans son plat.
Le reporter, s’étranglant :
« Voyons, c’est impossible. Vous vous moquez. Comment pourriez-vous… ? »
Alors, Maître Baveut, avec un grand sourire :
« J’ai un argument imparable, un argument qui a fait jurisprudence, je vais plaider ‘La tradition’ familiale de ces gens-là. »
53 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON