Contre l’antisémitisme
Parce que les actes antisémites se sont multipliés un peu partout ces dernières années, un collectif de personnalités du monde de la culture a lancé, dimanche dernier, un manifeste contre le nouvel antisémitisme. Mais sera-t-il suffisant pour faire bouger les lignes ?
Est-ce que le virus de l’antisémitisme a jamais été inactivé en France ? Il est logé depuis des siècles au cœur de la société française et, périodiquement, il produit en elle des poussées de fièvre avant de redevenir silencieux. Le plus consternant est sans doute que nous vivons dans une ère post-génocidaire ; que tout ce qui a pu se dire et s’écrire depuis 1945, afin d’éradiquer ce sentiment destructeur, n’a manifestement servi à rien pour les nouvelles générations. Les mêmes clichés qui circulaient à l’époque de Drumont et de Zola se retrouvent dans leurs propos. Pour ces jeunes-là, les Juifs sont toujours les maîtres cachés du monde ; ils jonglent avec l’argent et manipulent l’opinion. En revanche, ce qui change c’est l’origine sociale de leurs contempteurs.
Hier, le jeune antisémite français appartenait à un mouvement d’extrême-droite, lisait Maurras et Céline. Dans les années 60, il avait l’allure d’un militant d’extrême-gauche, opposé aux puissances de l’argent et à l’expansion militaire d’Israël. Aujourd’hui, c’est le plus souvent un gamin d’origine maghrébine, qui vit dans une cité au nord de Paris, de Lyon ou de Marseille. Un gosse en échec scolaire, sans horizon professionnel, sensible aux arguments belliqueux de pseudo-imams qui sévissent dans ces ghettos et qui ne cache pas son admiration pour ceux qui ont osé prendre les armes contre les prétendus ennemis de l’Islam.
Au premier rang d’entre eux, il y a bien sûr les Juifs. Ces Juifs que la République protège alors que nous autres, Musulmans, nous sommes toujours considérés comme des citoyens de deuxième catégorie, surveillés par la police, rejetés par les employeurs. Aux griefs sempiternels contre les Juifs – l’argent, le pouvoir, le sionisme – est venu s’ajouter l’opprobre jeté sur eux dans le Coran. Il faut aussi compter avec la concurrence victimaire que leur livrent d’autres communautés d’opprimés, eux qui ne supportent plus le rappel incessant de la Shoah ou leur contestent la palme universelle de la souffrance. Non, un mal ne chasse pas l’autre, il s’y agrège et renforce le discours antisémite jusqu’à le rende explosif.
C’est ainsi que les agressions contre les Juifs se sont multipliées depuis une douzaine d’années – et pas seulement qu’en France. Dernière victime en date, Mireille Knoll, une retraitée de 85 ans lâchement assassinée, a peut-être fait déborder la coupe de l’indignation. La marche blanche qui a suivi son meurtre voici un mois excédait de beaucoup le simple cadre communautaire. Elle vient de trouver un rebondissement d’ordre intellectuel avec le manifeste contre le nouvel antisémitisme publié dimanche dernier dans le Parisien. Cette pétition, à l’initiative de Philippe Val, a été signée par plus de deux cents personnalités du monde de la culture et des idées. Encore une affaire de nantis, me dira-t-on ? De ceux qui aiment périodiquement jeter des pavés dans la mare. Et si ce n’était qu’une saine et juste réaction citoyenne ?
Dans la liste des signataires, on trouve bien sûr des noms connus et depuis longtemps associés à ce combat – comme Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy et Georges Bensoussan. Mais il y a aussi des gens, comme Charles Aznavour, Jeannette Bougrab, Fabrice d’Almeida ou Jean-Paul Brighelli, qui ne risquent d’être suspectés d’origine israélite. Car la valeur de ce manifeste réside dans sa dimension unanimiste. C’est la nation toute entière qui est impliquée contre cette forme d’intolérance meurtrière. Il y a trop de faits avérés et, quoiqu’en disent certains, on ne peut pas les minorer au motif que d’autres communautés sont en butte, elles aussi, au racisme et aux discriminations.
A peine deux jours plus tard, conscients de la portée collective de ce texte, une trentaine d’imams et d’intellectuels musulmans co-signaient, dans le Monde, un contre-manifeste visant à minimiser la responsabilité de l’Islam dans les attaques antisémites. Une réponse attendue et qui va dans le sens du débat démocratique. Sans faire, hélas, bouger des lignes un peu trop bien établies. Il ne suffit pas de rappeler que Juifs et Musulmans ont en commun Moïse, Abraham et Jésus dans leur généalogie religieuse pour insuffler la paix dans le contexte actuel. Il faut refuser sans la moindre ambiguïté la violence contenue dans certains versets du Coran, quitte à les en expurger. En clair cela s’appelle une autocritique et il faudra, pour les élites musulmanes françaises, beaucoup de pédagogie et de courage pour y parvenir.
Jacques LUCCHESI
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