Contre la communication autour de l’emploi et pour l’emploi tout court [manifeste]
Mercredi 2 décembre à Marseille se tenait un forum de l’APEC (Association Pour l’Emploi des Cadres), sobrement intitulé « APEC Booster Tour 2009 ».
Voici quel en était le programme, soigneusement copié-collé par mes soins :
« Venez vivre une expérience unique qui va booster votre avenir professionnel !
Vous pourrez rencontrer les entreprises autrement :
des temps d’échanges pour dialoguer avec de jeunes cadres, des managers, des DRH et créer des liens forts
du speednetworking
du training avec les consultants de l’APEC
des conférences sur des thèmes que vous aurez plébiscités
des serious games, des tests on line »
A la recherche d’un emploi stable, bien entendu, je décide de m’y rendre. Tant il y aura des offres concrètes, et je pourrai enfin quitter le domicile parental sans avoir la crainte de ne pouvoir payer un loyer. Une fois sur place, je me rends compte à ma grande consternation que le plan a été scrupuleusement suivi.
Je me présente à l’entrée. Deux jolies jeunes femmes derrière le stand. Ce sera un point important de la soirée. Toutes les « hôtesses » sont jeunes et plutôt attractives. Elles portent toutes des hauts moulants et des jeans serrés. Autant le dire de suite, je suis parti sans emploi, mais avec la gaule (malheureusement pour moi et ces jeunes femmes, mon pénis agit de concert avec mon cœur, et celui-ci est temporairement plein d’une fille en or inaccessible).
L’une d’elles me demande si je suis inscrit ou pas. Je lui réponds que je reçois des mails de l’APEC, mais c’est tout. Donc il faut s’inscrire, je donne nom, prénom, domaine de compétences. Elle me fait un joli badge avec un fil rouge que j’accroche autour de mon cou, et me laisse rentrer dans l’arène après un bref descriptif de ce qui s’y passe et un petit sourire.
Un rapide tour d’horizon, et je pars donc à la rencontre des employeurs. Ils se présentent sous la forme d’êtres humains vêtus de tee-shirts avec des marques de grands de la distribution, de banques, d’assurances, de la construction automobile, tout ce dont l’Occident d’aujourd’hui a besoin pour éviter de se faire manger par la manufacture asiatique à bas prix. Je pense bêtement qu’ils remarqueront mon badge dans un premier abord, mais bien entendu ce n’est pas le cas. Leurs yeux ne sont pas allumés.
Je décide donc de me rendre à la conférence « La communication en RH dans le secteur bancaire », présentée par un gars habillé décontracté qui parle dans un micro. Il est filmé, pour l’occasion. Il commence son speech… et ne le finit jamais. Ce n’est qu’une longue introduction. On apprend pèle-mêle que la banque cherche des employés de tempérament, que les formations « exotiques » (lettres, sciences humaines, au hasard…) sont intéressantes pour l’entreprise, qu’on peut même un jour avoir vendu des articles de sport et devenir banquier pour le reste de sa vie. C’est géant. Je n’aurais jamais pu croire une telle chose si on ne me l’avait pas racontée avant.
Le discours est axé sur la relation entre le postulant et l’employeur potentiel, comme s’il s’agissait d’un rapport de séduction perpétuelle, que l’emploi était toujours à portée de main, mais toujours fuyant ou fui aussi, que ce soit du côté du salarié ou de l’entreprise. Les deux seraient à armes égales, et ce serait à qui prendrait l’autre le premier. Mais il tient à rappeler que dans l’attente du grand amour, on commence toujours par un CDD, c’est la règle.
J’attends toujours qu’il détaille quelles sont les perspectives disponibles dans sa boîte. Il dit qu’ils sont toujours à la recherche de collaborateurs, mais je n’ai jamais vu une seule offre de leur part dans les listings de l’ANPE, et il me semble également que ce ne sera pas pour ce soir.
A ma gauche, l’employée de l’APEC semble fatiguée. Elle passe son temps à fermer la porte quand les gens rentrent et vont s’asseoir directement en la laissant ouverte. J’essaye de rire un peu avec elle, nous nous réconfortons mutuellement.
L’imposteur au micro ouvre une séance de questions à notre attention. Personne n’ose demander clairement ce que propose concrètement l’entreprise aux demandeurs d’emplois que nous sommes. Dans ce contexte, je n’ai pas envie de passer pour un révolté, un rebelle ou, pire, un insurgé. Je me tais en attendant que ça finisse et de pouvoir sortir.
Le show s’arrête. Je m’extrais de la salle, je vois le box où sont organisées les rencontres en face à face et je décide d’aller tenter ma chance avec une grande assurance. C’est marqué « speed dating » en gros à l’entrée. Nous sommes trois à attendre notre tour pour aller à la rencontre des professionnel(le)s. Dix minutes d’attente, et je peux enfin rencontrer la dame qui s’occupe de l’assurance. Je me mets à parler de mon parcours. Elle me regarde avec de grands yeux aimants et aimables. J’ai l’air intéressant.
Nous sommes obligés de nous déplacer car la session se termine et d’autres entreprises vont prendre la place. La discussion se poursuit dans le chahut de la salle, entre les filles sexy de l’APEC et les gens en tee-shirt aux regards éteints. Elle finit par tout m’avouer. Mon profil d’apprenti expert curieux de tout ne correspond pas à son goût pour les commerciaux qui font fonctionner leur réseau personnel pour apporter de l’argent à son grand groupe. Elle est déçue. Je lui demande si elle n’a pas des postes plus dans mes cordes. Son regard persiste. Elle aimerait tant que je sois comme elle. Mais moi, je ne suis pas ici pour elle, je suis ici pour trouver du travail. Elle me rend mon congé en me tendant un petit prospectus et une lampe miniature. C’est toute la lumière qu’elle aura été capable de me donner.
Alors, voilà. Dehors, la nuit est tombée. Je laisse mon joli badge choir dans le bac à la sortie, et je m’en vais. Tout ça pour ça. La recherche de l’emploi par lequel passe ma survie financière et alimentaire réduite à un déballage de grands discours affectifs sur les besoins de l’entreprise et d’excitation lubrique qui ressemble clairement à une préparation pour une masturbation réciproque.
Je me fous de savoir que l’entreprise me veut. Je me fous de savoir que l’entreprise a besoin de collaborateurs brillants. Je me fous de savoir qu’un avenir radieux m’attend.
J’ai vu certains demandeurs d’emplois avaler toutes ces couleuvres comme du miel. J’en ai vu d’autres jouer le jeu avec lucidité, mais jouer le jeu quand même. Ceux qui pensent comme moi, ils sont au RSA.
Il serait temps de démolir ce jeu irrationnel. Avec la masse de collaborateurs qui en tirent profit, ça va être compliqué. Mais.
Il est en tout cas temps de rappeler que le travail et la subsistance sont des réalités pénibles, avec lesquelles il est indécent de s’amuser de cette façon.
Il est en tout cas temps de remettre les choses à l’endroit.
Déjà, je veux des forums de l’emploi où les gens sont habillés de façon convenable. Toute cette décontraction affichée ne suffira pas à calmer mon angoisse de me retrouver tout nu un jour. Je ne rigole pas.
Je veux des forums de l’emploi qui aient des noms moins racoleurs. « APEC Booster Tour », non, mais il faut arrêter. Je pourrais confondre ça avec une démonstration de performances de skateboarders ou une réunion de tuning automobile.
Je veux des forums de l’emploi où chacun est à sa place. L’employeur fait des propositions, le salarié accepte, refuse ou négocie. C’est le travail, avec ses rapports hiérarchiques parfois tendus et ses accomplissements quotidiens. Nous ne sommes pas là pour échanger des mots et des regards, mais pour bosser ensemble. Si l’amitié, ou l’amour, en naît, pourquoi pas ? Mais ce ne sont pas les buts premiers. Le but premier, c’est de faire fonctionner la machine.
Et, last but not the least, je veux des forums de l’emploi où on trouve des vraies offres. Ma pensée sait reconnaître et tronçonner la langue de bois. Le bla-bla vague caché derrière du vocabulaire compliqué, ça ne m’intéresse plus, j’ai passé l’âge.
Alors, pour toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans ce texte, manifestez-vous, osez le faire, je me sens seul et je suis certain pourtant que ce n’est pas le cas. Il est temps de se faire entendre auprès de l’Etat, des collectivités territoriales, des institutions qui nous guident dans nos démarches.
Vouloir de l’emploi, pour un demandeur d’emploi, est-ce que c’est trop demander ?
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