Contre la peine de mort
Cet article a été initialement publié sur mon blog le samedi 16 mai 2015.
En dehors des situations de guerre, il existe toutes sortes de mises à mort décidées par une puissance étatique ou simili-étatique. L’actualité récente nous en fournit simultanément trois exemples qu’on pourrait qualifier de spectaculaires s’ils n’étaient tous horribles, chacun à leur façon, et confrontés les uns aux autres.
Par situation de guerre, j’entends des opérations militaires décidées au niveau international, par exemple dans le cadre de l’ONU, dans le but de riposter à une attaque ou de venir en aide à tel ou tel gouvernement légitime attaqué de l’intérieur ou de l’extérieur de ses frontières par un autre Etat ou par des groupements terroristes. Il est bien évident que de tels combats armés peuvent provoquer des victimes civiles et militaires dans le cadre de leur programme d’offensive et de défense, et même parfois à l’opposé de ce programme, car les bavures ne sont pas rares, de l’Irak à l’Afghanistan en passant par le Mali. Mais ce n’est pas de cela que je souhaite parler, car on conçoit mal qu’un pays ne puisse se défendre en cas d’agression militaire. Tout comme le concept de légitime défense, même très encadré, existe pour les particuliers, il existe pour les particuliers constitués en nations.
Je pense aux mises à mort exécutées complètement en dehors de toute pression de légitime défense. Voici les trois exemples dont je parlais plus haut :
1. On a appris il y a quelques jours que le Président de la Corée du Nord, le dictateur Kim Jong-Un, avait fait abattre son ministre de la défense par un canon anti-aérien dans une académie militaire à proximité de Pyongyang. Motif : le ministre se serait endormi lors d’un défilé miliaire présidé par Kim Jong-Un, et aurait également échoué dans ses missions techniques et logistiques, en Russie notamment. Le fait d’être un proche du dictateur ne l’a pas protégé, mais témoigne peut-être d’une certaine fébrilité du régime. On se souvient qu’il y a environ dix-huit mois Kim Jong-Un avait fait exécuté son oncle pour trahison après une condamnation à mort prononcée par un tribunal militaire spécial. Le gouvernement nord-coréen a précisé que ces exécutions avaient été faites « pour l’exemple ».
2. Hier, vendredi 15 mai 2015, l’organisation terroriste Daesh, qui s’auto-proclame Etat islamique et dont j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer les motivations, les modes opératoires, les zones d’influence et les ressources financières, a exécuté 23 civils dont neuf enfants. Les victimes appartiennent à des familles dont certains membres travaillent pour le gouvernement syrien. Cette boucherie, qui n’est pas la première, loin de là, a eu lieu à proximité de la cité antique de Palmyre en Syrie. Très belle, mais construite en pierres parfaitement inertes et sans opinion politique, cette ville est malgré tout aussi en danger : Daesh ne supporte aucun vestige pré-islamique et les détruit autant qu’il lui est possible de le faire.
3. Et pour finir ma liste en beauté si j’ose dire, on apprenait hier également que l’auteur survivant de l’attentat d’avril 2013 à l’arrivée du marathon de Boston, le jeune tchétchène de 21 ans Djokhar Tsarnaev, a été condamné à mort à l’unanimité des douze membres du jury pour six chefs d’accusation sur les trente retenus contre lui. Bien que jugé par une cour fédérale dans l’Etat du Massachussets, où la peine de mort a été abolie en 1984, le procureur avait requis la peine capitale contre lui en raison du caractère particulièrement haineux de l’acte perpétré au milieu d’une foule constituée de milliers de participants et spectateurs. L’attentat avait fait trois morts dont un enfant de huit ans, et 264 blessés dont 17 personnes amputées.
Trois cas bien différents dans la forme. Le premier est le fait d’un Etat officiel dont le régime politique est une dictature héréditaire totalitaire d’obédience communiste. Le second relève des activités pour ainsi dire récurrentes d’une organisation terroriste totalitaire qui se voit comme un Etat, c’est pourquoi je parle de simili-Etat. Et le troisième est l’application d’une peine encore disponible dans certains Etats démocratiques occidentaux.
Trois cas bien différents quant à leurs systèmes judiciaires : seul l’attentat du marathon de Boston a donné lieu a un procès digne d’un Etat de droit. Djokhar Tsarnaev a même eu pour sa défense l’avocate Judy Clarke, célèbre pour avoir évité la peine de mort à plusieurs auteurs d’attentats. En Corée du Nord ou chez Daesh, les tribunaux sont toujours soit militaires, soit d’exception, soit inexistants, soit parodiques.
Trois cas bien différents, enfin, quant au statut des personnes tuées. Les victimes de Daesh sont innocentes. Leur seul crime consiste à avoir déplu à l’organisation terroriste parce qu’elles appartiennent à des familles qui sont restées fidèles au pouvoir syrien en place de Bachar El-Assad. Le ministre coréen est dans un cas similaire. On ne sait pas vraiment quelles étaient ses relations avec Kim Jong-Un, on ne sait pas vraiment ce qu’il a fait ou ce qu’il n’a pas fait, mais est arrivé un moment où il est devenu un embarras pour le dictateur qui a choisi de s’en débarrasser. Par contre, Tsarnaev n’est pas un innocent, son procès a établi sa culpabilité dans l’attentat de Boston aux côtés de son frère (qui est décédé en tentant d’échapper à la police).
Mais trois cas semblables car aucun n’est en rapport avec une obligation de légitime défense. La non exécution de tous ces êtres humains n’aurait pas accru un quelconque danger pour ceux qui ont tué ou vont tuer, et dans tous les cas, une solution alternative existait. Ne rien faire, pour Daesh, une peine d’emprisonnement pour le ministre et pour le terroriste tchétchène. Trois cas semblables donc, car par trois fois c’est la solution de la haine, de la violence et de l’irréversibilité qui a été choisie.
Bien sûr, tout cela est vu de ma fenêtre. Il est plus que probable que dans chacun des cas, les responsables soient intimement, quoique faussement, persuadés qu’ils n’ont pas d’autre choix. Enfermés dans des considérations paranoïaques qui leur sont propres et qui s’éloignent toujours plus de la réalité, ils pensent oeuvrer à leur survie, ils pensent éliminer des personnes qui les mettent authentiquement en danger. C’est une fuite en avant qui n’a aucune raison de s’arrêter, chaque exécution entraînant la suivante.
Le fait que le gouvernement coréen ait indiqué agir « pour l’exemple » est très révélateur. La culpabilité du ministre en est affaiblie. Les raisons de l’exécuter, lui tout spécialement, s’amenuisent. Un autre gradé aurait tout aussi bien fait l’affaire, car rien n’est plus éloigné de la justice que la punition « pour l’exemple » qui n’a d’autre but que de terroriser les survivants. Ce genre de fausse justice est très utilisée dans les systèmes collectifs. Je pense en particulier aux collèges et aux lycées qui sont pourtant censés délivrer une toute autre idée de la justice à leurs élèves.
Les défenseurs de la peine capitale tendent à considérer que certains crimes sont particulièrement horribles, par exemple lorsqu’ils touchent des enfants, et ils pensent qu’une sévérité exemplaire aura un effet dissuasif sur d’éventuels candidats assassins. Selon moi, aucune vie n’a à être écourtée de quelque manière que ce soit. L’âge, facteur impressionnant, n’a rien à voir à l’affaire. La vie des adultes est précieuse aussi. Quant à l’effet dissuasif, ça tiendrait peut-être la route si les terroristes et les assassins raisonnaient comme nous, mais ce n’est pas le cas. Ils ont des objectifs propres, des penchants personnels, qu’ils réaliseront quoiqu’il arrive. De plus, les erreurs judiciaires existent aussi. On a déjà vu des révisions de procès. Si les années passées injustement en prison paraissent déjà impossibles à réparer, que dire de la peine capitale ?
En France, où la peine de mort a été abolie en 1981 à l’instigation de François Mitterrand et son Garde des Sceaux Robert Badinter, il est important d’y réfléchir. En effet, un parti politique plutôt en vogue en ce moment, le Front national, propose dans son programme de reposer la question aux Français par référendum en s’imaginant ainsi faire montre de fermeté sur les questions pénales. Ce genre de consultation directe des électeurs paraît hautement démocratique, mais des possibilités de manipulation existent. Puisqu’il est possible d’en choisir la date, il sera aisé d’orienter plus ou moins le résultat, en la fixant quelque temps après un meurtre ou un viol particulièrement horrible par exemple.
Tant de similitude entre le cas 3 et les autres alors que les conditions politiques sont totalement différentes et tellement plus favorables aux droits des humains, voila une situation qui me fait horreur. Conclure à la mort alors qu’on passe gentiment par toutes les étapes d’un procès équitable, rigoureux et conforme au droit, voila un basculement dans la barbarie qui ne reflète plus la sérénité de la justice, mais une hystérie soudaine qui s’empare de la société. Le tribunal fédéral des Etats-Unis aurait tout aussi bien pu condamner Tsarnaev à une peine d’emprisonnement à perpétuité. La société n’aurait pas été moins bien servie.
L’humanisme, le pardon et la possibilité de la rémission auraient par contre été préservés.
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