Corbyn, l’antisémitisme... et Mediapart
Jeremy Corbyn a été récemment suspendu du parti travailliste pour complaisance à l'égard d'antisémites. Dans quelle mesure cette accusation correspond-elle à la réalité ?

Ce billet, paru initialement dans mon blog hébergé par Mediapart, n'a pas la prétention d'apporter une réponse définitive à la question des liens éventuels entre Jeremy Corbyn et un certain antisémitisme "de gauche". Mon but est seulement d'apporter un complément d'information par rapport à un article paru le 29 octobre sur Mediapart, signé Amandine Alexandre. Le même jour, Mediapart republiait un article de la même autrice datant du 22 mai 2018.
Les deux textes sont à charge, ce qui est assez décevant pour un journal comme Mediapart, qui publie souvent des articles de qualité, rédigés après une enquête approfondie. Clairement, madame Alexandre se fait l'écho des accusations proférées par les adversaires de Corbyn, et elle ne laisse presque aucune place aux arguments de la défense. Pourtant ces derniers ne manquent pas. En juin 2019, le Monde diplomatique publiait un texte de Daniel Finn, rédacteur en chef adjoint de la New Left Review. Cet article répondait de façon assez convaincante, me semble-t-il, à une partie des accusations relayées l'année précédente par madame Alexandre sur Mediapart.
Quant à l'article du jeudi 29 octobre 2020, il passe sous silence une information très importante, qui décrédibilise en grande partie les accusations récentes qui ont abouti à la suspension de Jeremy Corbyn. Là encore, c'est dans le Monde diplomatique qu'il faut chercher cette information. On l'a trouvera sur la page que j'ai indiquée tout à l'heure, dans le chapeau introduisant le texte de Daniel Finn :
"Vendredi 30 octobre 2020
« Un seul antisémite est déjà un de trop mais l’ampleur du problème a été exagérée par nos adversaires à l’intérieur et à l’extérieur du parti, ainsi que par la majorité des médias ». Jeremy Corbyn a réagi en ces termes au rapport de la commission des droits de l’homme et de l’égalité (Equality and Human Rights Commission, EHRC) qui enquêtait sur le sujet depuis mai 2019 après avoir été saisie par deux collectifs. Son successeur centriste à la tête du Labour, sir Keir Starmer, l’a aussitôt suspendu du parti.
En avril, un autre rapport, interne, soulignait combien l’hostilité à Corbyn avait favorisé l’instrumentalisation de cette question. Il devait figurer en annexe au rapport du EHRC, mais les avocats du Labour s’y sont opposés. Le parti a désormais jusqu’au 10 décembre pour mettre en œuvre les recommandations de la commission."
Pour en savoir plus, on pourra regarder (à condition de s'abonner à l'excellent site Hors Série), une émission sur Bernie Sanders et Jeremy Corbyn, avec Sylvie Laurent (spécialiste des USA) et Thierry Labica (spécialiste du Royaume-Uni).
Labica y dit des choses très intéressantes sur les accusations d'antisémitisme contre Corbyn :
- Des enquêtes menées en 2015 et 2017 par des instituts de sondage ont montré que les stéréotypes antisémites étaient alors beaucoup plus rares dans le parti travailliste que dans le parti conservateur, mais aussi en recul - alors même que Corbyn prenait la tête du Labour, élu par une masse de nouveaux adhérents.
- Plus récemment, il y a eu une fuite de messages internes à la bureaucratie du Labour qui montre que des anti-Corbyn ont fait volontairement en sorte que des cas d'antisémitisme ne soient pas traités par la commission disciplinaire du parti de manière à ce que Corbyn porte ensuite le chapeau.
Le même Thierry Labica détaille son argumentation dans un article publié dans la revue Contretemps, et dont je cite un extrait :
"Ces mêmes cadres, en particulier au titre de responsables des services juridiques ou de la commission disciplinaire du parti, avaient pour mission de traiter des procédures internes notamment concernant les allégations d’antisémitisme à l’encontre de militant.es du Labour. Or, il se confirme que cette bureaucratie du parti, sous le secrétariat général du très droitier Iain McNicol, s’est elle-même appliquée à ajourner les procédures, laissant s’en accumuler les retards. Selon le Church Times, « ce rapport résulte de l’examen de plus de 300 plaintes relatives à des allégations d’antisémitisme reçues entre novembre 2016 et février 2018. Il indique que 34 plaintes seulement avaient donné lieu à enquêtes ».[14]
Elle est allée jusqu’à faire disparaître nombre de dossiers sans toutefois oublier, au préalable, d’en transmettre quelques éléments à la presse afin de ternir l’image de la direction parti.[15] Il fut possible ainsi d’alimenter le récit selon lequel, avec Corbyn et la gauche pro-palestinienne (juive notamment), l’antisémitisme était devenu un problème majeur et ce, même si enquêtes et témoignages permettaient d’établir exactement le contraire.[16] Et dans une sorte de triomphe de l’hypocrisie, certains de ces cadres n’hésitèrent pas à témoigner dans un documentaire de la BBC diffusé en juillet 2019[17] en vue de faire porter à l’équipe de Corbyn la responsabilité des manquements dont ils étaient maintenant les victimes après en avoir eux-mêmes été les artisans assidus et consciencieux."
Conclusion
Il serait sans doute imprudent de dire que Corbyn s'est toujours montré irréprochable en matière de complaisance à l'égard des antisémites. N'ayant pas fait d'enquête approfondie, je ne peux pas en juger. Mais il est très probable que la haine dont il fait l'objet, dans son propre parti, a peu à voir avec l'antisémitisme et beaucoup avec les convictions socialistes et anti-impérialistes d'un vieux militant resté fidèle à l'esprit originel du Labour.
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