Coronavirus « 2019-nCoV », le démon de Jinping se propage et le monde a peur d’une banale bronchite
Le coronavirus baptisé 2019-nCoV a fait plus que perturber le nouvel an chinois dont la célébration était prévue le 24 janvier 2020. L’impact sanitaire de ce virus est pour l’instant assez limité eu égard à la population chinoise. En revanche, l’impact social, politique, économique, pourrait être colossal et c’est en étudiant les dépêches et les phrases des responsables que l’on peut tenter de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens. « L’épidémie est un démon. Nous ne permettrons pas au démon de rester caché », a promis le président chinois Xi Jinping a promis mardi à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors d’une rencontre à Pékin avec le directeur général de l'OMS Tedros Adhanom.
Cette phrase somme toute anodine du président chinois est pourtant chargée de sens. Si le démon est logé dans un virus, alors le diable est logé dans les détails. Parler de démon renvoie aux temps anciens, lorsque la science moderne n’était pas née et que les mythologies et autres superstitions fournissaient des schèmes explicatifs et des conduites à tenir. C’était aussi l’époque des sorcières, résurgence des temps anciens en cette époque contrastée de la Renaissance finissante. Pendant les siècles XVI et XVII, les autorités civiles et religieuses traquaient le démon, ce qui signalait une régression rationnelle accompagnant le progrès philosophique. Au temps de la scolastique, les autorités civiles et les princes avaient d’autres chats à fouetter tandis que l’Eglise devait régler la question des hérétiques. Il ne faut pas confondre l’inquisition doctrinale concernant l’esprit et l’inquisition moderne visant les corps, les sorcières et les démons.
En 2020, les peurs irrationnelles ressurgissent à l’occasion de cette épidémie virale bien banale et voilà qu’en France une partie de la population s’en prend au démon asiatique, perdant le bon sens et la raison. On peut lire ceci sur le HuffPost :
“La crise sanitaire du coronavirus entraîne dans son sillage une libération de la parole raciste dans les médias et sur les réseaux sociaux”, écrit-elle dans ce texte déjà partagé plus de 1600 fois sur Twitter. “Beaucoup de personnes utilisent de manière indifférenciée ‘chinois” pour ‘asiatiques’, mettant de côté toutes les nationalités et diversités culturelles, ethniques, etc., qui composent ce continent. Faut-il rappeler que l’Asie est un continent et non un pays ?”, s’interroge-t-elle.
Contactée par Le HuffPost, J. (elle souhaite préserver son anonymat) explique avoir écrit ce message dimanche 26 au soir afin de “sensibiliser sur la question du racisme décomplexé qui a lieu en ce moment”. Cette femme adoptée, d’origine coréenne, a partagé son message au sein de plusieurs groupes de communautés asiatiques. “Je pestais de voir tous les jours ces témoignages de violences, d’attitudes racistes”, souligne-t-elle.
Le 2019-nCoV a engendré une panique planétaire indiquant une régression de la raison comme au temps des sorcières. L’analyse de cette panique peut être calquée sur celle que j’avais réalisée lors de la pandémie H1N1. Voici un extrait du quatrième chapitre concernant le volet psycho-social. Pour le reste, ne paniquez pas, il ne s’agit que d’une banale bronchite. Mes amitiés à la communauté chinoise de France.
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H1N1 La pandémie de la peur
https://editions-xenia.com/livres/grippe
La chasse aux sorcières constitue donc un excellent sujet pour une investigation sociologique où l’on voit de dessiner, pendant les 16ème et 17ème siècle, un schéma dont le ressort est à la foi cognitif et émotionnel, le tout entrelacé à la sphère du juridique et du politique. Ces procès modernes en sorcellerie ont commencé en 1520 et c’est à la fin du 18ème siècle que l’on recense les dernières sorcières condamnées, l’une en Suisse protestante, deux autres en Pologne catholique. Alors que la persécution des sorcières cessa en France après 1680. En plein règne du Roi Soleil. Le Parlement de Paris, bien moins imprégné de démonologie que la province, finit par nier l’existence de pactes sataniques. Une chose est certaine, la persécution et la chasse aux sorcières ont été liées à une sorte d’ignorance, ou du moins, à un dysfonctionnement de la raison qui a produit tout un corpus démonologique érigé en vérité alors que c’était un pseudo-savoir. Même Bodin, un philosophe qu’on peut penser comme raisonnable, se laissa entraîner dans cette aventure intellectuelle morbide. Un niveau de savoir avéré ne prévient pas les écarts de la pensée ni la construction de théories fumeuses (comme le seront plus tard les théories du complot) Pour clore en beauté ce bref propos sur la démonologie, un mot sur le philosophe cartésien Malebranche, emblème d’une époque moderne qui finit par chasser l’ombre pour caresser la lumière. Dans son maître livre De la recherche de la vérité, il offre une analyse rationnelle de la sorcellerie ; la plupart des cas de procès en sorcellerie ne sont que le résultat d’une imagination contagieuse. Et pour réfuter les arguments des férus de justice démonologique, il livre trois argumentations. L’une théologique, un retour aux sources en quelque sorte. Dieu ayant vaincu Satan, les sorciers ne peuvent plus user du pouvoir démonique et maléfique (au sens théologique du terme) La seconde fait appel à la raison, considérant que les témoins d’une célébration sabbatique ne font que confondre la réalité avec des productions de l’imagination pendant les rêves. Et donc, confusion de l’état de veille avec l’état de sommeil. Enfin, le bon sens pragmatique invite à ne pas traquer les cas de sorcellerie, même s’il pourrait en exister quelques-uns d’authentiques. Car plus on se met en tête de rechercher la sorcellerie, plus on risque d’en multiplier les signalements. Et même d’encourager les gens à les dénoncer pour des finalités mesquines, voire intéressées.
Autant dire que ces propos résonnent d’une étrange actualité. A force de voir des patients H1N1, on finit par les trouver partout et même craindre une mutation subite de ce satané virus. Le traité de Malebranche est paru en 1675, soit cinq ans avant que le Parlement de Paris ne mette fin à cet égarement des tribunaux, à défaut d’en finir avec l’égarement des esprits. L’historien Darnton raconte en effet qu’en pleine époque des Lumières, un géomètre effectuant des relevés sur le toit d’une église fut abattu sans autre forme de procès ; les gens du coin croyant avoir sous leurs yeux un envoyé de Satan venu jeter un sort aux villageois (…) La chasse aux sorcières n’a pas été causée par une situation avérée d’épidémie démonique mais par une perception rationnellement construite d’une menace imaginaire assortie de quelques cas de folie individuelle. Mais pas de quoi justifier des milliers de procès.
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