Coronavirus ou politiques austéritaires : qui tue vraiment le plus ?
Notre pays, comme une bonne partie du monde, vit aujourd’hui au rythme des annonces sur le Coronavirus apparu en Chine voilà quelques mois.
Au-delà des nombreuses analyses sur les mesures mises en place ici où là (et leur relative efficacité), ou même en dépit des données parfois contradictoires qui surgissent un peu partout ces derniers temps, il m’apparait comme nécessaire de faire une analyse plus poussée de ce que ce virus, véritable « Cygne noir » de l’année 2020, dit de nos sociétés occidentales. Et de leur fragilité intrinsèque.
Létalité vs mortalité
On parle du « taux de létalité » d’un virus par rapport au nombre de morts, en rapport au nombre total de contaminés, qu’il peut provoquer. A ne pas confondre avec le taux de mortalité, dont tous les médias nous abreuvent, mais qui se rapporte à la population dans son entier. Il s’agit bien ici de létalité du virus, et à ce jour, sur 100 personnes infectées, on aurait aujourd’hui une létalité moyenne d’environ 3%.
Mais ce chiffre cache des réalités bien plus contrastées.
Les chiffres se succèdent. Mais deux retiennent l’attention en ce moment, ceux des pays du peloton de tête.
Létalité actuelle en Chine : 1% des infectés (reconnus comme tels)
Létalité actuelle en Italie : 6% !
Je dis « reconnus comme tels » car là aussi, on estime qu’il y a de nombreux cas passés « sous le radar », ce qui veut dire qui n’ont pas été diagnostiqués, et qui donc mécaniquement feraient baisser le taux de létalité…
L’Italie est le deuxième pays le plus touché au monde, et le premier en Europe. Comment expliquer de tels écarts avec la Chine, pays d'émergence du virus ?
La mutation ? A priori non : le virus a bien muté, mais la souche mutée (la souche L) est juste plus infectieuse (70% des contaminations) que la souche originelle, la souche S (30% des contaminations). Aucune mutation, à ce jour, n’a été constatée sur la symptomatologie du virus. Le seul gène muté identifié concerne bien une protéine permettant une fixation plus efficace du virus sur les cellules, d’où la prédominance du taux d’infectiosité de la souche L sur la souche originelle.
L'échelle de population ? Pas forcément : malgré que la Chine ait environ 27 fois plus de population, elle n'a eu que 5 fois plus de malades en nombre. Le rapport nombre de cas déclarés/taux de létalité est très en défaveur de l'Italie, du coup. Non, quelque chose ne colle pas. Il y a autre chose.
On sait aujourd’hui qu’environ 15% des cas seraient sujets à de potentielles complications. C’est-à-dire que, sur 100 personnes infectées, environ 85 guériraient sans problème, mais une quinzaine risqueraient de présenter des troubles sérieux susceptibles de dégrader très rapidement l’état de santé. Et nécessitant de fait une hospitalisation en réanimation, avec mise sous assistance respiratoire : dyspnée, détresse respiratoire aigüe, insuffisance rénale voire pneumonie…
De fait, avons-nous, dans nos sociétés européennes soumises à des politiques austéritaires depuis 2008 (la fameuse « règle des 3,5% » de déficit imposée par Bruxelles, et payée sur le dos des Services Publics des pays membres, hôpitaux en tête), et plus particulièrement en France, des systèmes de santé aptes à faire face à un afflux de malades avec complications ?
La vraie question est là : en Chine (et quoi qu’on pense du régime politique en place dans ce pays, et de la façon qu’il a eu de faire face à cette épidémie), le taux de létalité de 1% est aujourd’hui pérenne. Au tout début de l’épidémie (avant son pic), il approchait plutôt les 3%. La réaction particulièrement musclée du gouvernement chinois semble avoir produit ses effets : des moyens démesurés ont été mis en œuvre pour faire chuter les contaminations et soigner le maximum de cas graves. Plusieurs hôpitaux sont sortis de terre en dix jours, littéralement. Cela implique d'énormes moyens, du travail pour des milliers de personnes nuit et jours.
Confinement obligatoire de plus de 50 millions de personnes, avec contrôle de température, interdiction de déplacements et surveillance quasi militaire de tout le monde. Les comités de quartier, groupes issus de la révolution maoïste, ont été mis à contribution : ils contrôlent et surveillent étroitement les allées et venues dans les zones touchées, jusqu’à la capitale, Pékin, qui a vu plusieurs dizaines de millions de personnes restées confinées plus de deux mois chez elles…Le reste des mesures est à l'avenant : plus de trafic aérien sauf nécessité, idem pour les déplacements en voiture, école par internet pour les gamins, etc.
Une telle chose serait-elle seulement imaginable chez nous, en France ou en Europe ?
L’Italie semble avoir suivi le chemin chinois : cela a-t-il suffi ? A priori non : hausse contenue des nouvelles contaminations (ce qui va dans le bon sens), voire stagnation en ce moment, mais par contre, niveau létalité, c’est juste l’explosion à la mi-février. Les services d’Urgence et de réanimation se sont effondrés : devant l’afflux régulier de nouveaux cas graves, ils n’ont pu absorber la charge de travail. Et les gens sont morts dans les couloirs des hôpitaux, faute de respirateurs…
Effondrement sanitaire
Témoignage d’un chirurgien hospitalier à Bergame (Italie), région très touchée :
« Les cas se multiplient, jusqu’à un taux de 15/20 hospitalisations par jour pour toutes la même raison. Les résultats des analyses se succèdent : positif, positif, positif… Soudain, la gestion de la salle d’urgence s’effondre. Des dispositions d’urgence sont émises : une aide est demandée à la salle d’urgence ! Une réunion rapide pour apprendre comment utiliser le dispositif de détection électronique en salle d’urgence et quelques minutes plus tard, je suis déjà en bas, à côté des soldats sur le front de la guerre…
L’écran du détecteur affiche toujours la même litanie : fièvre et difficultés respiratoires, toux, insuffisance respiratoire…Examens, radios sont prescrits et réalisés en urgence. Et toujours les mêmes symptômes qui reviennent : pneumonie interstitielle bilatérale. Tous doivent être hospitalisés. Certains doivent déjà être intubés et aller aux soins intensifs. Pour d’autres, il est déjà trop tard. L’unité de soins intensifs est pleine, et lorsque c’est plein, d’autres sont créées. Mais chaque respirateur/intubateur vaut de l’or. On prend ceux des salles d’opérations qui ne sont plus utilisés pour toute opération non urgente… »
Dans cette région, le taux de létalité a désormais dépassé les 6% : on le voit, il s’agit d’une progression exponentielle. Les personnes dont parle ce monsieur vont mourir, ou sont déjà mortes.
Mais qui ou quoi les a réellement tuées ? Est-ce le virus ? Ou plutôt le système de santé complètement débordé du pays ? Et qui en est le responsable ?
Effet collatéral : le système italien, débordé par cet afflux de nouveaux cas, ne peut plus prendre en charge les autres urgences… infarctus, appendicites, accidents graves qui continuent d’arriver, etc. Dans ces conditions, il faut choisir : la mort dans l’âme, les médecins priorisent ceux qui auront le droit à un respirateur, et les autres, ceux qui mourront.
La Chine a surmonté cette phase car elle a réussi à étaler la période de contamination, à éviter un pic désastreux qui aurait mis à genoux son système de santé. Mais aussi parce qu'elle a mis des moyens financiers et matériels considérables dans son système hospitalier.
En résumé, elle n’a pu contenir cette épidémie, et éviter un effondrement de ses services hospitaliers que grâce à deux choses :
1/une gestion certes autoritaire de la crise (comme l’a fait l’Italie en restreignant les déplacements), car on sait aujourd’hui que le virus se transmet par contact rapproché.
2/Mais aussi et surtout des moyens suffisants, car c’est la deuxième jambe indispensable pour la gestion de cette crise : nouveaux hôpitaux construits très rapidement et suffisamment équipés, masques, gants, gels hydroalcooliques produits en nombre suffisant et distribués autant que nécessaire, là où la demande existe.
France, mars 2020. Sommes-nous prêts ?
Au vu de tous ces éléments, notre pays arrive aujourd’hui en tête du peloton des pays contaminés par le virus (en 5ème position exactement), et celui-ci se répand de plus en plus chaque jour, malgré le travail admirable de toutes les structures hospitalières et de santé. L'épidémie est encore maitrisée, mais sera-t-elle maitrisable longtemps ?
On sent une certaine fébrilité en haut lieu, et pour cause : plus de 3000 cas en France à cette heure, et plus de 60 morts. Avec, là aussi, une propagation exponentielle. Il y a quinze jours le pays ne comptait que quelques dizaines de cas, et peu de morts ! A ce rythme, la décision des autorités de restreindre les déplacements et les rassemblements pourrait paraître aller dans le bon sens…
Il s’agirait de notre fameuse « première jambe » : contenir et étaler la propagation dans le temps. Interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, fermeture des écoles, universités et crèches, congé maladie pour les parents qui travaillent tous les deux etc. Mais il y aurait peut-être à redire : pourquoi ne pas restreindre également les transports ? Quand on sait que les métros resteront ouverts, et qu’une seule personne contaminée peut laisser le virus (qui survivra plusieurs jours) sur une barre de maintien, ou un bouton de porte… Sans doute pour éviter la panique ? C’est déjà peine perdue : dès la fin du discours du président, les supermarchés n’ont pas mis 5 minutes pour être pris d’assaut… Vendredi à l’heure où j’écris ces lignes, à Marseille où je me trouve la situation est hallucinante : prise d’assaut des grandes surfaces, les gens font des réserves de tout ce qu’ils peuvent. Pâtes, pain, riz, papier hygiénique : les rayons sont vides, la panique est déjà là.
Et la seconde jambe ? Me demanderez-vous : notre système de santé, et nos hôpitaux peuvent-ils faire face à un afflux massif de cas graves, nécessitant des places en réanimation avec assistance respiratoire ? Il est vrai que le gouvernement a aussi décidé de mobiliser la réserve sanitaire, en convoquant tout médecin retraité en dessous de 5 années de fin d'exercice, pour pouvoir prescrire des arrêts de travail et renforcer les équipes existantes.
Mais la réponse à cette quesiton lancinante du "pouvons-nous faire face" ?, vous la connaissez hélas tous : l’état des urgences en France est extrêmement grave en temps normal, et ce depuis plusieurs années.
Les Agences Régionales de Santé ont fermé un nombre incalculable de lits, sous des prétextes purement comptables. Elles ont mené une politique du chiffre, regroupant les hopitaux jugés "peu rentables", au nom du sacro saint "Service Médical Rendu". Idem pour les médicaments... La Tarification à l’Activité (ou « T2A ») en vigueur dans l’hôpital public a cessé d’achever le peu d’efficacité et de sens du Service Public Hospitalier qu’il restait dans notre pays. Depuis plusieurs années, les hôpitaux sont victimes d’une transformation à marche forcée. Il s’agit de privilégier ce qui est rentable, au détriment du Service Public pour toutes et tous, sans conditions. Résultat : des ruptures de traitement, des files d'attente interminables aux urgences, des RDV qui peuvent atteindre plusieurs mois pour un IRM, un examen autrefois routinier, et j'en passe et des meilleures.
Résultat ? Des urgences sous-équipées et sous dimensionnées, n’arrivant déjà à plus faire face lors d’épisodes problématiques (canicules, épidémie de grippe saisonnière, attentats…).
Résultat ? Un manque chronique de matériel, du simple masque de protection en passant par les gants, les respirateurs, les écouvillons et tout ce qui est indispensables aux médecins pour se protéger et sauver les vies des patients.
Résultat ? Des soignants littéralement épuisés, et qui désertent en masse la profession.
Fausse alerte ?
Il est d'ailleurs éloquent que les services d’urgence aient tiré la sonnette d’alarme avant cette crise : ont-ils été entendus ?
Il y a juste un an, en mars 2019, de nombreux services d’urgence déclenchaient un mouvement de grève historique sur tout le territoire français : six mois plus tard, en août 2019, la ministre de la santé d’alors, Agnès Buzyn, daignait jeter un œil aux revendications des personnels soignants à bout de souffle et de moral. Aux infirmières épuisées par les plus de 60h hebdomadaires de rotations obligatoires (dont une majorité en heures supp non payées ni récupérées), aux médecins qui démissionnent en masse pour repartir dans le privé, aux cadres hospitaliers en burn-out, elle a jeté quelques miettes : 70 millions reversés sous formes de primes.
La Loi « Santé », adoptée en juillet 2019 par un Parlement de playmobil LREM aux ordres, était censée répondre à la crise : en promouvant une logique de territorialisation des ressources et des compétences, en « décloisonnant » les spécialités et en jouant sur certains critères (regroupement de médecins pour pallier la pénurie sur certains territoires, suppression du numerus clausus, recrutement de médecins étrangers facilité, expérimentation du « télésoin » à distance, mise en œuvre de l’arlésienne du dossier médical j’ai nommé « le Dossier Médical Partagé »…).
Pari réussi ? Au-delà du verbiage -creux- et des mots, bien souvent seuls remparts aux maux que connaissent l’Hôpital Public, ce fameux plan s’est trouvé être une coquille vide de plus.
Quand on répond uniquement avec de la novlangue, et quelques mesurettes à la marge, à une situation délibérément dégradée depuis plusieurs années, peut-on s'en étonner ?
La qualité des soins et de la prise en charge aux urgences a ainsi continué de se dégrader, bien au-delà de la promulgation de cette loi bidon… en témoignent ces affaires qui n’ont cessé de défrayer la chronique, comme ce vieillard de 86 ans mort sur un brancard à Brest, après 6 heures passées dans un couloir sans aucune prise en charge, ou cette fillette de 11 ans, Lou, morte après plusieurs passages aux urgences de l’hôpital Necker, des suites d’une gangrène non diagnostiquée…c'était en Décembre dernier.
Mais aussi et surtout par la mobilisation des personnels soignants qui n’a jamais faibli : en témoigne début 2020 la lettre de démission collective de 1200 cadres et médecins de service hospitalier, qui réclament, après plus de huit mois de grève et de conflit (huit mois !) une enveloppe supplémentaire de 700 millions d’euros pour les équipements et les salaires. Soit, exactement 10 fois plus que ce qu’a consenti à leur donner l’ex ministre de la Santé, partie remplacer au pied levé le naufragé de la campagne électorale parisienne, un certain Benjamin Grivois.
Sans parler de l'état des administrations : la même chose est en train de se passer dans les CARSAT (dont la disparition est actée en septembre 2021, suite au dernier projet de retraite à points, voté démocratiquement au 49.3 il y a quelques jours), dans les CPAM ou les CAF, victimes de plans de restructuration successifs, qui ont vu leurs moyens et leurs personnels fondre comme neige au soleil en quelques années.
Rien que sur Marseille, plus de quinze accueils et 6 centres de Sécurité Sociale fermés en l'espace de 6 ans...un exemple parmi tant d'autres.
Alors aujourd’hui, rapport au coronavirus on apprend que les Caisses d’Allocations Familliales ont fermé leurs portes au public par mesure de précaution. Concernant les Caisses d’Assurance Maladie, si vous allez dans un accueil vous constaterez sans doute avec étonnement que les seuls remparts contre une possible contamination par le virus, pour les agents, sont juste les cordons de sécurité instaurant une distance d’un mètre entre les agents d’accueil et les usagers. Aucun masque, ni gant, ni verrière de protection également pour les centaines d’agents des nombreuses administrations (Urssaf, Carsat, la Poste, impôts…) qui reçoivent des centaines de milliers d’usagers par jour !
Sur deux jambes, vous avez dit ?
Responsables, mais pas coupables ?
Alors… « Le pire de la crise est devant nous ».
« J’en appelle à la responsabilité des français ». « La Nation doit faire corps ».
Et vous, Monsieur le président, vous n’êtes toujours responsable de rien ?
En étant le continuateur de cette politique austéritaire, qui privilégie les dividendes versés aux actionnaires, le versement d'un CICE sans aucune contrepartie, qui en a juste gavé certains jusqu'à s'en faire péter la ceinture, pendant que d'autres meurent aux urgences, et en favorisant et accélérant sans cesse la privatisation des derniers Services Publics, au détriment de l’intérêt général, vous êtes bien responsable et coupable de ce qui s’annonce.
C’est-à-dire un risque d’épidémie sur tout le territoire, avec un afflux massif de malades en détresse respiratoire dans des structures sous-dimensionnées et déjà au bord de l'implosion, avec à la clé un potentiel effondrement des services d’urgence et de réanimation conduisant à des milliers de morts qui auraient pu-et dû !!- être évitées.
Prions pour que cette funeste possibilité ne se réalise jamais.
Mais, soyons réalistes : nous ne sommes qu'au début de ce qui s’annonce comme un désastre national.
Ca n'est pas moi qui le dis : tous -ou presque- sont unanimes pour le rappeler. "Le pire est devant nous".
Diagnostic
Alors, osons poser un diagnostic
Ca n’est pas le virus qui tue, mais bien les politiques qui sont traduites en actions, et qui conduisent à privilégier la rentabilité, le marché, le profit, plutôt que les seuls intérêts qui vaillent : ceux de l’Humanité. De « ceux qui ne sont rien ».
Et les médias, en reprenant tous en chœur et sans discernement, les éléments de langage d’une majorité qui essaie de camoufler le résultat de sa désastreuse politique, sont aussi coupables de ce qui arrive. En glosant sans discontinuer depuis plusieurs jours, occultant tout autre sujet, sur la « mortalité » du virus, et en écartant tout ce qui vient d’être souligné ci-dessus…ils se font complices de cette situation, une fois de plus !
Une seule question demeure : le font-ils par aveuglement, par idéologie ou volontairement ? Sont-ils seulement capables de le constater ? De s'en rendre compte ? Que nenni ! Si nous survivons à cette crise, ils recommenceront leur insupportable petite rengaine : "il faut privatiser, libérer, tout livrer aux lois du dieu marché ! Y compris l'Hopital Public et la Santé !"
Comme le disait Jean Dutourd « Le mensonge est aussi consubstantiel à la politique que l'alcool à la soif. ».
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