Les Echos font partie du même groupe que le Financial Time qui est exactement la même chose en mieux, puisque ce journal nous permet de nous voir depuis Londres. Une perspective très souvent assez pittoresque et généralement impitoyable pour notre fierté nationale. Mais le journal Les Echos, avec son lectorat modeste sinon en qualité du moins en quantité (145 000 ex), et peu extensible, s’il réalise avec environ 10 millions d’ € un résultat financier honorable par rapport à la presque totalité de ses confrères de la presse quotidienne d’information, n’est pas non plus à ce point de vue comparable à son grand frère dont la diffusion mondiale (430 000 ex) et l’influence lui assurent une position bien plus enviable ainsi que des résultats six à sept fois supérieurs. Aussi quand Bernard Arnault a proposé au groupe Pearson qui en sus du FT publie grâce à sa filiale IDC les cotations en temps réel de plus de 3,5 millions d’actions dans le monde, une activité très largement prépondérante dans les résultats du groupe, de reprendre Les Echos pour 240 millions d’ €, le grattage de tête n’a pas dû durer longtemps. 24 fois les résultats, ça veut dire pour les non-initiés que l’acheteur mettra en gros, toutes choses restant constantes, 24 ans pour récupérer sa mise. A moins qu’il pense la récupérer plus vite, soit en dopant les résultats du journal, soit en profitant indirectement de cette acquisition dans ses autres activités. Et c’est bien là que le bât blesse et que les journalistes des Echos se sont levés tout droits et tout fâchés.
Bernard Arnault, ils le connaissent. Il y a bien longtemps qu’il ne figure plus dans les recensements d’enfants de choeur. Normal, me direz-vous, le grand business n’est pas une sacristie. Certes, mais il y a la manière. Sans entrer dans les détails, mes abattis ayant été fraîchement numérotés dans l’ordre, l’homme n’est pas connu pour sa propension aux états d’âmes ou aux excès de scrupules moraux. Le combat titanesque PPR-LVMH pour la prise de contrôle de Gucci a laissé des traces très profondes dont toutes ne resteront sans doute pas à l’actif du bilan personnel de ce grand industriel, dont bien entendu je respecte les extraordinaires réalisations. Sans néanmoins le considérer comme dépourvu de toute capacité de nuisance s’il contrôlait un journal comme Les Echos. Je ne suis pas le seul puisque plus de 250 personnalités de premier rang ont signé une motion de soutien au Comité des rédacteurs du journal.
C’est une originalité de notre pays que de permettre un concubinage malsain entre des activités de presse d’information et des activités strictement commerciales ou industrielles. Les intéressés, bien sûr se défendent, la main sur le coeur de toutes pensées ambiguës ou de toute tentative d’influence. Je pourrais presque les croire. Ils éviteront soigneusement toute intervention directe qui comme le dit Bernard Arnault lui-même "finit toujours par se retourner contre son initiateur". Comment peuvent-ils par contre prétendre ne pas devoir souffrir quant à la qualité de l’information produite, des conséquences objectives de l’instinct de survie de leurs collaborateurs ? Comme en attestent d’ailleurs les journalistes de La Tribune, autre propriété d’Arnault et journal concurrent et bien plus poussif. Un constat sans doute un peu tardif mais d’autant plus probant qu’il n’est émis qu’à l’occasion d’un projet de cession qui les concerne. Au point qu’ils se sont mis en grève aussi. Pour la même raison, l’une étant le négatif de l’autre. On attend l’avis de nos autorités sur ce sujet. Allo ?