Course de lenteur en Syrie : pour une diplomatie des nations (2/2)
Une diplomatie qui ne serait pas borgne devrait d’abord mettre sur la table les problèmes, et se fonder sur l’intelligence des opinions et des peuples.
À l’heure où tout fini toujours par se savoir, une poignée de diplomates ou d’experts prétendus ne peut tout régler entre eux dans les coulisses. Par ailleurs, toute démocratie s’exerçant, jusqu’à preuve du contraire, dans les États existants, les « Machins » inter ou supra nationaux, ONU compris, n’ont qu’une légitimité très secondaire. Simple remarque de bon sens : si deux parties s’entendent pour résoudre un différent, ce ne sont pas des tiers qui peuvent envenimer le conflit et être plus royalistes que le roi1.
Les pressions extérieures et demandes de « changement de régime » sont condamnables d’entrée, mais les gouvernements doivent pour le moins être dignes de leur fonction la plus élémentaire, prendre soin de leur population.
Une diplomatie suivant ce principe « démocratique » devrait donc renvoyer dos à dos les velléités impériales de « changement de régime », et les bouffées unanimistes considérant les opposants politiques (ou les récalcitrants, ou les supposés tels) comme des ennemis de la Nation vendus à l’étranger ou bons pour l’exil.
Dans le cas syrien, si le maintien au pouvoir d’Assad n’a pas à être dénoncé de l’extérieur, encore faudrait-il que le gouvernement syrien affirme clairement que la place des millions de civils réfugiés hors du pays est bien en Syrie, où leurs aspirations devront pouvoir être entendues.
Entre parenthèse, cela vaut aussi pour les étrangers qui ont rejoint Daesh, et dont le sort est, en dernier lieu, de la responsabilité de leur pays d’origine. On ne peut à ce sujet que déplorer le lamentable « entre-deux » dans lequel se complaît (à nouveau) la France, qui sous-traite aux milices kurdes la garde des prisonniers (elles sont vraiment bien gentilles !) et passe des accords pour qu’ils soient jugés en Irak, mais attention, pas selon les normes de la justice irakienne (où ils encourent la peine de mort), selon les normes « humanistes » françaises ! Plus incohérent que ça, c’est impossible, et l’absence de réponse judiciaire adéquate, depuis 2017 (!), pour traiter les « revenants du jihad », restera une tache noire sur le bilan du macronisme et de N Belloubet à la tête du Ministère de la justice. Peut-on traiter des asociaux qui veulent imposer leur ordre, y compris de la façon la plus brutale, avec les principes de Victor Hugo2 ? Il est vrai que la question n’est pas facile, mais les événements nous l’imposent et l’attentisme est rarement une solution.
Corollaire du retour des réfugiés, la reconstruction des pays ruinés (Syrie, Irak) est l’autre problème sous-jacent qui est dans toutes les têtes et dont personne ne parle : la prospérité n’est jamais la garantie absolue de la paix, mais le maintien de la désolation économique est à coup sûr le ferment d’une violence durable dans la région.
On comprend dès lors tout l’intérêt des invectives répétées de la diplomatie russe à l’encontre des Occidentaux, censés être les responsables uniques de tous les maux d’un pays où tout était parfait avant 2011 (?). Comme en religion (ou en réchauffement climatique), culpabiliser est la première étape avant de lever des impôts, et la Russie manifeste clairement son intention de faire tout payer...par les autres.
Au-delà du grossier maquillage de la réalité qu’elle révèle (les Syriens n’ont évidemment pas décidé de s’entre-tuer sur la seule suggestion occidentale), cette position est tout simplement surréaliste : « marraine » de Bachar El Assad, la Russie entend tirer tout le prestige politique du maintien au pouvoir de son homme-lige...tout en se tournant vers la partie « adverse » pour le règlement des « détails matériels ».
On comprend que V Poutine a toujours en tête les maux qui ont précipité la chute de l’URSS, et qu’il ne souhaite pas porter à bout de bras de nouveaux « Cubas » dispendieux3.
Il existe toutefois un nombre important d’autres bailleurs potentiels intéressés par la stabilisation de la région, notamment les pays du Golfe ou la Turquie, qui ont su dépenser (sans compter ?) lorsqu’il s’agissait d’armer diverses milices pour faire tomber le régime.
En théorie, il n’y a rien d’impossible, et ce qui a été fait avec le Plan Marshall au sortir de la 2e guerre mondiale en Europe devrait être reproduit au Moyen Orient.
En pratique c’est aujourd’hui très peu probable, surtout à l’heure où les USA privilégient les sanctions économiques pour faire plier le pouvoir iranien. Le cycle de violence et de pauvreté n’est donc pas près d’être rompu.
Mais si la question n’est pas même posée ouvertement, il est évident qu’on n’est pas prêt d’avancer.
Plus généralement, l’instabilité de la région et les haines recuites qui la baigne ne tiennent pas tellement de passions nationalistes exacerbées mais plutôt de forces de « désintégration nationale ».
Les « printemps arabes » de 2010 2011 n’ont été qu’un révélateur qui a fait vaciller les pays les moins « nationalisés ». Le cas le plus spectaculaire est évidemment celui de la Libye.
Découpée par les seuls hasards de la colonisation, elle a été pensée par M Khadafi comme « une non-nation »4, sans drapeau, essentiellement tournée vers des mouvements supra nationaux « panistes » (panarabisme, panafricanisme, panislamisme) et/ou les fusions absorption avec presque tous ses voisins.
La Syrie des Assads père et fils, qui se définit toujours comme la branche syrienne du panarabisme (« République arabe syrienne ») emprunte au même modèle que la Libye de la « Jamahiriya » et se trouve dans la position de l’arroseur arrosé.
En instaurant un éphémère « État islamique en Irak et au Levant », en abolissant la frontière tracée par le colonisateur européen honni en 1919 entre l’Irak et la Syrie, la branche locale d’Al Qaïda n’a-t-elle pas mené à bien les objectif de la République arabe syrienne ?
Et, avec un territoire morcelé par des milices, ou occupé par d’autres puissances, la République arabe syrienne ne se trouve-t-elle pas dans la même situation qu’elle a su imposer pendant des années au Liban voisin, considéré (comme Israël) comme la créature artificielle du colonialisme européen honni, etc etc etc. ?
Les évolutions dans la région sont rapides et parfois contradictoires. Quoi qu’il en soit elles ne pourront être dictées par une main extérieure et devront être assumées par les peuples qui devront dire ce qu’ils veulent.
L’Arabie saoudite, bien connue pour avoir financé pendant des années les mouvements islamistes sunnites les plus fondamentalistes de par le monde, semble effectuer un brutal tournant nationaliste sous l’impulsion de M Ben Salmane.
La Turquie de R Erdogan apparaît saisie par un vertige néo-impérial et la crise actuelle lui offre le prétexte pour poser des jalons au-delà des frontières héritées de la fin de l’empire ottoman et du traité de Lausanne de 1923. Au risque de réunir tous ses voisins contre elle (une constante de la Turquie contemporaine), la nouveauté étant qu’elle est cette fois-ci près de perdre le parapluie américain.
L’Iran devrait, elle, déterminer si elle poursuit ou pas sa mission « messianique » (qui n’a depuis longtemps plus rien à voir avec la « révolution islamique mondiale » de 1979), le soutien confessionnel aux chiites souvent minoritaires et persécutés. Au passage, la situation de son bras armé au Liban, le Hezbollah, que les esprits « anti sionistes » complaisants rangent dans la catégorie baroque des « organisations tenant lieu d’armée nationale libanaise de substitution dans sa lutte contre Israël » (une monstruosité qui sert juste à faire oublier que seul le Hezbollah a joui du privilège de conserver ses armes lourdes après la guerre du Liban), n’apparaît aucunement légitime, si on part du principe que la seule armée légitime dans la Syrie voisine est l’armée régulière gouvernementale. De la même façon, la guerre au Yémen (où des milices chiites soutenues par l’Iran s’opposent au gouvernement légal) ne peut être appréciée à l’inverse de la situation syrienne (où des milices sunnites s’opposent ou gouvernement légal soutenu par l’Iran) par simple allégeance idéologique ou confessionnelle.
Enfin, l’Irak et le Liban, aussi fracturés qu’ils soient, ont encore récemment fait preuve d’une certaine cohésion (pour ne citer que cet exemple, les manifestations sociales qui ont éclaté en Irak en octobre 2019 rejetaient aussi, violemment, les interférences étrangères dans le pays).
Évidemment, cet évitement généralisé est bouclée par le fait que les puissances diplomatiques extérieures ne sont pas vraiment disposées à poser les questions qui fâchent.
Passons rapidement sur les Européens, qui ont mis toute leur énergie dans une chimère post nationale et post historique, et les Anglais, qui vont être fort occupés à s’en défaire.
Les USA de Trump apparaissent tiraillés entre des comportements contradictoires : d’un côté, ils ne sont pas complètement débarrassés de la tentation du changement de régime, on le voit avec l’Iran (qui nourrit en retour l’activisme régional de Téhéran) et ils se comportent en paratonnerre d’un clan contre l’autre5. De l’autre, on voit Trump qui réussit à mettre les opinions devant leurs responsabilités même si c’est pas très subtile (tentatives de dialogues directs via les réseaux sociaux avec les Iraniens, retrait de l’Est syrien en octobre 2019).
Enfin, la Russie a surtout ressuscité, avec le processus d’Astana, une sorte de conférence à la mode Belle Epoque, où les trois Empereurs (le russe, le perse et l’ottoman) se sont auto promus « juges de paix » du « terrain de jeu » syrien. Chaque tentative de médiation est certes toujours bonne à prendre. Mais comment penser que la diplomatie russe pourra être, seule, à la hauteur, quand son « analyse » officielle des printemps arabes les résume à un complot (occidental, cela va sans dire !) contre les régimes « amis » (Syrie, Libye)6 ?
Conclusion
Il y a 25 ans, J-P Chevènement, de retour d’un Irak saigné par un embargo cruel, traçait déjà, des perspectives qui restent d’actualité en réclamant « un projet national arabe moderne » et « une diplomatie [française] laïque »7
Depuis la fin du Moyen-Âge, à travers les guerres de religions et les empires, l’État-nation a fait son chemin jusqu’à nous pour essaimer dans le monde entier. L’alphabétisation du monde étant presque totalement achevée, la démocratie et la responsabilité des citoyens sont (quoi qu’on en dise) un horizon inévitable. En dehors des idéalismes abstraits, des réminiscences impériales ou autoritaires, d’une politique purement confessionnelle ou d’un « poutinisme » illusoire, qui n’est rien d’autre que l’alignement opportuniste derrière le puissant du jour, une diplomatie « nationale » pourrait sans doute apporter sa contribution à la résolution des conflits de la région, qui portent directement atteinte à notre sécurité.
Impossible ? Certes. Mais qui ne tente rien n’aura rien et sera condamné à subir les événements.
1 À l’inverse, si les parties s’obstinent à se déchirer, on n’imposera difficilement la paix de l’extérieur. Raison pour laquelle on ne va pas revenir sur l’insoluble conflit israélo-palestinien.
2 Voir à ce sujet l’excellente étude de Hugo Micheron, Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons. (décembre 2019).
3 On peut rappeler que la 2e (ou 3e ) décision fondatrice de la Russie contemporaine fut de ne pas reprendre à son compte l’aide soviétique aux « pays frères »
4 Voir Juliette Bessis, La Libye contemporaine, 1984.
5 Où l’on voit en passant que dénoncer l’hyper puissance américaine en 2020 est devenu un anachronisme idiot, puisque ce sont bien les USA qui se mettent au service d’Israël et de l’Arabie saoudite contre l’Iran.
6 Oubliant soigneusement que les contestations ont touché à peu près tous les pays sans distinction.
7 Le Vert et le Noir. Intégrisme, pétrole, dollar. 1995 (chapitres 10 et 11).
15 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON