Cousteau et l’évolution des mentalités
J’ai regardé hier soir un documentaire de Cousteau diffusé sur Ushuaia TV. Je le daterais de la fin des années cinquante. Que de chemin parcouru depuis ! Et que de chemin restant à parcourir...
On y voit la Calypso suivant un groupe de cachalots. Le bateau heurte l’un d’eux. Cousteau écoute ses signaux de douleur et constate que d’autres cachalots le rejoignent et le réconfortent. Le bateau suit la petite troupe quand un jeune coupe sa route et se fait profondément lacérer par l’hélice. On nous fait apprécier les dégâts dramatiques depuis le pont puis par des images sous-marines qui permettent effectivement de mieux voir les quantités de sang perdu. Une fois ces images prises, on décide d’abréger les souffrances de l’animal en le harponnant et en lui tirant une balle dans la tête. Passons, ce sont des choses qui peuvent arriver et ce serait procès d’intention que de penser que les souffrances n’ont été abrégées qu’après qu’un stock d’images spectaculaires a été constitué.
On garde le cachalot mort arrimé au bateau. Surviennent alors des requins. On les voit rôder, effleurer la chair offerte un certain temps avant de se ruer pour la dépecer. Rien à dire non plus, ce sont des choses de la vie marine. Par contre, cela se gâte après que Cousteau ait fait remarquer que le requin est l’ennemi du plongeur... Voilà que l’équipage se met à crocheter les squales et à les remonter sur le pont pour les finir à la hache d’incendie, par le côté qui ne coupe pas. Et pas deux ou trois, mais une bonne quinzaine de requins, massacrés dans la joie et une prise de risque invraisemblable de nos jours. Que personne n’ait été blessé dans ce carnage est un miracle.
Après cet intermède ludique et vengeur, on a droit à des images de bidasses écrasés par la chaleur et se taquinant au jet d’eau. De vrais gamins.
Puis on se transforme en Christophe Colomb débarquant en Amérique. « Terre, terre, droit devant » crie la vigie et l’équipage embarque sur une chaloupe et se met à explorer, en courant s’il vous plaît, la petite île abordée. Elle est peuplée de tortues géantes. Des milliers de tortues végétariennes sans prédateurs. Un paradis pour les tortues. Et voilà que ces mêmes gamins se mettent à jouer avec les tortues en leur montant dessus, sur deux à la fois, en s’en servant de table et de fauteuil de pique-nique, organisant des courses avec les tortues pour montures. Effarant.
Dans la droite ligne de tout ceci, on découvre que l’île est habitée notamment par un jeune noir qui récolte les œufs des tortues. Un dialogue s’instaure par lequel l’autochtone apprend à l’équipage ce qu’il sait de la ponte des tortues. En quelle langue parle-t-il l’autochtone ? En piti noir si vous pli. Li tortu ceci, li tortu cela. Affolant !
Que l’on ne se méprenne pas. Cousteau n’est pas en cause. C’est l’époque et le niveau de nos consciences d’alors qui est en cause. J’ai dû voir ce documentaire en son temps sans être particulièrement choqué ou alors seulement par la mise en scène de « l’autochtone ». Que l’on massacre des requins dans la bonne humeur et le sentiment du devoir accompli ne m’aurait sans doute pas dérangé, à l’époque. Et Cousteau a évidemment participé de la prise de conscience que certaines choses ne se font pas, pas pour des considérations morales mais simplement parce qu’il n’y a aucun plaisir à traiter autrui, quel qu’il soit, comme un ennemi ou quantité négligeable.
Que de chemin parcouru depuis ! Et que de chemin restant à parcourir...
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