Covid-19, de la nécessaire démobilisation qui ferait loi
Le danger vital pandémique acte sa présence furtive sans détours, invitant les décideurs comme les masses à parer son désordre violent, sans appel ni consensus démocratique. Il court-circuite les délibérations réflexives interminables pour intimer des mesures de première urgence. Les brisures juridiques qu’il induit sont toujours discutables quand elles sont périphériques (couvre-feu, traçage), mais elles s’imposent sans délai quand elles semblent relever du champ de la survie directe du troupeau (distanciation, confinement, mise à l’arrêt des activités culturelles et industrielles).
En ce sens, peu démocratique, il semble hasardeux de permettre des déplacements entre régions gravement impactées et celles non touchées par la pandémie. Comme de laisser au libre arbitre des citoyens la possibilité de se déplacer ou non quel que soit leur état de santé tant les projections les plus optimistes évoquent des dizaines de milliers de victimes à venir du fait d’un déconfinement improvisé.
En rendant le monde indisponible, le virus révèle l’indisposition foncière de celui-ci à se soumettre au vouloir humain qui a pris pour habitude normative son contrôle et sa mise à disposition permanente.
Il rend visible l’obstination de l’être naturel à résister à cette interception volitive formant un arraisonnement suicidaire du fait notable de la surconsommation.
Les effets indirects du virus forment une immense transposition symbolique de cette tentative de domestication du monde qui a conduit l’homme moderne à établir une nouvelle ère, celle qui voit son règne porter une atteinte telle à son milieu qu’elle en prédispose la dissolution.
Le chaos actuel semble la traduction directe d’une osmose naturelle altérée par cette tendance propre aux hominidés à l’expansion aveuglée, techniquement amplifiée par leurs méthodes industriellement criminogènes d’exploitation (au sens strict concernant le trafic animal ayant abreuvé les marchés chinois à l’origine de cette pandémie).
Le coronavirus dédouble symboliquement l’état de l’être naturel dans l’inconscient des populations, restaurant la crainte d’une sanction, d’une punition, venue faire irruption au cœur de l’affairisme mondialement automatisé, comme pour contenir les ardeurs illimitées du désir d’expansion propre à cet humanisme qui n’ose s’avouer aux racines historiques de ce déploiement catastrophique.
La grande mobilisation tournoyante de la planète provoquée par la « destructivité du mouvement pour le mouvement » a connu son premier grand coup d’arrêt, et cette suspension est proprement de nature historique, aux antipodes d’une quelconque fin de son cours comme l’envisageait Fukuyama.
C’est en nous démobilisant que nous avons conservé nos chances de survie. Non en combattant. Si la modernité est toute mouvement, le présent vient d’imposer l’immobilité. Si la modernité est l’ouverture et l’échange sans contrainte, le présent vient d’imposer les limitations et la finitude.
C’est en immobilisation, en non agir, en distanciation, en écarts et chemins de traverses, en réduction des consommations et déplacements que nous avons restitué le bleu au ciel de Paris.
Les apôtres du tout productif, les extatiques du point de croissance, les zélés de l’indice de vitesse, les excités du volontarisme, les priapiques du développement personnel, les hystériques de la petite santé et autres shootés de l’évènementiel en sont pour leurs frais, le monde respire. Sans eux.
Il se passe des festivals et des stades hurleurs, des opéras comme des fusions acquisitions.
Il s’écoule allègrement sans nos flux. De banlieue à laquelle nous le réservions, de décor pour belvédère et instrument à notre service auxquels nous l’assignions, via un modeste virus, le monde s’est extirpé pour nous contraindre à procéder au seul retournement qui vaille, en faisant des humains un modeste décor en attente de retrouver son utilité, un instrument mondain subitement[T1] dépourvu d’usage.
Un théâtre d’instincts disparates enfin désaffecté par cet écosystème que nous nous évertuons à surmener.
C’est toute l’emprise humaine sur ce que nous prenons pour un simple réservoir de denrées et substances qui doit être interrogée, faute de quoi la déprise sera non plus une alternative gérable et orientable, mais une dépressurisation économique et existentielle durablement délétère pour ses protagonistes, aux retombées systémiquement ultra-violentes.
En attendant, dans la compétition des sombres annonciations, la pole position est clairement détenue par les tenants d’une écologie profonde.
Serons-nous les nouveaux vikings, (disparus notamment du fait d’un changement climatique), ou bien nous convertirons-nous en dernière instance (déjà suffisamment tardive pour ne pas sérieusement obérer un atterrissage harmonieux) à un nouveau statut peu valorisant mais sans doute plus pertinent de simples résidents terrestres, locataires plus que propriétaires, passagers plus que détenteurs, observateurs plus qu’exploiteurs, animés plus qu’animateurs d’un cosmocentrisme décentralisé, hors de toute captation matérialiste.
De quelle osmose abimée sommes-nous le voile intégral ? C’est ce que ne disent pas nos éditorialistes occupés à promettre une reprise de plus en plus fantasmatique, mais ce que semble durablement chuchoter cette mise en retrait que vient de connaître, bien involontairement, ce monde dit moderne.
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