Covid-19 et corticoïdes : pour des raisons d’éthique on arrête des essais cliniques… qui n’auraient jamais dû être lancés ?
Le Covid-19 est une pathologie qui peut s’emballer et donner lieu à une sur-réaction inflammatoire après quelques jours. Ce phénomène est appelé orage de cytokines. La composante inflammatoire de cette maladie est connue dès janvier 2020. Depuis des dizaines d’années les corticoïdes (en particulier la dexaméthasone) sont employés pour lutter contre les orages de cytokines, y compris dans les pathologies respiratoires de type syndrome de détresse respiratoire aiguë. Malgré ces éléments, de nombreux essais cliniques randomisés impliquant des corticoïdes, pour lutter contre la sur-inflammation induite par le SARS-CoV-2, ont été lancés depuis le mois de mars. Ces essais impliquaient nécessairement des groupes de patients témoins, souffrant d’un emballement inflammatoire, qui n’étaient délibérément pas traités pour l’inflammation. Certaines études ont été arrêtées « prématurément » en juin, à la période où les résultats de l’essai Recovery sur la dexaméthasone commençaient à être divulgués. En septembre, les médias communiquent encore sur ces études arrêtées et leurs résultats. Parallèlement d’autres équipes médicales ont fait le choix de traiter tous leurs patients dès le mois de mars, à l’aide de corticoïdes, avec des résultats manifestes. De quel écho médiatique ont-elles bénéficié ? Ont-elles réussi à publier aisément les résultats de leurs observations ? Aujourd’hui des essais cliniques randomisés portant sur les corticoïdes ou d’autres immunomodulateurs semblent toujours en cours : avec quelle prise en charge contre l’inflammation ? Pour quels groupes de patients ?
Le SARS-CoV-2 peut induire une sur-réaction inflammatoire appelé « orage cytokinique »[1][1b]. Depuis le mois de juin, les « scoops » concernant l’impact des corticoïdes (anti-inflammatoires) sur des patients Covid-19 hospitalisés ne cessent de faire la une.
Le 16 juin 2020 il y a tout d’abord eu le communiqué de presse de l’étude Recovery énonçant le bénéfice de l’utilisation de la déxaméthasone contre le SARS-CoV-2[1b]. L’OMS parlait alors de « percée scientifique ». Une deuxième salve de titres s’est ensuite répandue sur le web à la mi-juillet lorsque les résultats de cette étude ont été publiés dans leur version finale[2]. On entend alors parler du « corticoïde anti-covid » sans pour autant avoir des informations réellement nouvelles depuis la mi-juin.
Fin août on pouvait lire cette déclaration du Professeur Karine Lacombe : « « On a beaucoup progressé en termes de traitement : on sait par exemple que la dexamethasone, qui fait partie des corticoïdes, marche et a un effet positif sur la mortalité. On utilise maintenant de manière systématique la dexamethasone sur les patients qui arrivent à l’hôpital avec des problèmes d’oxygène » »[3]. Pourtant on se souvient avoir lu à la mi-juin : « « "La dexaméthasone fait partie de la famille des corticoïdes. (...) En France, on a très rapidement donné très tôt les corticoïdes chez des patients qui avaient la Covid-19 parce que ça diminue l'inflammation au niveau des poumons", a déclaré sur la radio France Inter [le Professeur Karine Lacombe] la cheffe du service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP). "On sait que c'est un traitement qui marche, on l'a utilisé à grande échelle", a-t-elle ajouté. » » [1b][4].
En deux mois et demi, on passe d’une déclaration qui tendrait à banaliser l’impact de l’annonce associée au communiqué de presse de l’essai Recovery, à une annonce de grand progrès. Mi-juin, on savait déjà que la dexaméthasone était un traitement qui marchait et qui était utilisé à grande échelle, et fin août on a beaucoup progressé et la dexaméthasone est maintenant utilisée. Un pas en avant et deux pas en arrière ? Étrange communication pour le grand public.
Début septembre, les corticoïdes, le Covid-19, les cas graves et l’OMS reviennent à la une : « premier traitement approuvé par l'OMS »[5], « efficacité des corticoïdes sur les cas graves »[6], « "un traitement qui va sauver des vies" »[7], « "un tournant spectaculaire" »[8]… Il faut dire que le 2 septembre 2020 l’OMS a ajouté des recommandations concernant l’usage des corticoïdes chez les patients covid[9]. Cette communication fait suite à une compilation de données par l’OMS[10] et une série de publications sur le site du JAMA (Journal of the American Medical Association)[11][12][13][14][15]. Ces publications concernent des essais cliniques randomisés étudiant l’impact de corticoïdes dans la lutte contre le coronavirus Covid-19. Des équipes médicales françaises étaient impliquées dans ces études[10]…
Et pourtant…
1/ La dexaméthasone est incluse depuis juillet 1994[16][16b] dans le protocole HLH-94 de prise en charge de la Lymphohistiocytose hémophagocytaire. Cette maladie implique une « tempête de cytokines »[17].
2/ Il y a 20 ans (avril 2000), la revue Pour la Science parlait déjà des corticoïdes dans la régulation de l’orage de cytokines[1b][18]. Cet article est même proposé par le Vidal en bibliographie sur le choc cytokinique[19]
3/ La composante inflammatoire du Covid-19 (2019-nCoV) a été décrite dans une publication parue dans The Lancet dès le 24 janvier 2020[20].
4/ Le 7 février 2020, une publication dans The Lancet (Respiratory Medecine)[21] concluait sur le bénéfice de l’utilisation de la dexaméthasone dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA)[22]. Or l’épidémie de SARS-CoV (2002-2004) a montré que ce coronavirus était lié à des risques de SDRA[23]. Se pourrait-il que le SARS-CoV-2 ressemble au SARS-CoV ? [1b][24][25]
5/ Une étude chinoise montrant l’impact bénéfique de la méthylprednisolone (un autre corticoïde) dans le traitement du Covid-19 a été publiée le 13 mars 2020 dans JAMA Internal Medecine[1][1b][2][16b][26].
6/ L’équipe du Professeur Bani Sadr du CHU de Reims utilise l’approche thérapeutique impliquant les corticoïdes pour tous les malades covid en détresse respiratoire, depuis le 27 mars 2020[2][16b][27][28][29]. On peut lire : « Le 30 mars, lors de la réunion hebdomadaire de tous les infectiologues de France, le Pr Firouze Bani-Sadr en parle à ses collègues. "J'ai parlé de notre expérience très positive à tous mes collègues avant que les validations scientifiques ne soient faites, explique le Pr Bani-Sadr, car il s'agissait de sauver des vies". Il y a urgence. Si certaines se sont montrés réticentes au départ, beaucoup d'équipes médicales ont fini par adopter ce traitement. » [28]. Dès le 6 avril 2020, le Professeur Bani Sadr diffuse son expérience thérapeutique des corticoïdes dans la lutte contre le Covid-19 en mettant en ligne une vidéo[1][1b][30][31]. Les premiers résultats présentés sont qualifiés de « spectaculaires » [31].
7/ Dès le 31 mars 2020, le médecin généraliste Pierre-Jacques Raybaud met en ligne une proposition de trithérapie et mentionne le déclenchement de l’usage des corticoïdes (prednisone) à partir du 7ème jour en ambulatoire, si nécessaire[1][1b][32]. Sa proposition thérapeutique de prise en charge en médecine de ville s’appuie sur la doxycycline[33][34][35][36].
Certains médecins généralistes seraient-il plus perspicaces que certains médecins hospitaliers ? Et pourtant malgré toutes ces informations, une partie des pays développés, dont la France, se lancent dans des essais cliniques randomisés afin de tester les corticoïdes, et d’autres immunomodulateurs (afin de lutter contre la sur-inflammation), sur des patients atteints par le SARS-CoV-2[1][1b][2][16b]. Parallèlement le Maroc communique dès le mois de mai 2020 sur « les corticoïdes [qui] font leurs preuves » [1][37]…
Ainsi, afin de conduire l’essai clinique Recovery, 4321 patients ont été inclus dans le groupe témoin et ont reçu des soins standard[1b][2][16b][38]. Pas de prise en charge anti-inflammatoire pour ces 4321 patients, alors que la composante inflammatoire de la maladie pour les personnes hospitalisées est connue depuis des mois ?
Le 3 septembre 2020, on pouvait lire : « […] des essais cliniques […] ont dû s'arrêter prématurément, pour raisons éthiques. […] la dexaméthasone a montré une telle efficacité dans les cas de Covid-19 graves que s'abstenir de l'administrer aux patients est devenu non éthique. […] Les essais cliniques sont également impactés. Dans plusieurs études en cours certains patients étaient en effet intentionnellement privés de corticoïdes, au profit du traitement standard, afin de pouvoir en comparer l'efficacité. Mais ces nouveaux résultats changent la donne : si le traitement a un effet aussi décisif sur le cours de la maladie, il devient non éthique de le refuser à un patient. Les études REMAP-CAP, CoDEX et CAPE COVID, qui se déroulaient dans huit pays dont la France, sont donc arrêtées prématurément. » [10].
L’essai REMAP-CAP[13] portait sur l’hydrocortisone. Il a concerné 403 patients et s’est déroulé du 9 mars au 17 juin 2020. L’essai CoDEX[14] portait sur la dexaméthasone et le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) lié au SARS-CoV-2. Il a concerné 299 patients et s’est déroulé du 17 avril au 23 juin 2020. L’essai CAPE COVID[15] portait sur l’hydrocortisone. Il a concerné 149 patients et s’est déroulé du 7 mars au 1er juin 2020. Ce dernier essai a été conduit en France.
Ces essais ont été arrêtés « prématurément » en juin, mais auraient-ils dus être lancés ? Il semble que la composante inflammatoire du Covid-19 pour les patients hospitalisés était connue lors de leur lancement. La communication par voie de presse de l’essai Recovery semble avoir précipité l’arrêt de ces essais.
En revanche, tous les essais randomisés impliquant des corticoïdes ne semblent pas avoir été arrêtés. Qu’en-est-il du programme Covidicus, lancé en avril, impliquant la dexaméthasone (3,69 euros la boîte en médecine de ville[39]) et où il est question d’une cible de 550 patients ?[16b]
On peut également s’interroger sur la prise en charge de l’inflammation dans les groupes témoins des projets Corimuno-19 impliquant des immunomodulateurs[16b] non corticoïdes : tocilizumab (822,13 euros pour 4 doses[40]), eculizumab (aux alentours de 4000 euros pour 300mg de Soliris® ?[41]) et sarilumab (800,53 euros pour 2 doses[42]). Début septembre l’échec du sarilumab dans les formes sévères de Covid-19 était annoncé[43][44]. 420 patients dans le monde (y compris en France) ont été inclus dans l’étude contre placebo[43][44]. Le groupe placebo comportait 86 personnes[44].
Récemment un autre médicament anti-inflammatoire, l’anakinra (220,27 euros les 7 doses[44b]) est revenu sur le devant de la scène. Après avoir fait l’objet d’une publication dans The Lancet Rheumatology (suivi de cohorte) fin mai[1][1b][2][45]. Une étude rétrospective a été mise en ligne le 22 juillet 2020[46][47][48]. Cette thérapie est présentée comme « un médicament aux effets « évidents » » [46]. Tellement évident qu’un essai clinique randomisé semble avoir été lancé[49]… Quelle sera la prise en charge anti-inflammatoire du groupe contrôle ?
On peut remarquer que les médias ont consacré des articles aux essais randomisés abandonnés « prématurément », à l’essai Recovery ou aux essais sur des immunomodulateurs à haute valeur ajoutée.
Et pourtant…
Certaines équipes hospitalières françaises ont fait le choix de traiter l’ensemble de leurs patients à l’aide de corticoïdes, sans faire d’essai randomisé. Ce dernier type d’essais nécessite généralement d’enrôler des patients dans un groupe témoin qui ne bénéficie pas d’une prise en charge anti-inflammatoire.
Citons par exemple l’équipe du Professeur Bani Sadr de Reims ou le Docteur Jean-Philippe Kevorkian (Hôpital Lariboisière, Paris) et ses collègues[1b][2][16b]. On peut trouver quelques articles de presse relayant le protocole de soin de l’équipe de Reims[27][28][29][50]. Toutefois ces deux équipes semblent avoir eu du mal à publier leurs résultats. En effet, la lecture d’un commentaire, rédigé par le Docteur Kevorkian suite à un article publié le 19 juin[51], nous indique que l’équipe de l’hôpital Lariboisière a cherché à publier ses résultats concernant une thérapie impliquant les corticoïdes depuis fin avril 2020. Cela semble également être le cas de l’équipe de Reims : il est question de « mésaventure similaire » [51]. Le protocole de l’équipe parisienne est une « intervention thérapeutique [qui] repose sur l'utilisation conjointe d'une corticothérapie, de diurétiques, d'une antibiothérapie et d'un anticoagulant. » [51]. Cette approche lancée apparemment début avril[52] semble être appelée « Cortilix »[53]. L’équipe médicale n’a pas réussi à publier dans The Lancet ni dans Jama qui ont refusé leur article[51]. Le 7 juillet 2020 on pouvait lire : « Comment réagit-on lorsque l’on veut en informer ses collègues de façon « réglementaire » en réalisant une étude certes « artisanale » mais méthodologiquement valable, et qu’elle se voit refuser au bout de 2 mois alors qu’une semaine plus tard, l'étude RECOVERY valide « triomphalement » le bien-fondé de la stratégie proposée ? » [52]. On trouve également : « Publications scientifiques rejetées pendant le COVID : que s’est-il passé ? […] il a peu été question des chercheurs qui n’ont tout simplement pas réussi à faire connaitre les résultats et leurs « recettes » pour combattre le virus auprès de leurs collègues, faute d’avoir pu publier. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont vu leurs articles refusés par les revues scientifiques sans explications, alors que les stratégies thérapeutiques préconisées par ces auteurs ont été validées par la suite. Cela interroge sur les modes de diffusion de la science, en particulier en période de crise. »[54].
Le travail de l’équipe de Reims sera finalement publié le 4 juillet 2020[55] et celui de l’équipe parisienne le 1er septembre 2020[56]. Avec quel écho au niveau des médias ? Les médias communiquent sur des essais arrêtés prématurément, mais pas sur des expériences de soins aux résultats manifestes ? Les médias communiquent sur des traitements à haute valeur ajoutée (comme le tocilizumab ou l’anakinra)[1][1b][2][16b], mais pas sur des expériences de soins aux résultats manifestes ? Les médias communiquent lorsqu’on lance un essai clinique en Guyane sur le tocilizumab[16b], mais pas sur des expériences de soins aux résultats manifestes ? Les médias communiquent lorsque la tentative de lancer un essai clinique sur le plasma en Guyane fait le buzz[57][58][59] (« "Cobayes", "pas la bienvenue" »[60], « essai […] vomi »[61] peut-on lire), mais pas sur des expériences de soins aux résultats manifestes ?
Lors de son interview le 29 août 2020 sur BFMTV, Karine Lacombe a plusieurs fois parlé des « scientifiques » [62].
Et pourtant…
En tant que citoyen on peut trouver bien peu scientifique, en pleine épidémie, de tenir si peu compte de la bibliographie médicale et de ne pas avoir systématisé l’usage des corticoïdes plus tôt à l’hôpital. Et pourtant les équipes médicales semblent mettre un point d’honneur à lancer des essais cliniques et à publier. À quoi bon, si c’est pour ne pas tenir compte de ce qui a déjà été publié ? De nombreux essais cliniques ont été lancés au mois de mars alors que des informations claires étaient déjà disponibles. Et pourquoi attendre le mois de juin pour mettre fin « prématurément » aux essais alors que d’autres informations continuaient de diffuser ?[28] Dans les commentaires de l’article « COVID-19 sévère : les médecins français n’ont pas attendu l’essai RECOVERY pour prescrire des corticoïdes » [51], on peut lire : « Une satisfaction, essentielle : avoir transmis notre expérience à certains de nos collègues dans d'autres centres hospitaliers, par le simple bouche à oreille ou grâce aux échanges dans des groupes connectés. Il y a probablement des patients qui en ont tiré un bénéfice inestimable » [51].
On peut trouver bien peu scientifique, et surtout bien peu éthique, de lancer des essais randomisés où l’on décide de ne pas traiter la sur-inflammation des patients tirés au sort pour être enrôlés dans le groupe témoin.
On peut trouver bien peu scientifique que les immunomodulateurs à haute valeur ajoutée ne soit pas nécessairement évalués comparativement à des corticoïdes de référence, par exemple la dexaméthasone. Ainsi tout patient se verrait proposer une prise en charge anti-inflammatoire.
Les essais randomisés sont des outils utiles pour discerner des gains thérapeutiques de faible amplitude[63][64]. On peut ainsi trouver bien peu scientifique d’utiliser les essais randomisés pour évaluer l’amplitude du bénéfice de médicaments qualifiés d’ « évidente » [46] (anakinra) voire de « spectaculaire » (corticothérapie)[65]. Dans le cas des corticoïdes, on parle d’une « réduction de 34% de la mortalité en un mois chez les patients atteints de Covid-19 grave » [10]. Est-il nécessaire de réaliser un essai randomisé pour constater une chute de mortalité lorsqu’elle correspond à un tiers ?
Le 2 septembre, des équipes médicales ont publié dans Jama…
Les patients enrôlés dans les groupes placebo des études randomisées portant sur les corticoïdes, et plus généralement les immunomodulateurs, dans le combat contre le Covid-19 sont certainement scientifiquement ravis.
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