COVID-19 : l’impossible refus de la mort
La médecine moderne a marginalisé la maladie et la mort dans nos sociétés. L’épidémie de COVID-19 nous replace face à ces épreuves. Refusant de se soumettre au virus, nous avons choisi le confinement. Ainsi, nous nous jetons dans l’inconnu alors qu’il serait peut-être plus sage d’accepter nos limites.
Il fut un temps pas si lointain où la médecine était impuissante à guérir quiconque était atteint par la moindre maladie. Les médecins ont pendant des siècles accompagné les hommes à travers les épreuves de la maladie et du vieillissement sans pouvoir en infléchir le cours. Les cimetières étaient au cœur des villages, les hommes et les femmes en habits de deuil peuplaient les ruelles et les nouveau-nés avaient une chance sur trois de ne jamais fêter leur premier anniversaire. Jusqu’à l’avènement de la médecine moderne symbolisée par les travaux de Pasteur, la mort était présente à tous les stades de la vie. Les hommes n’avaient d’autre choix que de l’accepter et d’affronter ses douleurs et peines avec l’aide des médecins, des prêtres et de toutes les composantes de la société organisée autour de ces épreuves.
A partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, les découvertes scientifiques et les progrès techniques se sont enchainés et ont permis de soigner les maladies les plus répandues. Depuis lors, il est considéré comme normal d’être en bonne santé, d’être en pleine possession de ses capacités physiques tout au long de la vie. La durée de la vie n’a eu de cesse de s’allonger. Le vieillissement a été repoussé toujours plus loin. Nous avons vu apparaitre un quatrième âge après avoir rendu le troisième âge tout à fait banal. Les retraités sont actifs. Ils font vivre nombre d’associations avec un dynamisme que n’auraient pas imaginé nos arrières grands-parents. A l’image de la Californie décrite par l’humoriste Patrick Timsit en ces termes « A Los Angeles, partout, que des jeunes mais alors, des jeunes de tous les âges », le monde occidental vit toujours jeune et en bonne santé.
Bien entendu, la maladie et la mort n’ont pas disparu mais ils sont dorénavant vécus comme un drame, comme un moment d’exception. Le refus de la mort et de la maladie est partout. Les cimetières sont rejetés en périphérie des villes. Les personnes gravement malades meurent à l’hôpital dans des services dédiés. Les personnes âgées dépendantes sont placées dans des établissements fermés où ne se rendent que les proches.
Et voilà que le COVID-19 bouscule toute cette organisation bien établie. Le décompte des victimes s’affiche quotidiennement dans tous les journaux. Très vite le doute et la peur s’installent dans la population. L’imprévoyance des années passées est rapidement identifiée et fustigée de toute part. Il n’est pas question d’accepter l’épidémie comme une fatalité. Il faut réagir vite et fort. L’opinion publique l’exige. La puissance publique ne veut pas perdre le contrôle de la situation. On veut croire que l’on peut combattre la maladie, que l’on peut soigner, que l’on peut sauver toutes les vies. Une mesure spectaculaire va être prise : le confinement. Cette mesure à elle seule éclipse toutes les autres. Elle est critiquée dans sa forme et sur des points de détail mais dans l’ensemble, la population l’approuve, la demande, la réclame. Il fallait faire quelque chose. Le gouvernement l’a fait.
Est-ce que nous avons bien mesuré les conséquences de cette décision ? Sait-on vraiment où elle nous conduit ? Ne sommes-nous pas en train de nous jeter dans le vide tel un troupeau de moutons apeurés par un loup ? Rien n’est moins sûr.
Le confinement doit permettre de contrôler le flux de patients entrant en réanimation. Les agences de santé nous expliquent qu’il le faut pour sauver un maximum des vies. Mais combien de vies ? Les statistiques présentées quotidiennement ne sont jamais très claires. Dans le brouillard des chiffres, il est rarement dit que 4 patients sur 10 décèderont pendant leur séjour en réanimation. On dit encore moins que les plus âgés et les plus faibles ne sont même pas placés en réanimation. Nombre d’entre eux décèdent directement dans les EHPAD sans atteindre l’hôpital. Malheureusement, le confinement ne protégera pas les plus fragiles. Il ne fait que ralentir la progression du virus que nous ne sommes pas en mesure de stopper.
Le confinement comme tout traitement a aussi des effets secondaires. La population a cessé d’aller chez le médecin et de se soigner. Parmi ces malades non pris en charge, il y a bien sûr une grande part de maladies bégnines mais il y a aussi quelques malaises cardiaques et autres accidents vasculaires cérébraux. Les services d’urgence ont constaté, dans un premier temps, un arrêt des consultations pour ce type de pathologies puis, dans un deuxième temps, une explosion des cas graves. Tous les cas qui n’ont pas été pris en charge à temps se sont transformés en pathologies encore plus dangereuses. Lors que l’impact de ce manque de soin sera connu, les experts nous expliquerons avec assurance qu’il ne s’agit que de dommages collatéraux inévitables.
Le confinement tuera aussi à retardement. En effet, il va produire un effondrement économique sans précédent. Des millions de français déjà déclassés et précarisés vont sombrer dans la misère la plus noire. Quand la richesse d’un pays baisse brutalement, l’espérance de vie suit le même chemin. La Russie soumise dans les années 90 à la thérapie de choc d’inspiration libérale en a fait l’amère expérience. L’espérance de vie des hommes a chuté de 64 ans à 58 ans en l’espace de 10 ans. Derrière ce terme technique d’espérance de vie se cache tout simplement des gens qui meurent des maladies induites par un mode de vie dégradé par la pauvreté.
Au final, bien malin celui qui pourra faire le bilan macabre des vies sauvées par le confinement et des victimes de ce même confinement. Une chose est certaine : contrairement à tous les médicaments qui sont régulièrement évalués selon le rapport entre leur toxicité et leur bénéfice thérapeutique, personne n’a fait l’exercice pour le confinement. Nos dirigeants pris d’hubris et soumis à la pression du corps social devenu incapable d’accepter la maladie et la mort ont pensé pouvoir maitriser le virus et toutes les conséquences du confinement.
Partout l’on entend que le monde ne sera plus le même après la crise. Pourtant, la manière de gérer l’épidémie en refusant vainement de s’y soumettre, laisse penser que rien ne changera. Nous surestimons notre capacité à maitriser notre destin et nous continuerons à le faire.
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