CPE : qu’en dit « l’étranger-d’en-bas » ?
Depuis les « émeutes des banlieues », l’attention des médias à l’étranger est très concentrée sur ce qui se passe en France. Mais au-delà des papiers et des gros titres (« Burn Baby Burn »), au-delà des chroniques et des images-choc, que dit-on des manifestations contre le CPE, hors de nos frontières ? Comment voit-on les événements en France à « l’étranger-d’en-bas » ?
Lorsqu’on se promène sur la Toile, force est de constater que l’étranger est très attentif à ce qui se passe actuellement en France. D’ailleurs, on nous le dit, et on nous le répète, à commencer par certains chroniqueurs de ce forum : la France est la risée du monde, nous nous couvrons de ridicule, nous nous isolons de l’Europe, du monde industrialisé, de la planète toute entière, nous sommes des extra-terrestres !
Que n’entend-on pas !
Aussi pourquoi ne pas aller voir ce qu’on dit de la France à l’étranger ?
Voici un florilège de quelques interventions (traduites en français) trouvées ici : http://newsforums.bbc.co.uk/nol/thread.jspa?sortBy=1&threadID=1317&start=0&tstart=0&&&&edition=1&ttl=20060328214105
Le site de la BBC invite à déposer son opinion en quelques mots sur les manifestations en France. J’ai retranscrit les interventions à peu près dans l’ordre où je les ai lues, aujourd’hui mardi 28 mars 2006, aux alentours de 20h15. Mais j’engage chacun à aller y faire un tour, je ne suis pas très bon traducteur et tout le monde pourra sans doute faire aussi bien que moi.
Et ces lectures me semblent pleines d’enseignements : il y a des discours auxquels on s’attend, il y en a d’autres auxquels on ne s’attend pas vraiment.
Deux choses m’ont plus particulièrement frappé :
- Le nombre de témoignages provenant des pays anglo-saxons, et exprimant un soutien, une compréhension, voire une envie des manifestations en France. Je n’ai pas opéré un quelconque décompte, mais ce nombre me semble approximativement égal à celui des discours vitupérant "l’archaïsme français".
- Le fait que les discours les plus critiques vis-à-vis de la France semblent émaner de Français eux-mêmes.
Voici donc les manifestations contre le CPE vues de "l’étranger-d’en-bas" :
"La loi française est discriminante envers les jeunes qui, dans l’un des pays les plus riches du monde, ont droit à des jobs décents, un salaire décent et une sécurité de l’emploi. La loi veut dire que les jeunes pourront être licenciés à n’importe quel moment et sans raison, ce qui érodera le poids des syndicats. Ces lois doivent être combattues en France, ou elles se répandront à travers l’Europe.
Solidarité avec la jeunesse française !"
Rebecca Allan, Manchester.
"Oui, c’est une bonne chose de lutter contre cette nouvelle loi, une loi qui ne promet rien d’autre qu’une exploitation sans vergogne. Cette loi est absurde et nous savons tous ce qu’elle veut dire pour les étudiants, les jeunes immigrants, etc. Mais encore une fois, les émeutes ne sont pas nécessaires. Comment voler un portable peut-il profiter à cette cause ?"
Riika-Maria Hytti, Helsinki, Finlande
"Il y a une chose que j’admire chez les Français, c’est cette capacité qu’ils ont à se rassembler et à protester contre leur gouvernement quand il fait quelque chose de stupide.
Les Anglais et les Américains ont beaucoup à apprendre à ce sujet."
Duncan Taylor, Richmond, Etats-Unis
"Je suis contre la globalisation, alors je suis avec les manifestants. Cette loi favorise tellement les riches, je protesterais également."
David, Portland.
"Je vis et travaille en France, j’ai 31 ans. Je comprends la frustration des jeunes Français aujourd’hui à propos de leur avenir professionnel. Mais ne rien proposer, comme l’opposition le fait aujourd’hui, n’est pas non plus une solution. Nous devons essayer, et voir si ça réduit le chômage des jeunes. En fait, le gouvernement doit améliorer la loi pour la rendre acceptable. Mais nous devons garder en tête que le but de cette loi est de favoriser le travail des jeunes."
Cynthia, Paris.
"Tout changement dans le Code du travail doit être juste, et je ne suis pas certains que celui-ci ne le soit. Au moins les travailleurs français ont-ils l’estomac de faire entendre leur voix, au contraire des Anglais qui n’ont pas le courage de lutter contre les politiques injustes telles que le fiasco de leurs retraites. L’histoire nous a montré que seule l’action directe de la masse peut forcer les Blair et autres à être justes. Les mots seuls ne fonctionnent pas, comme Maggie l’a montré avec ses impôts."
Mike Godfrey, Denia, Spain.
"Si j’avais grandi avec un tel droit du travail, je le considérerais certainement moi aussi comme un droit, tout comme les jeunes Français. La plupart de ceux qui approuvent le gouvernement français n’ont certainement jamais eu une telle sécurité de l’emploi. De toutes façons, le monde change, mais le changement radical de cette loi est trop soudain. Le gouvernement français aurait dû envisager une transition. Les jeunes sont en colère parce qu’ils n’ont pas leur mot à dire à propos d’une loi dont leurs prédécesseurs ont profité pendant des générations."
Craig, Kinston
"La nouvelle loi n’est que la première d’une série de « réformes » qui vont détruire la justice sociale en France. Aujourd’hui, c’est le CPE, demain ce seront les salaires, les heures de travail, les retraites. Une fois que vos droits vous ont été retirés, vous ne les revoyez plus jamais, ni vous, ni vos enfants."
John Syrianus, Londres.
"La jeunesse française fait face à un choix difficile entre un chômage continu à des niveaux sans comparaison dans le monde industrialisé et les nouvelles possibilités d’un accroissement de l’emploi -avec moins de sécurité. Le gouvernement devrait faire vite avec ses réformes du travail -pour le bénéfice de la jeunesse française et de la nation française. L’économie mondiale est en train de changer rapidement, et la jeunesse française va perdre bien plus que la sécurité de l’emploi si elle n’adhère pas à quelques changements raisonnables et modestes dans le Code du travail."
James Marquardt , Highland Park, Illinois, Etats-Unis.
"Les droits durement gagnés et les privilèges des salariés sont menacés par la globalisation ou, plus spécifiquement, par la compétition malhonnête et bon marché venue d’Asie, où les travailleurs n’ont aucun droit et où il n’y a aucune protection, ni de la santé ni de la sécurité. Si les tenants du marché libre et ouvert parviennent à leurs fins, nous travaillerons tous comme des esclaves pour le restant de notre existence. Mais il y a une alternative : le bon vieux protectionnisme. Prenons soin de nous-mêmes, on s’en fiche de la globalisation."
David Owen, Newport.
"Nous sommes encore en train de mener la mauvaise bataille... Au lieu de créer des emplois, d’avoir une économie galopante, nous sommes en train de protéger un système qui se noie depuis 20 ans. Nous avons réduit le temps de travail à 35 heures par semaine, avec pour résultats que les investisseurs industriels fuient la France, que le chômage progresse, que les comptes publics sont dans le rouge... et qu’est-ce que les gens veulent ? De meilleures conditions de travail, une aide de l’Etat, un emploi garanti à vie !!!
Nous avons besoin de plus de flexibilité, et aussi de travailleurs, pas de philosophes !"
V.Marchal, Toulouse
"Je n’arrive pas à croire qu’il y ait tellement de Français qui ne comprennent pas que la raison pour laquelle leur chômage est si élevé, c’est que les travailleurs français ont tellement de « droits » ! Dans une économie globalisée, les entreprises continueront à employer des travailleurs dans des pays où les gens ne demandent pas des horaires de travail aussi doux et tellement de compensations. Il n’y a rien que le gouvernement français puisse faire contre cela !"
Nicholas, Arlington, Virginie, Etats-Unis
"Je suis tout ça en direct. Je dois dire que si vous vivez à Paris, vous verrez que cette sorte de choses [les manifestations] arrive régulièrement, mais à une échelle moindre. La société française est différente. J’espère que la France ne se transformera pas en Grande-Bretagne, en ce qui concerne le droit du travail. Cela va être intéressant de voir comment tout ça va tourner. Peut-être que les socialistes vont revenir au pouvoir."
Gordon Garioch, Aberdeen, Grande-Bretagne
"Mon père disait toujours : « On ne devient pas riche en travaillant pour les autres. » Il avait raison. On n’avance pas non plus.
Les professions libérales paient mieux parce que les gens sont leur propre patron. Je suggère à tout jeune une école de commerce, ou de devenir médecin ou avocat.
Ne dépendez pas de l’Etat ou d’une entreprise pour quoi que ce soit."
Kaye, New-York, Etats-Unis
"Les Français ne vivent pas dans le monde réel. Un emploi n’est pas un droit, c’est un privilège, c’est-à-dire qu’il est gagné par le talent et le travail. Si tu n’y mets pas du tien, tu es viré. Point. Les employeurs ont le droit de retenir des employés ou de s’en débarrasser en fonction des besoins de l’entreprise. Pas étonnant que l’économie française ait été à la cave pendant si longtemps, avec un droit du travail aussi idiot que ça !"
Sam, Portland
"Je viens d’Asie et je travaille en France depuis 4 ans. J’ai vu des gens avec des emplois sans aucune opportunité d’avenir, pas d’augmentation de salaire, pas de satisfaction au travail, mais ils devaient s’accrocher à leur job parce qu’ils avaient peur qu’une fois perdu, ils n’en trouveraient pas d’autre. Le marché du travail doit être plus fluide. On peut « virer » son employé parce qu’il y a de meilleures opportunités sur le marché. Pour cela, une réforme du Code du travail en France est nécessaire."
YS, Paris.
"Les jeunes qui protestent contre la loi ne comprennent pas. Aujourd’hui, les entreprises ne veulent pas embaucher des jeunes parce qu’avec les lois actuelles, on est plus ou moins coincé avec un employé. Dès lors, recruter quelqu’un qui est proche de la retraite est moins risqué. La loi donnera des impulsions à l’embauche de jeunes travailleurs. J’ai lu pas mal d’articles qui disent que si cette loi venait à être appliquée, ils chercheront du travail ailleurs. Beaucoup d’Etats aux Etats-Unis ont adopté une politique du licenciement sans justification [fire-at-will policy]. Soyez simplement un salarié de valeur !"
Baumann, Etat de Washington
"Bien joué les Français. Amusant, comme ils ne se couchent plus sans combattre, mais luttent jusqu’au dernier. C’est de Grande-Bretagne que tout le fighting spirit a disparu, et c’est une honte."
James Moore, Cardiff, Grande-Bretagne
"Je pense que le gouvernement français devrait procéder à quelques changements fondamentaux dans le droit du travail français, afin de nous rendre plus compétitifs, il va complètement dans le mauvais sens. Il faut abolir le Conseil du travail [Prud’hommes ?], c’est très mauvais pour le business."
Antoine, Paris.
"Toute cette protestation une fois terminée, que restera-t-il d’un contrat avec une période d’ « essai » de deux ans ? Je ne pense pas que quiconque sache si cette loi créera véritablement des emplois ou non. Je pense aussi que c’est le signe d’une préoccupation plus profonde en France. Je pense que les gens ont peur d’un changement trop brusque. Mais ils savent que quelque chose doit être fait. Quelles sont les autres propositions ? Est-ce qu’on en entend parler ?"
Albert Municino, New-York, NY / Fukuoka, Japan.
"Les manifestations sont typiques de la France. La minorité essaie d’imposer ses vues à la majorité. Confrontation et ultimatum, la méthode favorite des militants syndicaux jamais constructifs et incapables de proposer la moindre alternative. Réveille-toi, France, il est temps de remettre ces gens à leur place -ne les suivez pas comme des moutons !"
Lord Jim, Paris
"Pourquoi 26 ans et moins ? Cela ressemble à un exemple classique de discrimination. La loi devrait être faite de telle manière que quiconque puisse être viré à n’importe quel âge. Comme ça les employeurs licencieront les vieux improductifs et embaucheront des jeunes dynamiques et motivés. Ne laissez jamais le gouvernement pratiquer la discrimination par l’âge !"
Scott O., Phoenix, AZ, Etats-Unis
"Ces lois font partie d’une remise en cause des droits des travailleurs co-ordonnée par Bruxelles et connue sous le nom d’ « Agenda de Lisbonne ». Elle aura peu d’impact en Grande-Bretagne, où un programme similaire avait déjà été mis en place sous Thatcher. Ce qui est rafraîchissant à propos du fait de vivre en France, c’est que les gens luttent contre le démantèlement de leurs droits. En Grande-Bretagne, lorsqu’il y a des changements dans le droit du travail, les gens ne le savent même pas avant d’être directement affectés."
Steve Mc Giffen, Bourr ? (41), France
"Encore un exemple de l’archaïsme de la majorité des Français et de leurs idées rétrogrades. Dans le monde réel, la flexibilité du marché du travail est la clé du succès économique. On parle de création d’emplois, pas d’emplois pour la vie. Laissons les Français conserver leur droit du travail démodé... Ca nous donne simplement un avantage économique supplémentaire."
Paul, Londres
"Quel étrange système économique que celui du capitalisme -où le seul moyen qu’une minorité possédante détient pour survivre, c’est d’affaiblir la majorité. Les Anglais se sont tus durant les années 80 après que les mineurs eurent été lessivés -au moins, les Français combattent."
Harry, Londres
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