Criminels ? Crétins ? Ou... les deux à la fois
Quand on abandonne les ressources de la Raison et de l’Esprit et que l’on s’écarte des voies du dialogue, il ne reste plus que la force brute qui conduit à l’effusion de sang. C’est le sentier qu’empruntent les criminels et les âmes égarées dénuées de cœur et de bons sens. Aussi, du fait qu’elle aurait pu être évitée, la guerre de Libye, avec ses frappes aériennes voulues, décidées et appliquées sans retenue, est-elle loin de participer de quelque fatalité que ce soit.
Ce paltoquet d’Anders Fogh Rasmussen est-il de plus crétin ou fait-il exprès de ne pas comprendre que même les esclaves finissent par se révolter devant les abus et les excès de leurs maîtres ? La volée de bois vert que lui servit à Kaboul un Hamid Karzaï blême de colère semble avoir eu sur lui le même effet que celui de la correction d’un maître sur un cancre. Le lendemain même, l’oubliant ou faisant fi de l’avertissement, il s’adressa aux Libyens, de la Roumanie où l’avaient amené d’obscures raisons de stratégie « anti-soviétique » attardée, pour les « assurer que les puissances de l’OTAN étaient unies pour les aider à bâtir leur propre avenir ». Il n’avait pas compris que le valet de George W.Bush avait brisé ses chaînes et s’était laissé emporter parce que gagné par l’exaspération d’un peuple afghan las des frappes aériennes qui, depuis 10 ans, détruisent ses maisons et massacrent ses enfants. Les quelque 2000 victimes « collatérales » de la guerre contre les talibans avait fait déborder la coupe et il n’avait pu faire à moins de refuser les excuses de circonstance hypocrites et pitoyables et rappeler sur un ton ne laissant aucun doute sur le fond de sa pensée et la réalité de ses sentiments que « si l’OTAN ne cesse pas ses raids aériens contre des maisons, elle sera considérée comme une force d’occupation, présente contre la volonté du peuple afghan » et d’ajouter sans détours : « l’Histoire de l’Afghanistan a montré comment les Afghans s’occupent des forces d’occupation ». L’irritation du président afghan, au pouvoir - faut-il le rappeler ! - depuis 2002 grâce au soutien américain, aurait dû lui donner à réfléchir avant de s’engager à lancer son appel pathétique aux Libyens et se demander si les bombardements criminels, dont il porte la responsabilité en premier chef, auxquels ils sont soumis et qui ont déjà tué 718 et blessé 4067 des leurs (il ne s’agit ici que des victimes civiles), ne le désignent pas à leurs yeux, lui et les coalisés de l’OTAN, plutôt comme une réelle et sombre menace sur leur présent et sur leur avenir. L’occupant, présent dans leur ciel, ne frappe-t-il pas à leur porte, menaçant de les envahir ? Ce sentiment est répandu chez la majorité des quelque six millions de Libyens qui ne se reconnaissent pas dans le CNT, auquel ils imputent à juste raison la calamité qui s’est abattue sur leur pays. Car les raids aériens quotidiens, loin de les protéger comme le soutiennent obstinément des gouvernants et des médias occidentaux avec une perfidie à glacer le sang et qui offense et révolte la raison, ont eu des conséquences catastrophiques sur leur vie. En plus de la douleur et de la cruauté des morts et des blessés, ils font les comptes des dégâts et des ravages causés par chaque bombe et chaque missile qui détruit là un ministère, ici une école, plus loin une usine, voire un immeuble d’habitation, un marché ou un hôpital. Le réseau de télécommunications a été particulièrement ciblé, dans l’intention de désorganiser les transmissions de l’armée, avec le résultat de paralyser tous les services de la vie quotidienne, n’épargnant ni les banques, ni les commissariats de police, ni les pompiers, ni les postes et ni même les hôpitaux et les urgences médicales…
Leur vie a basculé
En vérité, leur vie a basculé dès que leur pays fut atteint par les 118 tomahawks américains. Et les vrombissements des avions dans leurs cieux et les explosions des bombes dans leurs villes eurent un impact terrifiant. En peu de jours, la Libye, pays florissant, en pleine prospérité et dans une expansion économique que reflète une balance commerciale en actif de 27 milliards de dollars, allait être balayée par le souffle des tornades maléfiques d’esprits malsains qui ont obscurci l’horizon libyen en chantant la liberté et la démocratie comme des antiennes pour mieux imposer les lois de la ploutocratie. La peur s’est instaurée, qui a immédiatement chassé des centaines de familles libyennes de leurs foyers, des milliers de techniciens et opérateurs européens et chinois des grandes compagnies pétrolières et autres multinationales qui ont dû quitter précipitamment le pays, entraînant une paralysie de différents secteurs de l’activité. Du coup quelque 800.000 immigrés d’origine nord-africaine ou sub-saharienne, soit plus de la moitié de ceux qui y vivaient en faisant tourner l’économie jusqu’en mars dernier, ont perdu leur emploi et sont devenus pour la plupart des « réfugiés » accueillis dans des camps de fortune en Tunisie ou en Égypte. Plusieurs dizaines de milliers ont tenté de gagner l’Europe en traversant la mer au risque de leur vie sur des esquifs et 1200 ont péri noyés dans les flots. Benghazi, fief du CNT, (sauvée d’un génocide annoncé selon la fable inventée par Bernard Henri Lévy et répercutée par la grande caisse de résonance de la propagande occidentale) a subi le contrecoup de sa révolte qui a entraîné la fuite des immigrés - provoquée aussi, faut-il le rappeler, par des exactions racistes contre les noirs, débridées depuis la révolte et comportant aussi des supplices de toute sorte qui ont été dénoncés par des réfugiés à des ONG, lesquelles les ont catalogués comme crimes contre l’humanité -. La ville n’a plus d’éboueurs et vit dans une atmosphère de décomposition caractérisée par l’amoncellement et la puanteur âcre d’ordures entassées dans des recoins en monticules fumants. Les chantiers sont à l’abandon ; un grand nombre d’échoppes et de commerces ont fermé ; quant aux boulangeries, dont les fournils ont été abandonnés par les ouvriers maliens ou soudanais, elles peinent à répondre à la faim d’une population désormais condamnée à stocker le pain. Les habitants de Benghazi voulaient-ils en arriver là ? Rien n’est moins sûr. En vérité, pour donner une réponse objective à cette question, il faudrait pouvoir répondre à celle que pose leur niveau d’implication dans la « révolution » des transfuges du régime qui ont choisi de jouer le rôle de marionnettes entre les mains d’envahisseurs à l’appétit insolent et qui, en vérité, les méprisent du mépris réservé aux traîtres autant qu’ils aspirent à abattre le Cerbère du pétrole libyen. Il est de toute façon évident qu’ils sont devenus otages des membres du CNT et d’une situation que ces derniers n’avaient pas prévue, parce que persuadés que l’intervention de leurs protecteurs occidentaux allait leur livrer le pays en deux vols de Rafale et trois tirs de Tomahawk.
Leur pays n’était pas en faillite
Tous les Libyens, de Tripoli à Tobrouk en passant par Syrte et Benghazi, se demandent dans quel désastre est en train de plonger leur pays et d’où vient ce malheur qui les frappe d’une façon si soudaine. Contrairement à leurs voisins, ils n’étaient confrontés à aucune crise. Leur pays n’était pas en état de faillite, comme la Grèce ou le Portugal, ni même les puissances qui le bombardent, et réduit à tendre la main à la Banque mondiale ou au FMI. Chez eux, point de chômage, pas de misère ni de pénuries de denrées alimentaires. Les prêts bancaires sont exemptés d’intérêts et assortis de délais de remboursement à long terme étudiés de sorte à éviter l’anxiété et la douleur des échéances. Quant aux jeunes ménages, ils reçoivent une aide financière de 60.000 dinars (soit 50.000 dollars) au moment de leur mariage. Ces pratiques sont possibles grâce à la bonne santé financière du pays qui jouit d’une réserve d’or de 144 tonnes déposée à la Banque centrale de Tripoli et de réserves monétaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars et d’euros déposés en différents instituts bancaires occidentaux. Grande partie de ces fonds était destinée à financer la création de trois institutions africaines ayant pour but l’émancipation définitive d’une Afrique restée, en plusieurs de ses contrées, aliénée dans ses droits par la prédominance des ex-puissances coloniales qui continuent, un demi-siècle après la décolonisation, à exercer leur ingérence et leur arbitraire dans la conduite de leurs affaires. Ainsi, la Libye de Kadhafi a lancé trois projets financiers de grande portée porteurs d’une réelle révolution pour le continent le plus riche en matières premières, le moins peuplé, et dont les populations sont restées les plus pauvres, parce que les plus exploitées. Afin de mettre un terme à l’exploitation il a donc été décidé, avec le consensus de tous les Africains, de créer une Banque africaine d’investissement à Syrte en Libye, une Banque centrale africaine, avec siège à Abuja au Nigeria et ayant pour mission d’émettre une monnaie africaine en remplacement du Franc CFA, et enfin le Fond monétaire africain, ayant son siège à Yaoundé et un capital de 42 milliards de dollars et qui doit, selon Jean-Paul Pougala*« remplacer en tout et pour tout sur le sol africain les activités du FMI ». La Libye de Kadhafi, c’est aussi pour ses habitants et même tous ceux du continent africain une réelle révolution au niveau des télécommunications puisque depuis le 26 décembre 2007 ils ont accès à la téléphonie à bas coût grâce au premier satellite africain financé aux trois quarts par le Guide qui a avancé 300 millions de dollars pour sa réalisation.
Une terrible injustice
En ce moment crucial de leur histoire, marqué par la terrible injustice mise en acte par ceux qui ont voulu décider pour eux de s’écarter de la voie du dialogue et d’inventer un prétexte pour se lancer dans une guerre vouée à détruire leur pays, les Libyens de Benghazi sont en train de se demander, à l’instar de leurs compatriotes de Tripoli et du reste du pays, quelles sont les réelles motivations de ce CNT qui, de toute évidence, n’agit pas dans leur intérêt. Et les visites que leur ont rendues des personnages tels que le sénateur américain John McCain, le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini, ou le Secrétaire au Foreign Office de Grande-Bretagne, William Hague, leur ramènent à l’esprit la réalité que vécurent les plus anciens du temps du roi Idriss 1er, chef de la confrérie des Sanoussi et émir de Cyrénaïque. Eux se souviennent que depuis l’indépendance survenue en 1951 jusqu’au renversement du régime féodal par les officiers libres guidés par Mouammar Kadhafi en 1969, leur pays était de fait resté sous le contrôle de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis qui y maintenaient plusieurs bases militaires, comme l’immense complexe de Wheelus Field installé par les Américains non loin de Tripoli, tandis que ses immenses gisements de pétrole, découverts entre 1956 et 1959, notamment à Zilten, étaient exploités par la Libyen American Oil et Esso Standard Libya au seul profit de ces compagnies et dans les mépris total du peuple libyen qui ne comptait alors pas plus de deux millions et demi d’âmes et était frappé par différents fléaux tels que pauvreté, mortalité infantile et autres problèmes de santé, analphabétisme, etc. auxquels nulle attention n’était accordée par un roi potiche vivant des royalties dérisoires perçues en contrepartie du pillage des richesses de son pays. Aujourd’hui, tous les Libyens savent, comme le savent aussi les leaders et les médias des puissances appliquées à les terroriser avec leurs avions et leurs missiles, que depuis 1970 leurs richesses minérales ont été mises à profit par leurs gouvernants pour transformer radicalement leur vie par la construction de toutes sortes d’infrastructures inexistantes avant cette date, telles que les ports et les aéroports, les raffineries, le réseau routier asphalté de 4.700 km, ou encore la Grande Rivière artificielle qui permet l’exploitation du gigantesque aquifère nubien et qui alimente depuis 1991 les zones côtières du pays, y compris Benghazi, en eau potable à raison de trois millions de m3 par jour, sans compter la médecine gratuite pour tous avec des hôpitaux des mieux équipés au monde, des universités passées de 2 à 9 entre 1975 et 2004, ou les 84 instituts de formation de hauts techniciens. Et tout le monde sait que l’enseignement est obligatoire, sans distinction de sexe, jusqu’à l’âge de 16 ans, qu’il est totalement gratuit à tous les niveaux et qu’il est fréquenté par 1.700.000 citoyens dont 270.000 étudiants en majorité de sexe féminin. Et les femmes ne sont pas seulement favorisées et encouragées dans les études, elles sont garanties dans leurs droits et la loi n’autorise pas leur mariage avant l’âge de vingt ans ! contrairement à ce qui passe dans le monde arabe ou en différentes contrées d’Afrique où, même en Égypte elles sont victimes en grand nombre de la pratique cruelle et barbare de l’excision.
Une sorte de Pierre le Grand
Rappeler ces données n’est pas inspiré par une quelconque intention de développer une propagande apologétique en faveur de Kadhafi, dont seul le peuple libyen est habilité à juger l’œuvre et à se prononcer pour dire s’il est un effroyable dictateur sanguinaire comme l’affirme la propagande de l’OTAN, ou s’il est à l’origine d’œuvres humanitaires bénéfiques en faveur des africains ainsi que le clament des voix provenant de tous les coins du continent. Il s’agit en fait de rompre le mur de la désinformation et de la propagande mensongère en rappelant toutes ces réalisations cardinales déjà largement divulguées par nombre de cites Internet, dont Wikipédia où elles sont accompagnées de cette appréciation : « Le 15 février 2011, un rapport du FMI, résumé par son directeur, loue la bonne gestion par le colonel Kadhafi, l’encourage à « continuer d’améliorer l’économie », mentionnant son ambitieux agenda de réformes ». Tout ceci revient à dire que quand il s’adresse aux Libyens pour leur promettre un avenir meilleur Anders Fogh Rasmussen voudrait prendre le genre humain pour une catégorie d’imbéciles. Et la réaction des Libyens a d’ailleurs été immédiate : Quoique les médias occidentaux ne cessent de titrer depuis deux mois « Le régime se fissure » ou « De plus en plus isolé » en enregistrant à la manière d’un baromètre le nombre de défections sans craindre d’annoncer le faux, ils ont serré les rangs autour du Guide, galvanisés par les « frappes » qui devaient les décourager et laisser les vautours venir les dévorer. Mais quel peuple pourrait accepter de voir transformer son pays en champs de ruine ? Est-ce là l’avenir promis par Barack Obama qui a trahi le rêve de Martin Luther King ? Ou celui dont parle Nicolas Sarkozy qui a terni l’image de la France que De Gaulle avait si merveilleusement fixée dans une idée de grandeur ? Ou bien de celui que n’évoque pas David Cameron fidèle comme tous ses semblables passés à une Perfide Albion à jamais égale à elle-même ? Ou encore celui d’un Franco Frattini, qui n’a rien à offrir même à l’Italie, parce que tout comme ses prédécesseurs, depuis Antonio Salandra, il a besoin de s’inviter à la table des Grands pour avoir l’impression de ne pas leur laisser écrire l’histoire tous seuls ? Considérant la question un certain écrivain s’est demandé comment ces personnages n’ont pas pu comprendre que si les Libyens avaient eu l’intention de se débarrasser de Kadhafi, ils auraient envahi toutes les places du pays et fait comme les Tunisiens et les Égyptiens, sans demander à quiconque de venir les aider et sans recourir aux armes. Il en conclut qu’il faut être crétin ou criminel pour cacher derrière une intervention humanitaire et la protection des innocents son intention d’abattre un homme qui a déjà une place dans l’Histoire, qu’eux n’occuperont pas, et que d’aucuns considèrent, pour ce qu’il a fait pour son pays, comme une sorte de Pierre le Grand ; aussi le nomment-ils tout simplement sans hésitation ni un soupçon de grandiloquence « Kadhafi l’Africain ».
Mokhtar Sakhri
Paris, 8 juin 2011
* Jean-Paul POUGALA est écrivain d’origine camerounaise, Directeur de l’Institut d’études géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève.
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