Crise de confiance : Une France s’inquiète, une autre s’amuse
On retiendra 2008 comme une année agitée, marquée « officiellement » par une crise financière, annonçant une crise économique pour 2009. Mais le trait dominant, c’est la crise de confiance présente parmi les citoyens. C’est sans doute le fait le plus marquant de cette année 2008

En fait, 2008 ressemble peut-être à 1938. Mais la crise économique est assez éloignée de celle de 1929. Attention donc aux comparaisons. Les structures productives et financières ont remarquablement évolué depuis 70 ans. Mais le psychisme de l’homme est resté sensiblement le même, bien que sur le plan « rationnel » des idées, des normes, comportements et culture, il ait changé avec son époque. Mais ce n’est pas parce que la forme des comportements évolue que l’homme grandit en son âme. Si bien que les phénomènes d’anxiété, angoisse, fébrilité, sont tout aussi répandus, suscités par des causes distinctes. En 1938, l’agitation politique sur fond de marasme économique et de guerre civile, était la principale cause d’inquiétude. La menace de l’Allemagne nazie n’était éprouvée que par une minorité d’individus. Par on se sait quel mécanisme de défense, certaines informations devant susciter l’inquiétude sont filtrées, alors que d’autres pénètrent comme les rayons de soleil dans une véranda.
La conjoncture de 2008 ne devrait pas inquiéter la petite majorité de Français dotés d’une stabilité professionnelle, ni les retraités ayant convenablement cotisé. Par contre, de sérieux problèmes atteignent des catégories sociales fragiles. Intérimaires, travailleurs subissant les licenciements, temps partiels contraints, et bien évidemment, tous les chômeurs inscrits à l’ANPE, qu’ils soient pourvu d’une expérience professionnelles ou bien entrant sur le marché du travail. Ce sont d’ailleurs les jeunes qui sont le plus touchés, diversement, selon leur diplôme. Un sortant de l’X ou même de l’IUT pourra s’insérer. Mais pour un licencié en lettres modernes, mieux vaut être un Fangio du scooter, ça permettra au moins de livrer des pizzas. Les plus de 50 ans auront aussi bien des difficultés. Peu à peu, la pertinence de la notion de classe sociale s’estompe. Car les individus ne sont plus déterminés par un type de profession conservé pendant une vie professionnelle. Excepté les fonctionnaires. Il vaudrait mieux évoquer les catégories sociales, très diversifiées, des dizaines en vérité. Et plus généralement, penser à une fracture, tiens donc, on l’a copieusement oubliée, celle-là, tant déclinée par notre ex Chirac pendant la campagne de 1995.
En fait, la situation actuelle se fait sentir cruellement, plus que la récession de 1993, parce que la société est depuis fragilisée par une crise sociale qu’on a entretenu, ou du moins qu’on n’a pas voulu traiter, pour servir la croissance et les progrès, infimes ou sensibles, des classes moyennes et supérieures. Du coup, une large catégorie (diversifiée) a servi de variable d’ajustement. Et parmi la petite moitié des Français non protégés par la profession, l’inquiétude règne parce que la probabilité de faire partie du train de délestage pour ajustement, augmente en temps de récession. Conclusion. Il y a de quoi s’inquiéter. Et pour les autres, tout dépend. Les parents, selon le début de parcours de leurs progénitures, ont des raisons de s’inquiéter. Quant aux autres, la seule crainte serait d’imaginer l’impensable, que le système s’effondre. Mais ce n’est pas le cas. Le danger, ce serait la crise sociale, l’insurrection, et la police veille. Une boutade circule à Détroit. Les employés de l’automobile seront recyclés. Sur dix travailleurs, un va devenir agent de sécurité, un autre policier et le troisième gardien de prison, ce qui permettra de coffrer et surveiller les sept autres qui iront en taule. Non, ce n’est pas drôle !
Nous sommes donc dans une configuration sociale et politique assez contrastée mais marquée par des anxiétés. En un mot, crise de confiance. Certes, l’agitation de Sarkozy, de New York à Bruxelles, de Douai à Trifouilli-les-oies, a pu laisser accroire à une emprise de la volonté politique sur la crise. Mais le plan de relance n’a pour objectif principal que de faire remonter les voyants économiques d’un pouce. Afficher ne serait-ce qu’un dixième de point de croissance pendant une année et c’est gagné. Madame Lagarde, notre Elisabeth Teissier incarnée en pythie des astres économiques, pourra claironner que la France n’est plus en récession. Les Français seront rassurés, ils consommeront un point de plus et tout ce monde sera protégé de la big dépression. Et pour les déclassés, moins de loisir, de bouffe dans l’assiette, et les mécontents sauront rencontrer la police. Mais le principal danger, et les conseillers de Sarkozy ont su lui murmurer à l’oreille, c’est la jeunesse. Qui ne l’oublions pas, dispose de milliers de QG de crise, lycées ou facs. Les coordinations lycéenne appliquent le service maximum d’accueil pour les contestataires. Par ailleurs, Sarkozy est bien informé des rumeurs sur le mécontentement de la jeunesse européenne, grâce aux informations divulguées par ses homologues Berlusconi et Zapatero. Les jeunes ont le sang chaud dans ces pays du Sud, mais en France, ils sont les premiers au thermomètre de la déprime.
Autant dire que la confiance se délite peu à peu, depuis des années, certes, avec cette année 2008 la crise financière et la peur de la récession. Cette configuration n’amène pas un krach économique mais un marasme social hypothéquant l’avenir. Y a-t-il une menace cachée en 2008 comme en 1938 ? Non, pas de craintes vis-à-vis de l’extérieur mais plutôt de l’intérieur. Un durcissement policier ? C’est possible. Quant aux libertés de circulation des informations et de manifester, nous en jouissons encore mais si on regarde chez Poutine, on s’aperçoit que les libertés se rétrécissent. Pas plus tard que la semaine dernière. Des automobilistes mécontents brutalisés (euphémisme) par la police moscovite. La crise chez nous, elle vient aussi d’un manque de confiance dans l’opposition. Le spectacle donné par le PS est navrant. Dray a droit à la présomption d’innocence, bien qu’on imagine qu’après la déception de Reims, son bras soit tombé sur des montres alors que d’autres seraient tombés dans les bras d’une femme. Ségolène Royal se promène comme un ectoplasme dans les marais poitevins un soir de pleine lune, criant aux oies de passage fra-ter-nité. Pour couronner le tout, Benoît Hamon fustige les deux têtes de l’exécutif en partance pour des vacances alors que la menace terroriste plane sur nos magasins. On croyait que ces petites phrases insécuritaires étaient réservées au FN. Un esprit attentionné aux choses politiques ne peut que s’inquiéter de voir une vacance de l’opposition avec un PS décomposé et des formations en ordre de marche pour un cirque médiatique endiablé, de Besancenot à Mélenchon. La confiance, elle repose aussi sur la fidélité des engagements. A voir Kouchner et Besson manger dans la gamelle du pouvoir, on peut se mettre à perdre confiance en l’homme et penser que la société risque de se prendre une sérieuse gamelle d’ici dix ans. Les forces créatives, capables d’inventer, d’entreprendre, de foncer, de participer à une société dynamique, ne peuvent que se désoler. Comme en quarante, chacun essaie de s’en sortir, alors les mieux lotis ont tout pour oublier la crise. Que peut faire un brillant chercheur si ce n’est se barrer ailleurs pour fuir cette ambiance délétère qu’on pressent dans tous les milieux, politique, université, éducation, santé (je n’ai pas évoqué le trou de 20 milliards de la sécu). Et ce ne sont pas les réformes du CNRS et autres plans de relance qui vont redonner le moral aux créatifs et aux forces d’avenir.
2008, c’est comme en 1938, les uns sont inquiets, les autres s’amusent et consomment, beaucoup travaillent et beaucoup chôment. En 2009, il se peut bien que tout se passe sans accroc. Ce qui devrait inquiéter car les ennuis risquent de se dessiner dans une décennie et si la société ne s’occupe pas du changement de civilisation à mettre en œuvre, c’est l’Histoire qui risque de s’occuper d’elle.
(illustration, JJ Royo)
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