« Crise » des Gilets Jaunes - Propositions n° 2 et 3
La première proposition que j'ai formulée est, je la rappelle, de "traiter les citoyens comme des adultes en mettant fin sans délai à la méthode de punition-récompense" (voir précedent article) car cette méthode infantilise les gens et ne les incite guère à se sentir responsables. La deuxième proposition est une déclinaison logique ou variante de la première : il s'agit de rejeter le mode de relation professeurs-élèves ou sachants-ignorants. La troisième proposition vient couronner les deux premières, à savoir, qu'une fois les deux premières conditions réunies (les individus enfin est traité en citoyens responsables et non comme des enfants ni comme des ignorants), il convient d'amplifier la démocratie.
Partons de l'hypothèse que les deux premières conditions sont à peu près respectées. Les citoyens co gèrent le pays, il existe une sorte de cohabitation de la démocratie représentative et des élites avec le peuple. Le peuple fait preuve de responsabilité en participant à des débats, en s'informant, en s'instruisant. Même dans ce cas de figure, le fonctionnement optimal de la démocratie n'est pas assuré. D'où la réflexion qui suit.
La démocratie n'est pas un modèle fini
Churchill a résumé dans une pensée ce que l'on peut exprimer le mieux en matière de définition de la démocratie : “La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes”. Cette pensée est devenue une forme de précepte reconnu par tous. Cette unanimité nous autorise à en tirer une déduction logique : si la démocratie est perfectible, cela signifie que son fonctionnement ne saurait être décrit de façon exhaustive dans un ensemble de textes. La démocratie, à l'inverse des religions, n'est pas enfermée dans des textes sacrés, ni gravée dans le marbre. Certes, il existe un certain nombre de textes qui la fondent : la constitution notamment. Mais toutes les règles de la démocratie ne sont pas écrites puisqu'elle est toujours perfectible, tel un corps vivant qui change et passe par plusieurs états d'évolution (ou de régression).
La démocratie pure
La démocratie "pure" s'entend comme démocratie détachée de toute idée de régime politique et de notion d'état de Droit, qui ne sont que les outils complémentaires mais distincts de la démocratie elle-même.
Trop souvent, la confusion est entretenue en France, par le Pouvoir, entre la démocratie et le régime choisi - à savoir la république - voire entre la démocratie et l'état de droit. Nombre de politiciens de mauvaise foi défendent par-dessus tout leur camp, leurs principes ou leurs intérêts en invoquant la légitimité républicaine pour mieux étouffer la voix démocratique. Les partisans de l'ordre ajoutent à cet amalgame la confusion entre l'état de droit et la démocratie : puisque la majorité des citoyens défend l'état de Droit, se disent-ils, alors appliquer avec la plus grande rigueur l'état de droit est faire preuve d'un grand sens de la démocratie.
Ce sont là deux écueils qu'il nous faut dénoncer. La démocratie est au-dessus du type de régime, puisqu'il existe des démocraties monarchiques en Europe et ailleurs et des républiques dictatoriales. La démocratie est aussi au-dessus de ce que l'on nomme l'état de Droit, qui n'est qu'un ensemble de règles qui ne fait que découler du modèle démocratique et du régime choisi pour mettre en oeuvre cette démocratie.
Efficience de la démocratie : les légitimités à concilier
Sont ainsi posés les principes premiers suivants :
- la démocratie n'est pas une modèle fini ni parfait. Toutes les modalités de sa mise en oeuvre ne sont pas écrites et l'appel au Peuple est incontournable pour la perfectionner ou l'adapter aux événements d'ampleur. Cela est d'autant plus vrai dans notre système dit de "monarchie républicaine". Car, qui dit "monarque" dit multitude de courtisans et de valets qui vont entretenir la pensée et l'action du Prince dans le sens voulu par celui-ci. C'est alors tout un système qui se met au service d'une personne seule. Dans ce cas de figure, la nécessité de contrepoids est encore plus indispensable que dans un régime de nature parlementaire.
- la démocratie trône au sommet de la pyramide aussi constituée de la république (le régime) et de l'état de Droit. La démoratie étant le sommet, c'est elle qui doit toujours avoir le dernier mot.
Cela admis, il reste à s'interroger sur la meilleure façon de reconnaître les différentes légitimités qui coexistent pour permettre la meilleure cohésion possible entre elles, la justice et l'équité. Mais aussi pour anticiper les colères et les traiter.
Les types de légimités en présence
- Il y a la légimité de l'individu : elle consiste dans le principe sacré de dignité humaine pour chacun qui a le droit, non seulement de s'exprimer, mais de trouver une place dans la société au sein de la quelle il se sent utie et reconnu.
- Il y a la légitimité des acteurs économiques et institutionnels qui assurent la marche du pays, créent la richesse ou la redistribuent en partie. A côté des entreprises, communautés territoriales, associations (etc) qui font vivre le pays et le gère, les corps intermédiaires jouent un rôle non négligeable et c'est une faute de les exclure.
- Il y a enfin la légitimité étatique (et européenne). C'est elle qui interdit ou punit, redistribue, protège, etc. C'est aussi elle qui fixe les règles du jeu démocratique et citoyen.
Comme on le voit, cela fait trois grandes catégories, comme les trois tiers de l'Ancien Régime. Or, comme du temps de la monarchie française, on constate que l'un de ces groupes trouve peu à s'exprimer. Ses membres manquent gravement de visibilité. La légitimité des acteurs sociaux-économiques trouve aisément à s'épanouir dans son domaine. Si l'Etat peine à faire respecter de plus en plus sa légitimité (pour le dire vite : à cause de la mondialisation et de l'Europe), il arrive néanmoins souvent à prendre des décisions très importantes qui ont des conséquences sur la vie des citoyens. En matière fiscale, des exemples récents le démontrent.
Quid de la légitimité de l'individu et du citoyen ? C'est la plus étouffée. Elle ne respire pas ! Chacun se souvient de la formule de Sieyès à propos du Tiers-Etat qui est tout mais qui en réalité n'est rien. Aujourd'hui encore, la formule fonctionne et ce n'est pas le Président qui me contredira lui qui a parlé de "ceux qui ne sont rien" à propos des gens qui ne réussissent pas.
Les types de colère
J'ai déjà eu l'occasion de dire que la sagesse est du côté du Peuple quand il s'anime de façon spontanée d'une saine colère. L'appel à garder une attitude raisonnable qui vient du Pouvoir est alors dérisoire et illégitime. Le combat entre la sagesse et le discours raisonnable doit pencher du côté de la sagesse. Cela ne veut pas dire que toute colère est légitime et qu'elle doit être récompensée ni que seule la colère est légitime.
Je distinguerai trois formes de colère :
- la colère de réparation : la personne offensée, blessée dans sa dignité, se venge pour recouvrer sa dignité perdue. Les facteurs déclenchants sont souvent le mépris et l'humiliation. Cette forme de colère est légitime mais toutes ses formes de manifestation ne le sont pas (la loi du talion, par exemple, est une modalité d'expression à exclure).
- la colère de revendication : nous sommes ici en présence d'un désir qui se heurte à une violente frustration. Cette colère n'est pas toujours légitime. Combien de fois le père ou la mère de l'enfant n'a-t-il pas recours à l'autorité ou à l'explication pour refuser ou repousser le désir de l'enfant ? La colère de revendication peut être légitime quand il s'agit de réclamer des moyens supplémentaires pour des besoins manifestement croissants, ou pour s'adapter à l'évolution du monde, des droits renforcés.
Par exemple, dans notre monde très connecté, il est normal que les citoyens qui s'intéressent à la vie de la Cité, demandent à participer au débat national, je veux parler du débat permanent, pas d'un débat temporaire destiné surtout à remettre la machine en marche (la machine de la gouvernance). Il y a là une évolution dont il faut tenir compte au lieu de persévérer à renouveler le schéma de décision en toute verticalité.
- la colère destructrice : cette forme de colère est uniquement délétère. Elle conduit à des suicides, au vandalisme aveugle, à la violence sur des personnes. Elle doit être traitée aussi mais pas comme une colère qui serait légitime.
A noter : il ne faudrait surtout pas croire que les gouvernants et l'Etat sont exempts de colère. Il leur arrive aussi de se fâcher de façon excessive voire de se venger sur le peuple. Nul n'est épargné par la colère.
En conclusion, pour que la démocratie s'amplifie et fonctionne à plein, le citoyen doit être respecté en tant que tel (comme adulte et détenteur d'un certain savoir), les équilibres entre les trois grandes formes de légitimité doivent être poursuivis avec constance et neutralité, enfin les demandes légitimes doivent être entendues et prises en compte, ainsi que les colères (sous réserve que cette colère soit légitime et que les moyens d'y donner satisfaction existent).
A l'ére du savoir partagé et de la surinformation, la sagesse populaire (collective) et l'expression individuelle doivent être parties prenantes du jeu démocratique. A cette fin, on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion approfondie et largement partagée sur la façon d'introduire des dispositifs de participation et de démocratie directe dans notre modèle démocratique et républicain actuel, vieux de soixante ans.
La participation n'est pas le seul facteur de renforcement du modèle démocratique, la justice est un autre levier important. La justice s'entend au sens premier mais aussi comme une meilleure régulation des chances et des fruits des efforts produits.
Des leviers et un clavier !
Il y a des leviers à actionner. Il faut aussi un clavier pour mettre ce rêve en musique !
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