Crise du semi-conducteur
À l'heure où l'on nous promet un avenir vert et technologique. Les événements récents ont permis de mettre en exergue certaines failles de l'industrie électronique. D'autres tendent même à interroger la soutenabilité d'une telle production.
D'avance, je souhaite m'excuser auprès de mes amis non-techniciens pour la courte introduction quelque peu abrupte qui va suivre. Mais il paraît essentiel d'exposer certains faits techniques afin de pouvoir bien appréhender la suite.
Ils sont partout, dans nos téléphones, nos ordinateurs, mais aussi dans les frigos, micro-ondes et aspirateurs. Il y en a des centaines dans les voitures et on en trouve même dans certaines ampoules. Certains l'auront deviné, je parle ici de cartes électroniques, mais plus particulièrement de semi-conducteurs, ou circuits intégrés. Ceux-ci sont des puces, des composants électroniques, plus ou moins complexes ayant des applications diverses.
Certains sont spécialisés dans la gestion de batteries, d'autres stockent des données binaires, d'autres gèrent le wifi, l'usb et même les processeurs tombent dans cette catégorie. Malgré leur diversité, ces composants ont un dénominateur commun, ce sont en réalité des cartes électroniques que l'on a miniaturisées dans des puces de quelques mm carré dans un souci d'économie d'espace.
Ces "cartes" que l'on trouve à l’intérieur des semi-conducteurs sont appelées wafer. Un wafer est trivialement une plaque de silicium dont on grave ses composants à l'aide d'UV.
Si un semi-conducteur est très complexe, qu'il nécessite beaucoup de composants mais que l'on souhaite conserver un encombrement limité, il va nous falloir jouer sur la taille des composants du wafer. Nous appelons ça la finesse de gravure, et au-delà de la contrainte d'espace, la miniaturisation des composants permet d'augmenter la vitesse de fonctionnement et de diminuer la consommation électrique.
Aujourd'hui, nous savons graver à 5 nanomètre (pour rappel, un brin d'adn = 2 nm, le virus du covid = de 20 à 200 nm ). Vous l'imaginez très certainement, graver à de telle dimension requiert des machines, des investissements et des process qui dépassent l'entendement. Par exemple, il n'existe qu'une seule société capable de produire les machines qui font de telles gravures, il s'agit des néerlandais ASML. Et seulement deux sociétés ont acquis leurs machines qui permettent la gravure à 5nm ( TSMC et Samsung ). 5nm reprèsente la pointe de la technologie. Il y a évidemment des process plus anciens mais toujours utilisés, allant de 7nm à plusieurs centaines de nanomètres pour des technologies vieilles de plus de 20 ans.
Maintenant que les bases techniques ont été posées, nous pouvons nous intéresser au vif du sujet, à savoir, comment arrivons nous à ce que l'on qualifie de crise du semi-conducteur ?
Il paraît pertinent d'aborder la crise dans un ordre chronologique, à commencer par le contexte pré-covid de cette industrie atypique.
Comme je l'ai laissé entendre en introduction, nous assistons à une surenchère du techno-capitalisme, ajoutant intelligence et complexité à chaque bien de consommation qui pourrait s'y prêter. Prenons l'exemple des écouteurs devenus sans fil. Là où un simple câble suffisait, il nous faut maintenant : un récepteur Bluetooth, un convertisseur numérique-analogique, un amplificateur, une batterie et enfin une puce qui gère la batterie. Sachant que cette circuiterie est nécessaire pour chaque écouteur. Les exemples de sur-technologies font foison. Il paraît salutaire de questionner la pertinence de ces initiatives. Particulièrement si il s'agit là de l'avenir vert et technologique que l'on nous promet, nous voyons l'aspect technologique, mais pas vraiment le côté vert..
Tous ces biens de consommation ordinaire maintenant truffés de technologies rendent donc les fabricants de ces biens dépendant aux "fabricants" de semi-conducteurs ( les guillemets sont importants ).
Pour citer les plus connus, nous trouvons Qualcomm, STMicroelectronics, Renesas, NXP, Texas Instrument et bien d'autres.
Étant donné la lourdeur des investissements nécessaires à l'établissement d'un "fab" ou "foundry" (les usines qui grave les wafers). La plupart des fabricants de semi-conducteurs sont en fait des concepteurs qui lèguent la production à des sociétés spécialisées. Les laissant eux même dépendant aux graveurs de wafers ou fondeurs.
Parmi ces fondeurs, il y en a un immanquable, le Taïwanais TSMC, un mastodonte de l'industrie qui représente 50% du marché du semi-conducteur, suivi de loin par Samsung (20%) et d'autres rendus quasiment négligeables du fait de l'hégémonie Taïwanaise. Nous noterons toutefois l’existence de SMIC, le graveur chinois, qui à défaut d'être le plus en pointe ou prolifique va revêtir une importance géopolitique non négligeable dans la description des événements à suivre. Ces événements feront de TSMC et SMIC, le centre de tensions géopolitiques sur fond de guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. La guerre économique sino-américaine a rompu un accord tacite, qui était : des technologies, contre de la main-d’œuvre corvéable et peu chère.
Trump et l'intelligence américaine, craignant de perdre l'hégémonie technologique, se crispant sur la 5G, se lancent dans une guerre commerciale contre la Chine. Le grand public entendra principalement parler de Huawei, avec, entre autres l'interdiction pour ces derniers d'utiliser les services Google. Ce conflit atteint un niveau rocambolesque lorsque la directrice finnancier - mais aussi soeur du dirigeant - de huaweï est arrêtée au Canada à la demande des Etats-Unis. Ce qui entraînera en représailles l'arrestation de 2 ressortissants Canadiens en Chine. Derrière ces frasques se prend une décision qui va largement remettre en question le " technologies contre main d’œuvre". La mise sur liste noire de SMIC et l'utilisation de l'extra territorialité pour tenter d'empêcher les entreprises chinoises de commercer avec TSMC. Les entreprises occidentales sont donc largement incitées à abandonner SMIC au profit de TSMC, intensifiant ainsi la dominance de TSMC. Une autre manière de considérer ce dernier constat serait de dire qu'à cause de cette décision, encore plus de sociétés sont maintenant dépendantes de TSMC et du bon fonctionnement de ses usines.
C'est à peu près dans le même temps que le covid devient une crise mondiale.
Les usines automobile à l’arrêt pour des questions sanitaires, et, les logiques de flux tendus les rendant incapables de gérer du stock. Les constructeurs auto ( grands consommateurs de semi-conducteurs ) décommandent en panique les semi-conducteurs à produire. Couplé à une demande exceptionnelle en biens informatiques du fait du télétravail, les lignes de production sont redirigées pour absorber la demande.
Les constructeurs auto ayant failli à prédire la courte reprise de l'été 2020, se trouvent contraints à laisser leurs usines fermées, faute de semi-conducteur. La réorganisation d'une ligne de production de semi-conducteurs pouvant prendre plusieurs mois. Les constructeurs auto auront loupé le coche de cette première accalmie. Un exemple traumatisant pour les industries électroniques.
Ce traumatisme explique les comportements que l'on observe depuis début 2021. Déterminés à ne pas connaître le même sort que les constructeurs auto, nous assistons à une vague de "panic buying". Un comportement que l'on pourrait comparer à l'engouement que l'on a connu pour le papier toilette lors du premier confinement. Chacun cherche à faire du stock pour rattraper le ralentissement et se prévenir d'une future pénurie. Ils créent justement la pénurie par ce type de comportement.
Et nous assistons à une situation sans précédent, là où un composant coûtait 2€ pièce et disponible en très grande quantité ( des dizaines voire centaines de milliers ), aujourd'hui il faut débourser 60€ pièce pour une disponibilité réduite à quelques centaines voire milliers d'unités. La situation est rendue encore plus apocalyptique de par les délais d'usines annoncés, là où autrefois ces délais étaient de 8 semaines pour les best-sellers, nous tablons plutôt aujourd'hui sur du 52 semaines ou plus (1 an). Les rares stocks étant préemptés par les multinationales ou autres grandes entreprises, nombre de sociétés plus modestes se trouvent en famine, une famine annoncée pour durer longtemps (certains parlent de 2023). La situation est telle que certains redessinent leurs systèmes pour y mettre des puces ayant une meilleure disponibilité. D'autres ne rechignent pas à accepter des contrefaçons fonctionnelles.
Et malgré une relative accalmie de la crise du Covid, nous connaissons toujours des perturbations de la chaîne de production. En cause, des évènements tout aussi incontrôlables qu'une pandémie mondiale. Début 2021, une violente tempête de neige met à mal le réseau électrique Texan. La production de semi-conducteurs étant énergivore, Samsung est contraint de mettre à l’arrêt son usine texane pour une semaine. Cela pourrait paraître relativement anodin ; cependant, cette coupure dans la production signifie des pertes colossales. Les semi-conducteurs sont produits par lots de plusieurs dizaines de milliers au cours de process durant 2 à 3 mois, et, une coupure électrique, même si prévue et contrôlée, signifie la mort des lots en cours de production. Car la production nécessite un environnement strictement contrôlé ( température, poussières, humidité ..), choses que l'on ne peut assurer sans électricité.
De l’autre côté du globe, à Taïwan, là où siège TSMC, un autre désastre écologique plane sur la production. Cette fois-ci diamétralement opposée à la situation Texane, une grave pénurie d'eau frappe le pays.
Pour une production de 40.000 wafer par mois, il est nécessaire de consommer quotidiennement l'équivalent de la consommation annuelle d'une ville de 60.000 habitants
Cette dernière citation suffit à résumer l'ampleur de la crise ; Taïwan connaît pour la deuxième année consécutive une saison des typhons.. sans typhon. Et alors que le niveau des nappes phréatiques atteint un niveau critique, le gouvernement rationne ses populations et promet de ne pas perturber la production de semi-conducteurs. TSMC fait venir de l'eau en camion depuis le sud du pays pour assurer la production. Les pressions internationales sont telles qu'il était difficile pour les gouvernants de privilégier la population sur la production électronique. Car au-delà des biens de consommation grand public, l’armement moderne est aussi rendu dépendant de ces puces. Mais nous admettrons que la crispation est d'abord d'ordre économique.
Enfin, vérifiant la loi de Murphy, un incendie frappe une usine de renesas au Japon ( un gros producteur de semi-conducteur à destination de l'industrie automobile). Un incendie tout à fait accidentel s'est déclaré à cause d'une surcharge dans le réseau électrique.
Et nous atteignons le nœud du problème, cette industrie est trop peu résiliente, trop gourmande en ressource. Il est raisonnable de craindre pour la soutenabilité de cette industrie si l'on voit le changement climatique s'aggraver. Aussi la hausse soutenue de la demande en semi-conducteurs, et la raréfaction des acteurs capables d'en produire suffisent à interroger la santé de cette industrie.
Comprenant l'aspect vital de cette industrie pour leur économies ; les dirigeants occidentaux annoncent chacun la création de fab sur leur territoire afin de sécuriser l’approvisionnement en semi-conducteurs.
D'une part les américains investissent 52 Mds$, l'Union européenne se montre ambitieuse en allouant 160Mds$ dans la production de semi-conducteurs. Français et Allemands semblent se mettre d'accord pour financer une usine Intel en Allemagne. Encore une fois les français loupent le coche avec STMicroelectronic, le champion français du semi-conducteur. Malgré son retard sur les dernières technologies, cette usine aurait pu être l'occasion de combler le retard.
Avant tout, nous devons interroger la pertinence de ces relocalisations. Nous baignons déjà dans un monde hyper-connecté, augmenter la production dans de telles proportions nous pousse à nous demander ce que nous allons faire de toutes ces nouvelles puces ? Que nous apportent-elles vraiment ? Les confinements ont su rappeler aux citadins l’intérêt et les bienfaits de la campagne. Cette crise est aussi l'occasion d'interroger notre mode de consommation et notre rapport aux technologies. Cette crise semble démontrer la fragilité de cette industrie, et, par extension, du techno-capitalisme. Enfin, il paraît assez illusoire d'espérer un avenir vert et hyper-technologique tellement les deux sont incompatibles. Particulièrement au vue des probables catastrophes qui pourrait nous attendre.
sources
Taïwan sécheresse :
- https://technoguide.fr/2021/03/18/tsmc-signe-un-accord-pour-plus-de-100-camions-citernes-alors-que-la-secheresse-a-taiwan-devrait-saggraver/
- https://www.reuters.com/article/us-taiwan-drought-semiconductors-idUSKBN2AO0G3
tempête au texas :
- https://www.eetimes.com/chipmakers-halt-production-in-texas-after-power-outages/
- https://eu.statesman.com/story/business/2021/03/12/nxp-could-lose-100-million-due-weather-shutdown-austin-plants/4664621001/
- https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-02-17/texas-power-failure-shuts-chip-factories-squeezes-tight-supply
chaîne en tension :
- https://www.businessinsider.fr/us/chip-shortage-car-companies-automakers-61-billion-loss-2021-1
- https://edition.cnn.com/2021/01/11/tech/ford-plant-shutdown-computer-chip-shortage/index.html
- https://www.gamesradar.com/ps5-and-xbox-series-x-shortage-explained-why-its-so-hard-to-find-a-console/
guerre économique sino-americaine :
- https://www.reuters.com/article/taiwan-tech-idUSKCN26F0JS
- https://techwireasia.com/2020/09/the-us-could-ban-chinas-biggest-chipmaker-next/
- https://www.reuters.com/article/us-china-canada-trial-idUSKBN2B400Q
consommation d'eau fabrication wafers :
- https://www.sustainalytics.com/esg-blog/world-water-day-water-use-semiconductor-industry/
- https://www.chinawaterrisk.org/resources/analysis-reviews/8-things-you-should-know-about-water-and-semiconductors/
- https://spectrum.ieee.org/podcast/semiconductors/design/semicondutor-manufacturing-plants-can-use-as-much-water-as-a-small-city
partage du marché des wafers :
- https://www.counterpointresearch.com/mega-wave-capex-cycle-logic-semiconductor-industry/
d'autres articles :
- https://www.eetimes.com/coronavirus-tests-techs-supply-chain-resilience/
- https://www.eetimes.com/electronics-supply-chains-splitting-between-china-and-u-s/
- https://www.eetimes.com/supply-chain-poised-for-coronavirus-disruption/
- https://www.eetimes.com/lessons-learned-covid-19-impact-on-the-dod-supply-chain/
- https://www.bloomberg.com/graphics/2021-semiconductors-chips-shortage/
- https://www.cnbc.com/2021/03/16/2-charts-show-how-much-the-world-depends-on-taiwan-for-semiconductors.html
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