Crise grecque : faillite des gouvernements européens
Grexit or not Grexit ? On voit mal les gouvernements prendre le risque d'effriter leur souveraineté monétaire en créant un dangereux précédent. Cependant le référendum de Tsipras - uniquement destiné à mettre la pression sur ses créanciers - peut laisser entrevoir le risque d'une sortie de la République hellénique de la zone euro en fonction de l'humeur des dirigeants européens. Toutes ces gesticulations ne font que révéler l'échec cuisant des gouvernements dans l'administration du système financier européen.
Tutelle fédérale ou inter-gouvernementale, aucune différence
La Grèce est en situation de tutelle. C'est une conséquence logique de l'intégration budgétaire voulue par les gouvernements. La mise en place du mécanisme européen de stabilité (MES), malicieusement présenté comme un outil de solidarité, a accru la mutualisation des risques financiers gouvernementaux et donc la responsabilité des États vis-à-vis de leurs pairs. Évidemment, on aurait aimé un degré équivalent de responsabilité vis-à-vis des contribuables. Mais ce n'est visiblement pas pour tout de suite. Il est donc ridicule de présenter les tensions diplomatiques actuelles comme la conséquence d'un défaut d'intégration politique. C'est tout le contraire.
Certes, cette intégration budgétaire n'a rien de proprement fédéral ou supranational. C'est du pur inter-gouvernementalisme. Il n'y a qu'à lire les statuts du mécanisme européen de stabilité pour comprendre que ces technocrates, qu'ils soient issus de la BCE, de la Commission européenne ou du fonds monétaire international, sont tous à la botte des gouvernements nationaux, contrairement à ce que laissent entendre les postures quelque peu démagogiques de ceux qui dissimulent leur soif de pouvoir derrière un soi-disant patriotisme.
Mais il ne faut pas se mentir. Une intégration de type fédérale n'aurait absolument rien changé. Nous aurions assisté à des rapports de force plus ou moins similaires. Certains objecteront peut-être qu'un exécutif fédéral serait soumis à un contrôle parlementaire transnational contrairement aux institutions diplomatiques. Et effectivement, des diplomates soumis à la somme des contrôles parlementaires nationaux n'équivalent pas à un exécutif transnational soumis à contrôle parlementaire du même type. Mais là encore, si les Parlements étaient des contre-pouvoirs efficaces pour contrôler les gouvernements, ça se saurait depuis longtemps.
Les tutelles américaines fonctionnent selon les mêmes principes
Mais si l'on est réellement curieux et que l'on souhaite savoir comment se déroulent les tutelles non intergouvernementales, il n'y a qu'à regarder comment les choses se passent outre-Atlantique. Le cas le plus récent de faillite municipale aux États-Unis est celui de Détroit. Il a été largement médiatisé en raison du passé de la localité. Il est donc intéressant de voir quelles ont été les mesures appliquées dans cette ville par le gouvernement du Michigan. Sans surprise, les pouvoirs de l'administrateur financier nommés par l'État sont surréalistes. Celui-ci est capable d'aliéner des biens municipaux, de modifier les salaires et les pensions de retraite des agents publics ou encore de modifier les conventions collectives avec les syndicats. Rien de très différent de ce que fait la Troïka finalement, à la différence près que son pouvoir sur la Grèce est un pouvoir de fait et non de droit.
Mais si les bureaucraties européennes ne font rien d'autre que ce qui est fait aux États-Unis, on peut se poser la question de la robustesse du système européen. Après tout, contrairement au système américain, il ne cesse de faire l'objet de remise en question. Mais tout cela ne suffit pas à dire que le fédéralisme financier américain est plus robuste que l'inter-gouvernementalisme financier européen. Le premier est tout aussi pourri et malsain que le second. De la même manière, on pourrait aisément comparer l'autorité intergouvernementale vis-à-vis de la Grèce à l'autorité que l'État français exerce sur ses collectivités territoriales en faillite dont l'autonomie budgétaire et fiscale équivaut à celle d'un enfant en bas-âge (n'allez-donc pas voter aux prochaines élections régionales, cela ne sert strictement à rien).
Simplement, ces institutions (autorités américaines et françaises) bénéficient toutes de l'idéologie nationaliste pour légitimer leur domination sur leurs populations respectives, et ce, peu importe les dégâts qu'elles leur infligent. Les institutions internationales, elles, ont une légitimité moins irrationnelle, plus utilitariste. Donc forcément, lorsqu'elles échouent, on pardonne moins. Et ce n'est pas plus mal. Mais il faut encore une fois garder à l'esprit qu'elles n'ont aucune autonomie par rapport aux gouvernements nationaux qui, eux, étrangement, ne voient pas leur existence remise en question quand ces institutions demeurent les principales causes des déboires des populations.
La crise de la dette et la solidarité envers les banquiers
Le problème de la gestion de la crise de la dette ne réside donc pas dans son caractère inter-gouvernemental ou supranational. Le premier problème tient à ce que cette crise n'est d'une part qu'une escroquerie établie de toute pièce par les corporations politiques et financières. La seconde considération tient à ce que les instances politiques n'ont jamais voulu véritablement la résoudre. Toutes les actions gouvernementales n'ont servi qu'un seul but : la déresponsabilisation de l'industrie financière au détriment des populations. Il n'est pas compliqué de voir que les seuls gagnants quelque soit le scénario financier sont ici les banques et les politiciens tandis que les perdants seront les citoyens.
Tout d'abord, il faut remarquer que les banquiers et les politiciens sont les grands bénéficiaires du système monétaire et financier actuel et de la crise de la dette. Le système des réserves fractionnaires couplé au monopole de la création monétaire permet de facto aux banquiers de créer de l'argent ex-nihilo et de percevoir des intérêts, autrement dit se rémunérer sur du faux-monnayage. Les banques se font de l'argent facile sans être financièrement responsables puisqu'elles bénéficient du soutien des États en cas de problème et les politiciens peuvent continuer à entretenir leurs clientélismes tout en appauvrissant discrètement la population par la création monétaire et par une fiscalité toujours plus lourde pour rembourser les "emprunts" contractés auprès des banques.
Ensuite les banques ont réussi une fois de plus avec l'aide des États à socialiser de force les risques qu'elles ont pris. En effet l'écrasante majorité des transferts budgétaires opérés par les gouvernements européens au profit de l'État grec ont servi à rembourser les banques, ce qui n'est qu'un moyen de déplacer le risque financier des établissements bancaires vers le contribuable. Le rôle du fond monétaire international et du mécanisme européen de stabilité a donc in fine constitué un outil de solidarité au profit de banquiers une fois de plus déresponsabilisés par le recours aux contribuables sans que ces derniers aient leur mot à dire. Un cas classique de capitalisme de connivence en somme.
Vient dans un troisième temps la Banque centrale européenne qui se met à intervenir sur les marchés via des programmes de quantitative easing pour racheter des obligations d'État aux banques exposées à des créances douteuses tout en alimentant délibérément une bulle. Bien évidemment, le fait que ces opérations ont commencé lorsque la perspective d'un défaut de paiement est devenue plus plausible n'est qu'une pure coïncidence ! Notons enfin que le mécanisme européen de stabilité avait à la base justement été proposé par la Banque centrale européenne elle-même pour permettre aux gouvernements d'intervenir sur les marchés via la politique budgétaire et non par la création monétaire. Peut-être ce changement d'avis est-il survenu en raison du fait que la politique budgétaire reste pour les États beaucoup trop transparente et contraignante que la création monétaire.
Une thérapie de choc pour rien
Avec toutes ces mesures prises, on est en droit de se demander si les gouvernements européens ont permis à l'État grec de combattre le capitalisme de connivence qui lui était jusque là consubstantiel. Mais lorsqu'on regarde l'état de la politique de privatisation qui a été menée par ceux-ci et que parmi ses bénéficiaires se trouve la nomenklatura économique que l'on connait parfaitement (EDF, SNCF, Vinci, Crédit agricole, BNP Paribas & Cie) il y a lieu de penser que nos politiciens se sont surtout contentés de donner une petite part du gâteau aux copains, comme cela se fait toujours.
On ne peut donc que constater que l'ouverture à la concurrence de l'économie grecque et l'abolition des clientélismes n'étaient pas les principaux objectifs des créanciers. Rien de plus normal. Après tout les États n'ont aucune raison d'appliquer chez leurs voisins ce qu'ils n'appliquent pas chez eux. Autrement dit, ce n'est pas la France, avec ses multiples professions réglementées, ses industries monopolistiques, ses ordres professionnels hérités de la période de Vichy et son administration pléthorique qui va donner à l'État grec de bonnes leçons de gestion. Elle n'a aucun intérêt à le faire. Mais le fait que les États européens, eux-mêmes mal en point, se permettent de conseiller leurs homologues n'est pas le seul comportement culotté.
Le plus hilarant tient à ce qu'ils sont convaincus d'avoir identifié le principal souci de la bureaucratie hellénique : le défaut de fiscalité. C'est effectivement une idée à la mode. Christine Lagarde l'avait elle-même suggérée très tôt. Ainsi les élites gouvernementales considèrent-elles que le problème d'un État n'est jamais ses corporatismes, mais son incapacité à les financer correctement. C'est pourquoi les gouvernements ont généreusement aidé l'État grec à reconstituer un système fiscal digne de ce nom pour opérer une augmentation des prélèvements obligatoires sur une population suffisamment pauvre pour en réclamer.
Et comme tout cela ne suffit pas, l'État grec, pourtant en faillite, ferme en un claquement de doigt toutes les banques et coupe le robinet financier sauf pour certaines catégories de population qu'il cible avec une acuité déconcertante. Sans doute ces mesures ont-elles été prises pour rejouer le scénario chypriote, qui rappelons-le, était en totale contradiction avec les règles européennes supposées protéger les épargnants. Dans la terminologie moderne, on appelle ça un braquage. Ni plus ni moins.
De quoi se dire que si dictature de la finance il y a, son chef n'est pas toujours celui que l'on croit. On oublie en effet trop souvent que les États ont toujours le dernier mot sur les banques tant que celles-ci utilisent les circuits monétaires façonnés par la bureaucratie. D'où, au passage, la volonté de plusieurs gouvernements de limiter la circulation de l'argent en espèce. La perspective d'un système monétaire monopolistique totalement électronique donnerait en effet au pouvoir politique des dimensions inconnues.
Assainir le système financier européen, c'est le dépolitiser
Cette crise financière aux multiples facettes ainsi que les tensions diplomatiques qui en découlent nous rappellent que les mauvais comptes ne font pas de bons amis et que les États sont les pires gardiens de la paix civile, économique et sociale. Au contraire, il n'est pas compliqué d'imaginer à quoi ressemblerait un système financier sain, c'est-à-dire dépolitisé.
Dans un système idéal, tous les prêteurs en dernier ressort bureaucratiques seraient abolis. Exit le fonds monétaire international, les banques centrales monopolistiques - et les emprunts inter-gouvernementaux qui ne sont que des outils qui permettent aux gouvernements de se soustraire au contrôle des contribuables. Les États ne disposeraient que de deux techniques pour palier à leurs déficits budgétaires. La première serait l'emprunt auprès d'une industrie financière concurrentielle qui ne bénéficierait plus du monopole de la création monétaire et de la garantie d'État. La seconde serait le crowdfunding pour solliciter des particuliers, lesquels pourront choisir de prêter ou de donner afin de financer les services publics.
C'est là une exigence primordiale d'égalité juridique. Il n'y a en effet aucune raison pour que la bureaucratie ait recours aux privilèges pour se financer contrairement aux obligations de n'importe quelle association à but non lucratif digne de ce nom. Dans ce système, parce que ses ressources dépendraient uniquement de la confiance accordée par la société et non plus de privilèges financiers, la bureaucratie serait beaucoup plus responsable quant à la gestion des deniers publics et au rapport qualité/prix des biens produits et des services rendus. Cela tombe bien puisqu'une grande opération de crowdfunding a vu le jour afin de permettre aux volontaires de renflouer l'État grec pour rembourser le FMI, une institution qui tire ses ressources de contribuables internationaux. L'expérience est à la fois intéressante et stupide.
Intéressante dans la mesure où elle permet à la société de se rendre compte que les renflouements publics et la fiscalité ne sont pas les formes les plus saines de transferts d'argent et qu'il n'y a rien que la société civile ne puisse pas faire au moins aussi bien que les gouvernements. Intéressante également puisque la difficulté à atteindre la somme nécessaire pour éponger la dette de l'État grec peut aider à inculquer une certaine culture de la responsabilité financière et remettre en question le système actuel de création et de circulation du crédit qui, encore une fois, n'est qu'un jeu de faux-monnayeurs. Mais c'est également un projet stupide puisque si l'on voulait vraiment faire preuve de solidarité envers les populations en Grèce, nous financerions des projets civils, associatifs et entrepreneuriaux pouvant réellement améliorer le sort des citoyens plutôt que de donner une seconde chance à l'État qui les a acculés.
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