Mais cette guerre qu’il nous convient de livrer aux valeurs partagées par la gauche et la droite, en France et en Europe, guerre à la guerre invisible qui nous est faite, ne doit surtout pas nous faire oublier les guerres extérieures en cours ou en gestation. Ni que l’Europe de Bruxelles est le continent de la guerre quoiqu’en disent les imbéciles et les médias. Car après l’Irak, la Libye et la Syrie, nous voilà maintenant embringués dans une nouvelle guerre froide - tiède aujourd’hui, chaude demain ? - avec la Russie, cela pour avoir voulu contre toute raison historique et géographique, établir un partenariat européen exclusif avec l’Ukraine, marchant ainsi sur les brisées de la Russie. Était-ce ignorance, stupidité ou savant calcul ? Un peu des trois sans doute. Toujours est-il qu’aujourd’hui la tension monte au cœur du réacteur Est/Ouest, créant les conditions d’un éventuel nouveau Tchernobyl, cette fois géopolitique !
Grâce au ciel le vide politique à Kiev, la désorganisation et la démoralisation de l’armée ukrainienne, l’impuissance de l’Europe et du camp atlantiste, lequel n’a rien trouvé de mieux que de priver la Russie de sommet du G8 redevenu pour la circonstance G7, gèlent les risques potentiels et donnent du temps au temps… pour la réflexion et la diplomatie. Maintenant ne nous leurrons pas, des forces existent qui poussent à la confrontation. Les apprentis sorciers qui ont monté la provocation ukrainienne n’entendent certainement pas en rester là. La Russie souveraine fait grincer des dents. De sorte qu’il faut s’employer à la faire rentrer dans le rang de l’ordo ab chao, c’est-à-dire du Grand Marché planétaire, unifié et niveleur… celui du communisme de la consommation, du règne sans partage de la marchandise, du commerce des ventres et des ovocytes, du transsexualisme et du Droit absolu pour les peuples à s’autodétruire avant de finalement se cannibaliser sous le « Soleil vert » de la Bête triomphante 1.
La guerre à petits pas
Ex chef des Services de Renseignement ukrainien, le général Smeshko ne mâche pas ses mots : « Poutine place l’Europe au bord d’une Troisième guerre mondiale » 2 ! N’est-ce pas un peu vite dit ? En tout cas Paris, toujours aussi bien avisé, se propose d’envoyer des avions de combat en Pologne aux abords de la frontière ukrainienne. Le Pentagone avait montré l’exemple en expédiant une douzaine de chasseurs bombardiers F16 et deux Awacs, des forteresses volantes de guerre électronique. « On » voudrait faire monter la tension que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Les catastrophistes de tous poils se seraient donc, apparemment, donnés rendez-vous sur le dossier criméen… pas tout à fait non sans raison. Ainsi, outre le général Smeshko évoquant le spectre « d’une Troisième guerre mondiale », le Secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, le 19 mars à Washington, voyait dans le rattachement de la Crimée à la Russie « un signal d’alarme pour la communauté euratlantique, pour l’Otan et pour tous ceux qui sont engagés dans la défense d’une Europe entière, libre et en paix… Nous avons connu d’autres crises en Europe ces dernières années : les Balkans dans les années 90, la Géorgie en 2008. Mais il s’agit là de la plus grave menace à la sécurité et à la stabilité de l’Europe depuis la fin de la Guerre froide »… Dénonçant du même souffle « l’agression militaire et le viol la souveraineté ukrainienne »… On avait connu l’Otan moins bégueule quand il s’est agit de reconnaître en 1991 le référendum d’autodétermination « illégal » du Kosovo.
Enfin, le secrétaire général de l’Otan avertissait de manière assez dérisoire que « l’Alliance ne reconnaîtrait pas l’annexion illégale et illégitime de la Crimée par la Russie », tout en confessant un peu piteusement qu’« il n’existe pas de moyens rapides et aisées pour tenir tête aux tyrans du monde… Parce que nos démocraties débattent, délibèrent et pèsent les choix avant de prendre des décisions. Parce que la transparence nous est chère et que nous poursuivons des choix légitimes et parce que nous utilisons la force non en priorité mais en dernier ressort » 3, il n’en demeure pas moins que ce sont les gens de Bruxelles qui ont mis le feu aux poudres en aguichant les Ukrainiens, en leur faisant miroiter une manne céleste aujourd’hui disparue, celle qu’ils distribuaient naguère avec largesse aux pays et régions du Sud de l’Europe… Grèce, Portugal, Espagne, Pouilles, Calabre, tous ceux se trouvent à présent le plus dans la panade. Il y a là de la part de du Moloch bruxellois comme une sorte d’escroquerie morale spécifiquement relative à l’Ukraine, qu’il convient sévèrement d’épingler… et qui, nous allons le voir, pourrait avoir des effets en retour, inattendus autant que non désirés.
L’Union européenne épinglée et piégée
D’ailleurs, comment une Europe envasée dans un marasme structurel endémique, pourrait-elle venir utilement au secours de Kiev ? A contrario ce serait faire une injure trop grande aux technocrates que de leur imputer automatiquement, une faute aussi grossière… en un mot, d’avoir grossièrement sous-estimé la capacité du Kremlin à réagir ! Surtout depuis l’annexion manquée en août 2008 de l’Ossétie du Sud par la Géorgie. On ne refait pas deux fois les mêmes erreurs d’appréciation. D’ailleurs les Européens, échaudés à rebours par la « crise du gaz » de l’hiver 2008/2009, ont pris dès cette époque des dispositions pour réduire à la fois leur dépendance vis-à-vis du gaz russe mais également pour palier toute éventuelle rupture d’approvisionnement en modifiant en conséquence les réseaux de gazoducs 4. Deux autres conflits gaziers russo-ukrainiens - en 2005/2006 et en 2007/2008 - avaient précédé l’épisode de 2009, qu’il serait vain d’interpréter ou d’analyser en faisant abstraction du contexte géopolitique régional et de l’attraction exercée par la sphère occidentaliste sur les oligarchies ukrainiennes.
À l’heure actuelle, les dernières infrastructures militaires ukrainiennes de Crimée, terrestres, navales et portuaires, ont été investies par les forces russes au cours de ces deux derniers jours. Ainsi la base aérienne de Belbek proche de Sébastopol a fini par ouvrir ses portes sans casse et à Moscou le ministère de la Défense a pu annoncer que le drapeau russe flottait désormais sur les quelque 190 installations militaires criméennes évacuées par des soldats ukrainiens démoralisés, n’ayant reçu aucun ordre, soit abandonnés de leur capitale. Ce à quoi vient s’ajouter un nouveau fait : le gouvernement autoproclamé de Kief, ayant subi impuissant le raz-de-marée russe sur la Péninsule, commence se ronger les ongles d’angoisse dans la crainte que le scénario criméen ne se répète à l’est et au sud du pays. À Donetsk, capitale économique et industrielle de l’Ukraine, des manifestants prorusses réclamaient ce 22 mars, à l’ombre de la statue de Lénine, l’intégration du Donbass dans une zone de libre échange… non pas avec l’Europe mais avec la Russie 5. Le risque de contagion est donc là et bien là. Les gens de Kiev peuvent se faire du mouron à juste titre… mais également l’Union européenne où là d’anciens régionalismes, dopés par l’exemple de la Crimée, resurgissent là où on ne les attendaient pas vraiment. Des velléités indépendantistes qui pourraient le cas échéant redessiner la géographie politique d’une Europe meurtrie par la crise… crise qui, en « faisant bouger les lignes » - parce qu’il n’y a pas de décomposition sans restructuration - pourrait par contrecoup s’avérer rénovatrice.
Vers un détramage accéléré de l’Europe ?
Commençons par Venise - eh oui ! – qui organisait ce 20 mars, non pas une votation au suffrage universel, mais une « consultation » via cet outil de démocratie directe - encore sous-utilisé – qu’est la Toile. Inutile de chercher dans les grands médias, nul n’en aura soufflé mot sauf, peut-être à la rubrique des chiens écrasés ! « Le 12 mai 1797, le Grand Conseil de la République de Venise se rend au général Bonaparte dont les troupes occupent les rives de la lagune. La Sérénissime République âgée de plus de mille ans, cesse alors d’exister. Mais avant de revenir à l’Italie en 1866, Venise sera autrichienne » 6. Or le référendum en ligne posait cette unique question : « Souhaitez-vous que la Vénétie devienne une république souveraine, indépendante et fédérale ? ». Clos à 18 heures ce sont 1,3 million d’électeurs de Vénétie, soit 35% des inscrits 7, qui se prononçaient en faveur de l’émancipation de l’ancienne cité État. Une tendance lourde que les politiques romains, à l’instar de ceux de Kiev, devront avoir présente à l’esprit dans les années qui viennent
Cela pourrait sembler folklorique, mais ce ne l’est pas du tout car il s’agit d’un signe parmi d’autres de décomposition des États nations créés à la fin du XIXe siècle et de recomposition organique, sur d’autres bases, d’une nouvelle Europe. Nous nous bornerons à ce stade de constater le phénomène, nous gardant bien de porter un quelconque jugement quant à son caractère positif ou négatif. Sous nos yeux, nous voyons ce défaire ce qui au fond a pu être construit artificiellement par le concours des circonstances… et souvent par la force.
De la même façon l’accord d’Édimbourg passé le 15 octobre 2012 entre le Premier ministre David Cameron et l’Écossais Alex Salmon, détermine les conditions d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse [5,2 millions d’âmes] prévu pour le 18 septembre de cette année. Jusqu’à ce jour l’Écosse était une des quatre nations constitutives du Royaume-Uni, et ce, depuis l’acte d’Union de 1707. M. Salmond prévoit qu’une Écosse indépendante disposerait de sa propre défense, rejoindrait l’Ue et l’Otan tout en conservant la reine comme monarque et la livre sterling pour monnaie. Ah mais ! Depuis deux décennies, un tiers environ des électeurs écossais se déclarent prêts à voter pour l’émancipation. Ceci sans perdre de vue que ce référendum sera/serait en principe « consultatif ». Si bien que dans l’hypothèse où il recueillerait une majorité de suffrages, il ne devrait pas susciter de conséquence politique immédiate. Reste que, même si les sondages montrent la grande persistance d’un vote majoritairement hostile à la séparation, la conjoncture actuelle gonfle indéniablement les voiles des nefs indépendantistes à travers l’Europe.
Plusieurs autres « régions » en Europe connaissent des accès récurrents de fièvres indépendantistes plus moins aiguës… telle la Catalogne - rattachée à l’Espagne depuis 1714, peuplée de 7,2 millions d’habitants, l’une des 17 régions autonomes d’Espagne - qui prévoit de la même manière, le 9 novembre 2014 une votation sachant que, selon un sondage récent 48,5% des personnes interrogées se déclarent faveur de l’indépendance. En Flandre, la Nouvelle alliance flamande relaie les vœux de 6,3 millions de Flamands las de subventionner – disent-ils ! - les 4,5 millions de Wallons francophones… Nouvelle Alliance qui souhaite remplacer l’État fédéral belge par une confédération, première étape vers une complète indépendance d’un futur État flamingant ! Nous ne nous attarderons pas sur le séparatisme basque, bien connu et documenté qui, au cours de quarante années de violence et d’actions terroristes, est réputé avoir été responsable de la mort de 829 personnes 8.
Notons que la libération de la Crimée aura été de ce point de vue comparativement, et avec une légitimité moins contestable, d’un coût humain beaucoup moins grand. Nous ne reparlons pas du Kosovo dont la séparation de la Fédération yougoslave s’est effectuée avec la bénédiction de l’Union maëstrichtienne et sous les bombes de l’Otan 9. Des bombes propres il va s’en dire, pour des frappes chirurgicales.
Dernière épine, la Transnistrie
Au final, dans la crise ukrainienne, on ne sait plus très bien à quel saint se vouer. Distinguer ceux qui ont intérêt à surdimensionner la menace russe – contre laquelle nous sommes bien obligés de nous défendre n’est-ce pas ? – de ceux qui voudraient sincèrement résoudre la quadrature du cercle, revenir en arrière et annuler les trois mois d’happening sanglant du Maïdan. Bref, les premiers nous annoncent à présent l’intention imminente de l’Ours Micha d’avaler tout cru la Transnistrie… et pourquoi pas la Moldavie tout entière ? D’autres encore, emportés par leur élan, commencent à évoquer « la menace qui pèserait sur les pays Balte ».
La Transnistrie – bande de terre, à la marge des mondes latin et slave, abritant 550 000 individus dont un tiers russophone - est un micro-non-État coincé entre la Moldavie, l’Ukraine et la Roumanie. Avec le soutien de Moscou, la région a fait sécession à l’issue d’une brève confrontation armée en 1992… mais son indépendance n’a été reconnue par aucun pays. La Moldavie de son côté s’est engagée sur la voie d’un accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne, ce que refuse la Transnistrie. Le président du Parlement de la région a par conséquent officiellement demandé ce 18 mars, par l’entremise de Mikhaïl Bourla, président du Soviet suprême [Parlement] de Transnistrie, au président de la Douma russe, Sergueï Narychkine, d’entamer des démarches pour un rattachement à la Russie 10. On peut librement imaginer que cette épineuse nouvelle question, devrait permettre à Moscou de faire pression sur ses interlocuteurs bruxellois pour conserver la Moldavie, au contraire de l’Ukraine, dans sa sphère d’influence. D’autant que la Moldavie pays dépend économiquement de la Russie à 90% pour ses approvisionnements énergétiques et à 40% de ses exportations. La situation transnitréenne possède à l’évidence des similarités troublantes avec celle de la Crimée, les enjeux géostratégiques en moins. Aussi le risque existe-t-il indéniablement – mais ce n’est pour l’instant encre qu’un « risque » - de voir se répéter avec ce micro territoire le scénario criméen… surtout si les Commissionnaires de Bruxelles font la mauvaise tête 11 et persévèrent dans une attitude singulièrement contreproductive – parce que vaine, Moscou ne cédera pas - à l’égard des autorités russes.
Errare et perseverare
Le commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR], l’Américain Philip Breedlove, joue à ce sujet un drôle de jeu. Celui qui consiste à mettre de l’huile sur le feu. Le 23 mars, il mettait en garde la communauté internationale contre une possible intervention militaire russe en Transnistrie…« Les forces russes qui sont à la frontière de l’Ukraine en ce moment sont très, très importantes et très, très prêtes… Ce qui est inquiétant d’un point de vue militaire, c’est que les Russes ont utilisé toute une série d’exercices militaires pour nous « conditionner »… [Or actuellement] Il y a absolument suffisamment de troupes russes positionnées à l’Est de l’Ukraine pour qu’elles se précipitent en Transnistrie si une telle décision devait être prise à Moscou », a-t-il prévenu, en estimant tout cela « très inquiétant » » 12. Particulièrement en effet si l’objectif du président Poutine est celle que les européistes lui prêtent, à savoir « rétablir les frontières de feu l’Union soviétique » !
… « Je pense que nous devons penser à nos alliés, au positionnement de nos forces dans l’alliance et le niveau d’alerte de ces forces, afin que nous soyons là pour nous défendre, si nécessaire, en particulier dans la région de la Baltique et ailleurs » a conclu sobrement le représentant étoilé de l’Empire thalassocratique. Ce qui donne le ton quant à la nature et au potentiel de nuisance de la crise actuelle.
Notes