• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Critique de la pensée positive

Critique de la pensée positive

Depuis quelques années, la pensée positive est un des courants majeurs du développement personnel. Tandis que les morales traditionnelles plaçaient le devoir au centre de l’existence, la pensée positive se focalise sur le bonheur que chaque individu est apte à générer dans sa propre vie. Pourtant, la sagesse des siècles passés est peut-être plus fiable que certaines théories qui se veulent révolutionnaires. Il suffit de se projeter sérieusement dans l’alternative entre bonheur (et donc hétéronomie) et devoir (et donc autonomie) pour se faire une bonne idée des enjeux.

« J’ai fait de grands efforts, de vains efforts, pour m’éprendre de Gérard de Nerval », écrivait jadis André Gide. Et moi, je pourrais dire : « J’ai fait de grands efforts, de vains efforts, pour m’éprendre de la pensée positive. » Je lis en ce moment un livre intitulé The Happiness Advantage, de Shawn Achor (traduit en français sous le titre Comment devenir un optimiste contagieux). On y apprend que ce n’est pas le succès qui procure le bonheur, mais le bonheur qui procure le succès ; que, d’après toutes les études, le cerveau fonctionne beaucoup mieux lorsqu’il se trouve dans un état de satisfaction ; que c’est notre état d’esprit qui conditionne notre interprétation du monde, et qui détermine le succès ou l’échec de nos démarches ; que nous pouvons tous changer nos habitudes mentales à chaque instant ; que plus les gens ont une vie sociale développée, plus ils réussissent, etc., etc. Combien de fois ai-je déjà lu tout ceci ? Et pourtant, une voix au fond de moi persiste à soutenir que le but de l’existence, ce n’est pas le bonheur, c’est autre chose, quelque chose de bien plus inconditionnel que le bonheur : c’est la maîtrise de soi.


 Le problème du bonheur, c’est qu’il se situe encore au niveau de la sensibilité, des circonstances, et donc de l’aliénation. Placer la finalité de l’existence dans le bonheur, c’est s’en remettre à des châteaux de sable, c’est tomber dans ce que Kant appelait l’« hétéronomie ». Il me vient à l’esprit l’image d’individus qui ont rejeté le bonheur tangible, qui ont détourné leurs regards de toutes les possibilités tellement vantées par la pensée positive, qui ont fait reposer tout l’équilibre de leur existence sur un principe unique, sur un point d’appui immobile, inébranlable, immatériel, et qui ont traversé plusieurs décennies de cette vie si chaotique grâce à cette discipline empreinte de pessimisme et de résignation. Je pense à ces petites vieilles que je voyais tous les dimanches sur les bancs de l’église au fin fond de la Pologne ; je pense à ces musulmans des premiers temps de l’Islam qui ont surmonté tous les obstacles et conquis la moitié du monde connu en se reposant sur un seul livre, le Coran, et en professant un seul credo : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète » ; je pense à Épictète, à « ce que son œil a de fermé, de prudent, de réservé lorsqu’il lui arrive de se tourner vers le monde extérieur » (Nietzsche), à Épictète qui s’est détourné de l’univers entier pour posséder une seule chose : une volonté libre. Je pense à tous ceux qui baissent la tête, qui restent insensibles aux chatoiements de la vie, et qui tracent humblement et obstinément leur sillon. Je pense à tous ces êtres obtus et butés de tous les temps et de tous les pays, à ces paysans, à ces ouvriers, à ces matelots, et je me dis que ce n’est pas la pensée positive ou la transformation perpétuelle de soi-même qui répondent le mieux à la nature de l’existence, mais la fidélité indéfectible à sa propre posture.


Moyenne des avis sur cet article :  3.91/5   (11 votes)




Réagissez à l'article

6 réactions à cet article    


  • Gollum Gollum 4 décembre 2012 10:32

    Bonjour. Oui, la mode est au développement personnel présenté souvent comme étant de la vie spirituelle..


    Le but de ce genre de « philosophie » est de promouvoir le confort psychologique et psychique, prolongement du confort matériel. Il s’agit de façon claire de matérialisme spirituel..

    Ça a la couleur et l’odeur du spirituel mais ce n’est pas du spirituel.

    Ce genre de discours va généralement de pair avec des stages de découvertes d’une semaine ou deux, bien rémunérés..

    Le vrai but de la vie n’est pas le confort psychique mais la joie qui se dégage automatiquement quand on rejette tout le reste (ce qui demande une vie entière..) et que l’on comprend alors que l’on n’a besoin de rien pour être. Et jouir de cet être. Et ce chemin peut-être au contraire très long et douloureux tellement il s’accompagne de remises en cause..

    Le but de la vie c’est finalement de vivre sans but.

    • Laconique Laconique 4 décembre 2012 13:12

      Vous avez raison Gollum, tout ceci repose sur une vision très matérialiste de l’existence, et la première chose que ces gourous américains promettent dans leurs bouquins et leurs vidéos, c’est une substantielle augmentation de salaire ! Tout ceci est bien entendu très loin d’une authentique démarche spirituelle, et s’accorde mal avec notre tradition philosophique qui place le bonheur dans l’indépendance à l’égard des données matérielles...

      Pour ce qui est du but de la vie, c’est difficile à définir, chacun doit trouver le sien en fin de compte.


    • voxagora voxagora 4 décembre 2012 12:39

      « pensée positive / développement personnel / focalisation sur / aptitude à générer .. »

      on est niveau du moi conscient de l’homme qui croit pouvoir « gérer » comme il le décide

      sa vie, son corps, sa pensée.

      " morales traditionnelles / devoir / sagesse / alternative entre bonheur et devoir / idée ..

      c’est là une toute autre dimension.


      • gaijin gaijin 4 décembre 2012 13:40

         « le but de l’ existence ......... »
        pour commencer ou diantre avez vous vu que l’ existence avait un but ?

        bien sur si vous limitez la pensée positive a un hédonisme béat et inconsistant ainsi qu’a la recherche de satisfaction immédiate des besoins je ne peut que comprendre et partager votre position

        mais ce n’est pas cela dont il est question
         la pensée positive c’est aussi apprendre a apprécier les petites choses de la vie au lieu de se focaliser sur tout ce qui selon nous ne va pas
        c’est ne pas reculer devant une tache en se disant « foutu d’avance »
        c’est s’endormir le soir satisfait de la journée accomplie au lieu de se focaliser sur toutes les merdes potentielles qui nous attendent le lendemain ......

        bref tellement de choses
         vous croyez qu’il faisait quoi diogène dans son tonneau ? qu’il méditait sur la misère du monde ou qu’il se prélassait au soleil ?
        sa réponse a alexandre est très claire a ce sujet non ? smiley

        ( quand aux auteurs de livres sur ce sujet vous avez raison ce sont des escrocs ......
        un peu comme ceux qui expliquent la méthode pour gagner au loto )


        • volt volt 4 décembre 2012 15:15

          Le christianisme s’en tenait à cette formule énigmatique : « là où sera le corps, là seront les vautours » ; il s’agit moins de renoncer au corps que de combattre le corps titanesque des désirs futiles - ce que la tradition explique par l’autre formule « ne pas aimer sa vie jusqu’à la mort ». 

          Une fois mis à l’écart les désirs aliénants, et surtout la colère, c’est l’âme elle-même qui apparaît alors comme supercherie. La joie de la libération qui advient là-dessus se tourne aussitôt en commandement (st paul : soyez toujours dans la joie). 
          Sur ce parcours, le diable est posé comme « maître de ce monde » qui circule selon l’élément aérien et bénéficie du sommeil(s) ; les plus proches (amis, famille) peuvent même y devenir passagèrement de sérieux obstacles actifs, dans lesquels, tous bourreaux qu’ils se fassent, on ne peut s’en tirer qu’en les reconnaissant comme victimes (pardonne-leur ils ne savent pas ce kill fond). 
          Une foi arrivé, un salaire devient un chose très rigolote, et toute éventuelle rentrée d’argent n’est réceptionnée, quelles que soient les urgences, qu’après beaucoup de méfiance, douleurs et hésitations. Il suffit non pas d’être fou, mais de reconnaître comme folies ce qui est présenté comme le plus raisonnable. Et il y a en effet de quoi se faire vite crucifier, le plus dur étant de comprendre, dans la lutte, en quoi justement cette crucifixion est la porte. 
          Après l’aterrissage sur ce sol nouveau, la formule épicurienne du bonheur (un ami + un bout de fromage) devient limpide comme une évidence.
          Enfin, bien sûr le Coran ne raconte rien d’autre.

          • ddacoudre ddacoudre 4 décembre 2012 22:30

            bonjour laconique
            il n’y a pas de bonheur sans souffrance. La souffrance est un indicateur d’existence sans elle nous n’accéderions pas au bonheur, ainsi les marchand de pensé positive ne manqueront pas d’activité.
            Ceci dit réduire les souffrances ou l’entretenir sont des paradoxe que nous vivons car les deux sont inséparable et procède de l’existence un enfant qui grandi souffre parce que ses tissus musculaires se déchirent pour se reconstituer afin qu’il devienne un adulte, ce processus se transpose quasiment tout au long de l’existence avec chacun sa singularité qui ce construit dans celle des autres, il est impossible d’être heureux seul car alors nous serions inexistant. mais cela ne veut pas dire qu’il faut cultiver la souffrance comme certains le font, c’est inutile nous en sommes dépositaires sans effort.

            cordialement.ddacoudre.over-blog.com.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès