Cuba août 2022 : le naufrage continue…
Plus grand chose ne fonctionne à Cuba… les décisions absurdes succèdent aux catastrophes, l’atmosphère s’alourdit de jour en jour, le pays est au bord de la paralysie et de l'explosion.
La récente catastrophe survenue à Matanzas, l’incendie dans le principal dépôt pétrolier du pays, a montré une fois de plus les limites d’un système momifié où les responsabilités sont confiées en fonction de la « fidélité » des candidats plutôt qu’en fonction de leur compétence. Une quinzaine de jeunes pompiers sans formation ni expérience, recrues effectuant leur service militaire, ont été envoyés à la mort avant qu'interviennent des spécialistes venus du Mexique et du Vénézuela.
Le premier des responsables, « le Premier Secrétaire du Parti communiste et Président de la République de Cuba, Miguel Diaz-Canel Bermudez » (chacune de ses nombreuses apparitions au journal télé est précédée de l’intégralité de cette formule) atteint un niveau d’impopularité exceptionnel. Il est devenu la cible numéro 1 de nombreux humoristes (exilés), mais aussi de graffiti qui apparaissent un peu partout dans l’île, ainsi que dans les slogans des manifs de protestation quasi quotidiennes.
Les coupures de courant touchent tout le pays, et plus particulièrement la partie orientale où l’électricité n’est disponible que 6 à 10 heures par jour. Tous les soirs, le journal télévisé informe, les veinards qui ont du courant à 20 heures, sur l’état de chacune des centrales électriques du pays. La grande majorité de ces centrales a été construite par les russes il y a une cinquantaine d’années et le budget de maintenance y a été inexistant ou détourné. Les chiffres officiels indiquent que la capacité de production disponible couvre les 2/3 des besoins du pays.
L’absence d’électricité en été est un handicap majeur dans un pays tropical, surtout quand il y a des moustiques porteurs de virus, sans ventilateur on ne peut les maintenir à distance et dormir devient un exploit. De plus, le peu d’aliments disponibles devient difficile à conserver quand la réfrigération se fait aléatoire. Les cas de dengue se multiplient et les protestations aussi. C’est l’équilibre mental d’une grande partie de la population qui est en train de basculer…
L’un des paradoxes de ce pays qui s’écroule est que jamais il n’y a eu autant d’investissements dans le secteur touristique. On y inaugure régulièrement des hôtels qui restent ensuite inoccupés faute de clients, le groupe Accor a annoncé le mois dernier qu’il quittait le pays pour mettre fin aux pertes générées par ses différents établissements, dont le très luxueux « Prado Y Malecon » mis en service il y a deux ans. A part remplir les poches des « décideurs » cubains qui touchent des commissions sur les chantiers, cette frénésie constructrice ne semble avoir aucune raison d’être.
La semaine dernière, le ministre des finances, Alejandro Gil, un gars capable de faire passer Bruno Lemaire pour un génie, a annoncé une nouvelle disposition : les banques cubaines vont accepter d’acheter des dollars (et autres devises) à un cours un peu inférieur à celui du marché noir…
La pleine absurdité de cette mesure se comprend mieux quand on sait que ces mêmes banques ne vont toujours pas vendre de devises et qu’en même temps les produits de première nécessité sont vendus par l’état dans des magasins où l’on ne peut payer qu’en devises !
Résultat immédiat de cette annonce : l’inflation s’est encore accélérée, stimulée par l’envol du cours des devises au marché noir.
Désemparé, le gouvernement légalise ce qui était interdit hier. Après le tour du dollar, voici que les investissements étrangers sont incités à venir « dynamiser l’économie du pays », sans même l’obligation d’avoir un partenaire cubain majoritaire (annonce du 15/08/22). Mais qui va oser risquer le moindre euro ou dollar dans un pays à l’infrastructure en voie de disparition, au système juridique façon sables mouvants ? Pour ensuite affronter des bureaucrates, des inspecteurs et des contrôleurs corrompus et rejoindre la cohorte des investisseurs étrangers rackettés ou même totalement spoliés…
Le premier sujet de conversation dans l'île est « et maintenant, que va-t-il se passer ? » Les services officiels réduisent leurs horaires d’ouverture en raison des coupures de courant, les difficultés de transport font exploser l’absentéisme, les activités productives ne cessent de se réduire…
Et rien dans les discours officiels ne laisse apparaître un changement de cap, la moindre modification d’orientation qui permettrait d’espérer des améliorations. La communication gouvernementale déploie les grands moyens pour faire croire qu’un immense progrès va être accompli avec la mise place d’un nouveau « code de la famille », qui sera soumis en septembre prochain à un vote populaire dont tout le monde connaît déjà le résultat.
L’expression sur les réseaux sociaux commence à refléter ce que pensent vraiment les citoyens. La peur de s’exprimer à visage découvert pour dire comment la situation est ressentie a quitté de nombreux cubains. Tous les jours, des dizaines de témoignages apparaissent pour raconter le désarroi, la dépression ou le désespoir dont jusqu’ici on ne faisait part que dans un cercle restreint.
Voici la transcription d’une vidéo parue il y a quelques jours. Elle a été mise en ligne par une blogueuse dont les centres d’intérêts habituels sont plutôt tournés vers les touristes « Que visiter à Cuba ? Quels sont les plats préférés des cubains ? Comment louer une maison à la plage ? »
Cette jeune prof d’informatique rompt avec le discours convenu du pays en proie à des difficultés mais qui saura sourire aux étrangers. Elle sort tout ce qu’elle ressent sans les outrances auxquelles conduit souvent le désespoir. Alors, que la perte de l’espoir est bien le thème central de son message. Voici une plongée directe dans ce qui se vit et se ressent aujourd’hui dans le pays.
Cuba fait mal, je n’ai rien d’autre à dire par Clau Tropiezos
Cette vidéo n’était pas du tout prévue, ce n’est pas le genre de vidéo que je fais par plaisir. Mais aujourd’hui, il faut que je parle, parce que je suis sur le point de péter les plombs, même au prix de ce qui peut m’arriver pour chacune de mes paroles.
Je sens que ce pays a ruiné ma jeunesse, la mienne et celle d’une multitude d’autres jeunes. J’ose dire que le jeune cubain ne rêve plus de fonder une famille, d’avoir son logement, de créer son affaire, de visiter son pays, de profiter de vacances méritées…
Tout ce dont on rêve normalement à cet âge là.
Le but principal des jeunes de ce pays, le plus grand et même l’unique rêve d’un jeune cubain, est de quitter l’île, quoi qu’il en coûte, même s’il faut s’éloigner de sa famille, de sa relation amoureuse, de sa famille, de ses amis, de son foyer…
Une fois atteint cet objectif si difficile, il pourra commencer à rêver pour de bon ou commencer à se battre pour aider ceux qui sont restés à venir le rejoindre.
Les jeunes cubains, pour ne pas dire la majorité des cubains, ont perdu ce que l’on perd en dernier : l’espoir.
En ce qui me concerne, je l’ai perdu.
Le cubain ne vit pas, il survit.
Le cubain sourit dans une tentative de se convaincre qu’il vit dans une pièce de théâtre comique, une très bonne pièce, assurément.
Le cubain essaie chaque jour de ne pas perdre cette solidarité qui l’a toujours caractérisé et de ne pas refuser un peu de sel à sa voisine, même s’il t’en manque à toi aussi… ou ces deux mesures de riz que tu as gardées pour finir le mois et pouvoir manger ce soir parce que tu as fait très attention et parce que tu as dû faire une queue interminable pour l’acheter au marché noir… et à un prix abusif. Et c’est peut être pour ça qu’il t’en reste un peu plus qu’à elle.
Le cubain ne travaille pas, il se bat. Le cubain ne se réunit pas chaque année en famille, il dit au revoir à ses connaissances. Parce qu’il y a toujours quelqu’un qui s’en va, quelqu’un qui a réussi. Et même si ton âme souffre de le voir partir, en même temps, tu es heureux de savoir qu’il sera mieux ailleurs… où qu’il aille.
Le cubain ne crie plus « vive le premier mai » mais il crie DPEPDPE (De pinga el pais, de pinga este = quel putain de pays, mais quel putain de pays !).
Le cubain essaie de s’en sortir… et prend des coups, le cubain exige ses droits et il reçoit des coupures de courant et la misère
Le cubain ne travaille pas pour de l’argent, mais en échange d’un bout de papier qui permet à peine d’acheter le mauvais pain de la libreta (carte de rationnement) ou de prendre un bus qui ne passe pas ou arrive déjà terriblement bondé.
Le cubain ne sait plus quoi faire, continuer de rêver, partager… ?
J’en profite pour vous faire part des mots d’une de mes amies et je peux faire mienne chacune de ses phrases.
J’ai la haine parce que par la faute de l’ineptie des dirigeants de ce pays je ne peux faire de projets avec les personnes que j’aime, parce que tant d’autres êtres me manquent, et je ne sais si je les reverrai un jour. J’ai la haine de faire semblant d’être aveugle et d’attribuer ce qui nous arrive à cet embargo imaginaire. J’ai la haine d’avoir à écrire sur cette merde avec la peur de m’attirer des conséquences négatives. J’ai la haine de voir les conditions inhumaines dans lesquelles vivent tant de familles dans mon pays. J’ai la haine de n’avoir ni droit à la parole ni droit de vote.
J’ai la haine de voir qu’ils continuent de se moquer de nous chaque jour un peu plus et de nous traiter comme si nous étions des déchets sans importance.
J’ai la haine de voir les pénuries qu’il y a ici, les logements détruits, les abus de pouvoir, les familles séparées, les songes brisés, les désirs frustrés, de la merde, toujours plus de merde. Combien de temps encore faudra t il le supporter ?
Chaque pas en arrière nous fait perdre un peu plus la raison… et que dire quand arrive une dame qui te demande comme si de rien n’était « il y a quelque chose qui te dérange ? »
J’ai la haine que ma mère apprenne qu’il m’est arrivé quelque chose.
Ce qu'il m’arrive, c’est CUBA. C’est cela qu’il m’arrive.
J’ai la haine de ne rien pouvoir faire pour changer tout ça.
J’ai la haine de me sentir comme ça, parce ça ne changera absolument rien… Je ne vais pas me sentir mieux et cela ne va pas faire revenir la joie dans les familles dont les fils, les frères, les neveux ont été enfermés parce qu’ils avaient essayé de faire quelque chose pour améliorer la situation.
J’ai la haine de ces transports qui ne servent à rien, de la daube qu’on nous balance aux infos, de ce que raconte Confilo (programme télé de propagande qui essaie de faire passer tout message critique pour une intervention de « mercenaires payés par l’empire »).
J’ai la haine que les enfants ne puissent jamais savourer les friandises qu’ils devraient.
J’ai la haine qu’on me dise « ne partage pas ceci, ne diffuse pas cela, ne donne pas ton avis sur ce sujet ou cet autre, pense aux conséquences pour toi et ta famille »
J’ai la haine de savoir que pour tout cela, il n’y a pas de remède.
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