Cuba : pays à vendre
Pain, lait, oeufs, viande, fruits, eau, médicaments, électricité, essence, transports…
La litanie des pénuries à Cuba n’épargne plus aucun produit, plus aucun service.
Les gouvernants et le peuple sont d’accord sur un point : la solution est à l’étranger.
Pour le peuple, l’émigration est quasiment le seul moyen d’améliorer sa situation, l’exode en cours est de loin le plus important jamais connu : plus de 500.000 cubains auraient quitté l’ile depuis la fin de l’épisode covid.
C’est presque 5 % de la population, et bien plus de 10 % si on se limite aux classes d’âge 20/40 ans. Cette évaporation des jeunes, des diplômés et des « non conformes » est encouragée par le gouvernement qui se livre à un calcul absurde : une fois dehors les cubains vont envoyer de l’argent à leur famille et participer ainsi à l’envoi de devises vers le pays.
Cette perspective est démentie par les statistiques d’entrée dans le pays au cours du premier trimestre 2023 : pour la première fois, le contingent de touristes canadiens dépasse celui en provenance des USA. Ces « touristes » US sont en fait des cubains ayant acquis la nationalité états-unienne. Et s’ils sont moins nombreux, c’est parce que beaucoup ont fait quitter le pays à l’ensemble de leur groupe familial. Des plaisanteries sur les réseaux sociaux tournent autour du fait qu’il revient maintenant moins cher de faire venir sa famille aux USA que d’envoyer des subsides dans un pays ravagé par une inflation incontrôlée.
Au cours des derniers mois, la chasse à la dissidence a vu se poursuivre l’application de la doctrine du gouvernement : « el destierro o la carcel » (l’exil ou la prison). Dès qu’un citoyen est repéré pour ses prises de position publiques, ou même pour la mise en ligne de vidéos montrant les difficultés de la vie quotidienne, il est suivi, menacé, arrêté et on lui donne le choix de quitter le pays ou d’y rester pour longtemps dans une résidence carcérale.
La chute de l’économie est confirmée jour après jour. Le cours du peso cubain au marché noir ne cesse de dégringoler face à l’euro et au dollar. Sa valeur a été divisée par 8 en 3 ans et son pouvoir d’achat a sombré face à l’inflation. Les interminables queues de voitures ont disparu de la plupart des stations service… mais c’est en raison de l’absence quasi totale d’approvisionnement. Faute de transport, des productions agricoles locales pourrissent sur pied.
La Havane qui était épargnée par les coupures de courant est maintenant soumise au même régime que les provinces.
Les médias d’état ont de grandes difficultés à maintenir le flot de « bonnes nouvelles » liées aux grandes avancées de la révolution. En cette première quinzaine de juin, marquée par des inondations exceptionnelles dans l’est du pays, les seules bonnes nouvelles concernent la prochaine arrivée dans les ports du pays de pétroliers ou de cargos chargés de blé. Pour citer le journal télévisé : « les prochaines livraisons de blé vont garantir la disponibilité du pain pour les 15 prochains jours ».
Le capitalisme frappe à la porte, et c’est la Russie qui insiste pour le faire entrer
Le gouvernement, fidèle à l’héritage de Fidel Castro, continue de chercher à l’extérieur les moyens de survie du pays. Après avoir vécu des subsides soviétiques de 1962 à 1990, l’économie cubaine s’est effondrée. Ce délabrement économique généralisé, dénommé « période spéciale » par les autorités a pris fin à partir de 1999 avec l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir au Vénézuela, date à partir de laquelle la transfusion des richesses pétrolières a remis Cuba sur pied. Les restes de la présence soviétique se retrouvent dans la présence de nombreux véhicules, camions Kamaz et voitures Lada et Moskwitch, ainsi que dans l'imposant mirador de béton de l'ambassade russe.
La première décennie du 21ème siècle a vu de réels progrès, l’essor du tourisme, l’autorisation de micro entreprises et des ventes d’immobilier ont participé à cette évolution.
Le recul de l’activité touristique, amorcé en 2018, ainsi que la multiplication des sanctions par l’administration Trump avaient marqué le retour à des temps plus difficiles. L’irruption du covid a fait basculer le pays dans une nouvelle phase catastrophique, accélérée par la crise au Vénézuela et une réforme monétaire absurde.
Le retour des tensions internationales et les perspectives de mondialisation des conflits ont rendu de la valeur à l’emplacement géographique de l’île. Le renouveau d’intérêt des russes pour l’île s’est manifesté par de nombreuses rencontres entre dirigeants russes et cubains. Serguei Lavrov était encore à La Havane en avril 2023, le premier ministre cubain Manuel Marrero était au Kremlin ce 14 juin.
De la même manière que l’adhésion à la version stalinienne du marxisme était la contrepartie de l’aide soviétique, le soutien économique de la Russie de 2023 est assorti de conditions. Cette fois ci, c’est l’abandon partiel du « centralisme démocratique » qui est exigé par les russes pour revitaliser l’économie du pays. Le pouvoir cubain est très discret sur la nature exacte de ces concessions, pour l’instant, il se limite à déclarer que des modifications de la constitution sont prévues.
Les exigences russes (difficile de parler de négociation tant Cuba est affaibli) déjà connues et acceptées portent sur la mise à disposition gratuite de terres pour les entreprises russes pour 30 ans ainsi que de la liberté totale d’importer du matériel sans droits de douane et d’exporter les bénéfices réalisés dans le pays. En gros, c’est un pas décisif vers le retour à un statut colonial.
Les entreprises russes déjà homologuées par la Havane sont presque toutes dans le domaine agro alimentaire. Vu la faiblesse des entreprises cubaines en la matière, c’est l’essentiel de ce secteur qui va passer sous contrôle russe. L’obligation de placer des « dirigeants » cubains, qui a ruiné de nombreux investisseurs étrangers dans un passé récent, est oubliée. Poutine semble décidé à éliminer le facteur d’instabilité constitué par l’incapacité du pouvoir cubain à garantir l’alimentation de sa population. Dans un premier temps, la Russie fournit pétrole et blé.
Cuba : une Ukraine à l’envers ?
Prendre le contrôle de Cuba aujourd’hui c’est assumer la reconstruction d’un champ de ruines. Il faut une sérieuse raison pour se lancer dans cette entreprise. On imagine mal que le bien-être du peuple cubain soit la motivation première de Vladimir Poutine. La réactivation de la base de Lourdes (ancienne base soviétique, 73 km2 à côté de La Havane) a démarré en 2014, mais on sait très peu de choses sur ce lieu avant tout destiné à l’écoute et à la surveillance du grand voisin du nord.
Sur cette base on trouverait aussi des équipes chinoises. Mais la présence chinoise reste modeste, le geste principal de ce pays, premier fournisseur de produits manufacturés, a été une remise de 100 millions de dollars sur une dette estimée à plus de 2 milliards. D’autres pays manifestent leur soutien, tels l’Iran, dont le président, Ebrahim Raisi, est en visite officielle à La Havane ce 14 juin.
Il est difficile de ne pas voir dans le sauvetage providentiel du régime cubain par la Russie une situation inverse du rapprochement entre l’Ukraine et l’OTAN.
L’une des craintes des cubains devant ce retour des « bolos » (le surnom des russes en cubain) est de voir les conscrits cubains envoyés sur le front en Ukraine. Aujourd’hui, il y a déjà des cubains au combat dans l’armée russe. Ils sont incités par l’octroi de la nationalité russe à l’issue d’un contrat d’un an, avec un salaire de 30 000 dollars pour l’année, plus des primes. Ce qui représente plus d’un siècle du salaire moyen cubain actuel.
La réaction US, surtout celle des cubains américains, est indignée : alors qu’ils voyaient une fin proche pour le régime cubain, miné par les pénuries, ils s’alarment devant le ballon d’oxygène que représente le renouveau du soutien russe.
La CIA doit sûrement réviser son manuel sur l’organisation des révolutions de couleur, mais l’extrême dureté de la répression lui laisse peu d’espace pour agir. Quant au peuple cubain, englué dans la survie au quotidien et les queues interminables pour s’alimenter, il continue de voir son seul espoir dans une hypothétique émigration.
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