Cultiver la laïcité simple
Je vois deux niveaux de laïcité : d'une part le niveau de laïcité simple ou "de base", d'autre part la laïcité complexe (ou "de second niveau", "organisée", "construite"). Pour le premier niveau de laïcité, j'ai une idée claire que je vais exposer dans cet article. Pour développer et mettre en place la seconde laïcité, il faudrait du temps et de la mobilisation. Par ailleurs, je considère que deux outils fondamentaux sont indispensables à la mise en œuvre de la "laïcité simple" : le contrat social et les chartes de laïcité.
I - Le contrat social de laïcité simple
Mon idée est simple : la laïcité est incluse dans le contrat social républicain. Par conséquent, il n'y a nul besoin de recourir à un texte pour en rappeler l'esprit. La loi de 1905 a organisé la séparation stricte de l'Eglise et de l'Etat et en profité pour énoncer le principe de laïcité.
Quand faut-il un texte pour appliquer le contrat social et quand le contrat républicain suffit-il ?
Telle est la question en gardant en tête le principe de rareté nécessaire des textes en ce domaine. Le contrat social non écrit ou résultant des textes fondamentaux s'applique de lui-même sans qu'il soit nécessaire de le transposer par des règles de droit précises. Du moins, cela vaut de façon générale. Il existe néanmoins deux exceptions :
- quand le fait religieux porte atteinte à l'ordre public : en ce cas, si les mesures prises par les autorités administratives ne suffisent pas, le législateur peut intervenir.
- quand les personnes ne sont pas en capacité de contracter : il en est ainsi des élèves, qui sont mineurs et n'ont donc pas l'âge et le discernement pour conclure un contrat. Ici, le contrat social ne suffit pas et la loi a dû intervenir (interdiction des signes ostensibles en classe).
Le principe qui se déduit est fort simple (deux principes logiques en "si..."alors...) :
- Si il y a liberté alors le contrat social suffit. Il ne faut pas s'imaginer que tout contrat est écrit. La France, pays de Droit écrit, croit souvent à tort que seul l'écrit a de la valeur. Mais les pays anglo-saxons par exemple n'ont pas du tout cette conception de la primauté de l'écrit.
- Si il y a absence de liberté ou liberté réduite alors intervention de la loi.
La liberté se présume y compris pour les femmes qui portent le voile. La femme n'est pas un enfant mineur. Mais, en cas de preuve apportée que cette liberté est défaillante voire même que la femme est soumise à une loi non républicaine l'obligeant à porter le voile, alors la loi est autorisée à intervenir. Le problème en ce cas est de savoir ce que la loi doit prévoir et cela n'est pas facile. Car la loi ne peut en aucun cas prononcer l'interdiction générale d'une liberté dans l'espace public, sans quoi nous changerions de régime politique...
II - Les chartes de laïcité
Outre le respect du contrat social de laïcité tel qu'il résulte de notre tradition républicaine, de notre constitution et de la loi de 1905, des chartes sont nécessaires pour organiser les choses sur le terrain : dans les entreprises, pour les sorties scolaires, notamment.
Ces chartes auraient pour objet de concrétiser le contrat social en prenant en compte les spécificités du terrain.
Les engagements qui sont à la base du contrat social ne suffisent pas. Des engagements réciproques doivent être souscrits afin de rendre vivante la laïcité dite "simple", de la cultiver en quelque sorte. Une laïcité que l'on ne cultive pas serait une laïcité morte.
La charte de laïcité doit se décomposer en trois objets principaux :
- la charte de la démocratie : garantie de la liberté de tout citoyen et toute citoyenne (s'assurer que toute personne agit librement et non par soumission), garantie d'un débat libre et sans contrainte, etc.
- la charte de la paix sociale : garantie de la sécurité pour les citoyens (sécuriser les personnes quels ques que soient leurs choix personnels), garantir leur droit à la parole (c'est-à-dire le droit de s'exprimer par elle-même : trop de personnes - représentant élus ou autres élites - se considèrent à tort comme leurs porte-paroles).
- enfin, la charte de laïcité même : le débat ne peut s'engager sur la laïcité qu'à condition que tout débatteur renonce - sur ce point- à promouvoir ses propres opinions religieuses ou politiques au cours du débat. Comment, en effet, parvenir à un résultat neutre conforme à la constitution si les uns veulent imposer leur propre religion et les autres leur conception radicale et laïque d'une société débarrassée de toute croyance ? Il faut donc à la fois de la tolérance dans la différence et un effort d'indifférence. Et une neutralité sans faille.
Comment différencier les cas dans la pratique ?
Je vais énoncer ici encore la question sous la forme de deux propositions en "si...alors..." :
- si le comportement résulte d'un choix libre et personnel (ce qui est présumé sauf preuve contraire), alors pas d'inquisition dans la vie privée de la personne et aucun pouvoir ne peut s'autoriser à décider à sa place. Le principe de la liberté individuelle l'emporte (avec les seules limites du respect de l'ordre public). Des moyens peuvent être mis en œuvre pour vérifier la réalité du libre arbitre, tels que la déclaration sur l'honneur ou l'enquête (dans le respect des droits et de l'Etat de Droit).
- si le comportement est politique (prosélytisme), alors la règle de la transparence doit s'appliquer. Tout positionnement politique consiste à prendre position publiquement, cela doit donc se faire à visage découvert, sans dissimuler les intentions. Le principe de transparence politique s'impose ici.
Conclusion
Avant d'envisager une loi, il faut se référer à l'existant, qui est : le contrat social. Ce que dit le contrat n'a nul besoin d'être affirmé par un texte (dont la portée serait forcément inférieure au contrat social). D'autre part, avant de s'engager dans une discussion sur la laïcité complexe, il faut consolider le niveau de la laïcité simple (chartes de laïcité). Il faut cultiver la laïcité pour la rendre pleine et entière, vivante.
Cultivons la laïcité pour la rendre vivante, cultivons la laïcité simple !
Lire aussi mon article précédent : "La laïcité est notre affaire".
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